Les cahiers Histoire de l'ASN #01

ACCIDENTS NUCLÉAIRES ET ÉVOLUTIONS DE LA SÛRETÉ ET DE LA RADIOPROTECTION Comment la sûreté nucléaire et la radioprotection ont évolué après les accidents survenus en France et dans le monde. AUTORITÉ DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE • NOVEMBRE 2023 LES CAHIERS HISTOIRE DE L’ASN • #01 1969 / 1980 Saint-Laurent- des-Eaux 1979 Three Mile Island 1986 Tchernobyl 2011 Fukushima 2004 / 2005 Épinal

INTRODUCTION • La sûreté nucléaire et la radioprotection, un apprentissage permanent 2 • Exemples d’accidents et incidents nucléaires classés selon l’échelle INES 6 CINQ ÉVÉNEMENTS MARQUANTS • Saint-Laurent-des-Eaux (1969 et 1980), deux accidents français 8 • Three Mile Island (1979), le premier accident à résonance mondiale 12 • Tchernobyl (1986), la catastrophe ultime 16 • Épinal (2005), les risques hors installations nucléaires 22 • Fukushima (2011), le scénario catastrophe inévitable 26 GLOSSAIRE 33 Sommaire Les Cahiers Histoire de l’ASN ont pour ambition de proposer un éclairage sur la sûreté nucléaire et la radioprotection par les acteurs d’hier et d’aujourd’hui. L’intention est de compléter le récit des faits, tels que l’histoire les retient, avec les témoignages des acteurs de l’époque.

Ce premier numéro des Cahiers Histoire de l’ASN est consacré au thème des « accidents nucléaires ». Si certains accidents nucléaires sont connus, au point d’ailleurs que leur nom propre est entré dans le langage courant, d’autres oscillent entre mémoire et oubli. C’est le cas pour deux accidents décrits dans ce numéro, ceux de Saint-Laurent-des-Eaux. Or, nous avons un devoir de construire une mémoire collective en capacité de servir pour demain. Trois idées clés nous semblent devoir être retenues à ce stade. D’abord, dans une société qui se veut sans risque, il est nécessaire de rappeler que le risque zéro n’existe pas et le nucléaire n’échappe pas à cette règle universelle. Comme le rappelle André-Claude Lacoste, président de l’ASN de 2006 à 2012, « personne ne peut garantir qu’il n’y aura jamais un accident grave en France. Il convient de faire deux choses : essayer de réduire la probabilité que cela arrive, ainsi que les conséquences, si cela arrive. C’est toute la philosophie de la sûreté nucléaire ». Ensuite, vis-à-vis des accidents du passé, il est nécessaire d’aller au-delà du caractère unique de ceux-ci pour en explorer les causes profondes et en tirer les enseignements qui permettront d’anticiper le potentiel accident, de le gérer au mieux, ainsi que la phase postaccidentelle. Nombre d’évolutions en matière organisationnelle ou de doctrine de sûreté nucléaire et de radioprotection proviennent de ce travail de retour d’expérience. Nous avons choisi de décrire ce travail au travers de cinq événements marquants, qui ont chacun généré des avancées majeures en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection. Enfin, une des conséquences des accidents majeurs est bien l’émergence d’une conscience internationale des risques liés au nucléaire. Le message selon lequel la sûreté nucléaire est un bien commun et ne doit pas faire l’objet d’une compétition ou bien encore de manipulations géostratégiques, demeure, au regard des événements récents, plus que jamais d’actualité. Le Comité d’histoire de l’ASN AVANT-PROPOS

Voir glossaire pages 33 à 36 La sûreté nucléaire et la radioprotection, un apprentissage permanent Enrico Fermi (1901-1954) Concepteur du premier réacteur nucléaire opérationnel de l’histoire, Fermi est considéré par ses pairs comme un géant de la physique moderne. Le physicien italien, prix Nobel en 1938, est devenu citoyen américain en 1945 et a participé intensivement au projet Manhattan de production de la bombe atomique. Les accidents, événements aléatoires, fortuits et non souhaités font partie de l’existence de toutes choses naturelles ou artificielles. Le nucléaire ne fait pas exception à la règle. La naissance du nucléaire est marquée par le tragique dès le commencement. La première pile atomique à l’uranium, créée par Enrico Fermi en 1942 à Chicago, est très vite suivie par la conception, puis la réalisation de la bombe atomique. C’est d’ailleurs au cours des préparatifs de la bombe que le premier incident de criticité de l’histoire a lieu à Los Alamos aux États-Unis le 11 février 1945. Comme effet notable, un opérateur subit une perte significative de cheveux mais sans effet létal. Dans les années 50, le nucléaire civil va redonner une caution morale au nucléaire: il ne fait pas que tuer, il peut aussi produire de la chaleur. Parmi les nombreux projets qui naissent à l’époque, la production d’électricité par des réacteurs vaporisant de l’eau pour faire tourner une turbine est un concept toujours d’actualité. Le 20 décembre 1951, à Idaho Falls aux États-Unis, le réacteur à neutrons rapides EBR-1, refroidi par du sodium liquide, produit suffisamment d’électricité pour éclairer le bâtiment qui contient le réacteur! La voie à une production industrielle est ouverte. 2 • Les cahiers Histoire de l’ASN • Novembre 2023

La conscience du risque est présente dès les débuts Dès la première pile de Fermi, en 1942, la sûreté du réacteur est sujet à précautions et il est prévu de multiples moyens d’arrêt, rudimentaires, mais qui inspireront les systèmes actuels. Ainsi, un opérateur se tenait au-dessus de la pile armé d’une hache, prêt à couper la corde qui retenait une barre d’arrêt d’urgence enrobée de cadmium, un puissant absorbeur de neutrons, qui chuterait alors par gravité dans le cœur. Un deuxième opérateur, lui aussi au-dessus de la pile, armé d’un baquet empli d’une solution de sulfate de cadmium, était prêt à en asperger le réacteur. La pile était pilotée par une barre de commande en cadmium horizontale manipulée à la main et le flux neutronique était surveillé par des appareils de mesure. Octobre 1956, premier incident en France En octobre 1956, dans le réacteur G1 de Marcoule, une cartouche de combustible mal positionnée dans son canal s’échauffe et prend feu. Sept kilos de combustible nucléaire fondent. Grâce au système de détection de rupture de gaine, la pile est arrêtée, mais l’extraction quasi-manuelle de la cartouche s’avèrera complexe, faute de systèmes de manutention adaptés. C’est le premier incident en France, resté méconnu du grand public. Au commencement de l’encadrement de la sûreté nucléaire Entre 1945 et 1955, les premières années du développement de l’énergie nucléaire en France ne sont assorties d’aucune règle spécifique de sûreté, sinon celles que les chercheurs, ingénieurs et techniciens s’imposent volontairement. Fin 1957, en France, le haut-commissaire à l’énergie atomique Francis Perrin commence une réflexion sur l’organisation de la sûreté nucléaire. ••• «Personne ne peut garantir qu’il n’y aura jamais un accident grave en France. Il convient de faire deux choses: essayer de réduire la probabilité que cela arrive, ainsi que les conséquences, si cela arrive. C’est toute la philosophie de la sûreté nucléaire.» André-Claude Lacoste Président de l’ASN de 2006 à 2012 Accidents nucléaires et évolutions de la sûreté et de la radioprotection • 3 Criticité Dans le domaine de l’ingénierie nucléaire, la criticité est une discipline visant à évaluer et prévenir les risques de réaction en chaîne non désirée dans les installations nucléaires. C’est une sous-discipline de la neutronique. Le risque de criticité est le risque de déclencher une réaction en chaîne de fission incontrôlée.

Voir glossaire pages 33 à 36 Alimentée par les exemples américains, britanniques et canadiens, elle aboutit à la création, en janvier 1960, de la Commission de sûreté des installations atomiques (CSIA), chargée d’examiner la sûreté des installations actuelles et futures du CEA. Sur le modèle anglo-saxon, les experts demandent pour la première fois la rédaction d’un rapport, qui sera analysé en 1962, lors de la conception de la centrale EDF de Chinon. Ce document, présenté par l’exploitant, décline une analyse des risques et des protections de l’installation dans le but d’obtenir, de la part des pouvoirs publics, une autorisation de construction, puis de mise en service. La décennie des années 1960 sera celle des réacteurs à uranium naturel-graphite-gaz (UNGG), conçus par le CEA. Ils seront officiellement abandonnés en 1969, année où se produit un accident de fusion du cœur sur le réacteur EDF de Saint-Laurent-des-Eaux. Au milieu des années 1970 se met en place une organisation nationale de la sûreté nucléaire, avec la création d’un organisme de contrôle au sein du ministère de l’Industrie, le Service central de sûreté des installations nucléaires (SCSIN), créé en 1973, et d’un organisme d’expertise, l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN), créé en 1976 au sein du CEA. Au tournant des années 1980, ces organismes élaborent une réglementation technique, autour d’un nombre très restreint de guides de bonnes pratiques, d’arrêtés techniques ou encore de notes d’orientations ministérielles. À ces documents officiels s’ajoutent des documents de doctrine écrits par l’exploitant. L’ensemble constitue de facto la réglementation. L’émergence d’un contrôle nucléaire indépendant et transparent L’accident de Three Mile Island en 1979 (voir p. 12) a été un véritable choc pour les experts français du nucléaire et va contribuer directement à un certain nombre de modifications sur les installations. En parallèle des évolutions techniques liées à l’amélioration de la sûreté, l’organisation même du contrôle connaît des évolutions visant à encadrer la surveillance des centrales nucléaires. L’accident de Tchernobyl en 1986 (voir p. 16) a renforcé l’idée qu’un système de régulation plus transparent, «Tout accident est unique par définition. Il faut aller au-delà, voir des causes plus profondes. Et c’est pour cela que l’on a fait ce que l’on a fait en France, et plus généralement en Europe, en post Fukushima, parce qu’il y avait une vraie nécessité de faire des choses au-delà des circonstances particulières rencontrées à Fukushima ou à Tchernobyl. » Pierre-Franck Chevet Président de l’ASN de 2012 à 2018 Aucun pays ne doit céder à l’autosatisfaction en matière de sûreté nucléaire. [...] La sûreté doit toujours venir en premier. Yukiya Amano Directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) de 2009 à 2019 ••• 4 • Les cahiers Histoire de l’ASN • Novembre 2023

plus indépendant des industriels et réglementairement plus solide était indispensable. En 2002 est créé l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), établissement public entièrement autonome du CEA, fusion de l’Office pour la protection des rayonnements ionisants (OPRI) – qui remplace le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI) en 1994 – et de l’IPSN. De son côté, le SCSIN, après plusieurs élargissements successifs de son champ d’action, acquiert le statut d’autorité administrative indépendante en 2006 et devient l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). La même année, la loi sur la transparence et la sécurité nucléaire (TSN) est promulguée, puis une série de décrets, d’arrêtés, de décisions à caractère réglementaire, ainsi qu’une refonte du corpus des guides pratiques, remplacent progressivement l’ancienne réglementation. En 2011, à la suite de l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima (voir p. 26), la sûreté des centrales nucléaires françaises est réévaluée par l’intermédiaire de stress tests qui prennent le nom « d’évaluations complémentaires de sûreté ». La sûreté nucléaire : un bien commun mondial L’émergence d’une conscience internationale des risques liés au nucléaire est une des conséquences des accidents majeurs. Dans ses vœux à la presse en 2011, André-Claude Lacoste l’exprime avec force : « L’ASN a une politique active de coopération internationale. Elle considère que la sûreté nucléaire ne doit pas être un objet de compétition, mais un bien commun». L’ASN considère qu’un des nouveaux défis pour la sûreté nucléaire mondiale, notamment dans le contexte du développement d’un programme électronucléaire dans les pays émergents, est de développer une culture partagée de la sûreté et de mettre en place une autorité de sûreté indépendante dans chaque pays. Parallèlement à ces autorités indépendantes, des associations citoyennes se sont créées et ont contribué, avec des positions critiques et expertes, à enrichir le débat sur les enjeux du nucléaire et les exigences liées à la sûreté. ■ « Je pense que la solidité de la filière nucléaire repose non seulement sur un exploitant solide et responsable, mais aussi sur une autorité de sûreté qui joue complètement son rôle. C’est aussi comme cela que le public a confiance, sinon cela ne fonctionne pas.» Dominique Minière Directeur exécutif du groupe EDF chargé de la Direction du parc nucléaire et thermique de 2015 à 2019 L’ASN est certainement la deuxième plus puissante autorité de sûreté nucléaire dans le monde. Et peu de gens savent le rôle qu’André-Claude Lacoste a joué dans la définition de règles de sûreté internationales en présidant la Commission des normes de sûreté nucléaire à l’AIEA. Ann MacLachlan Ancienne journaliste de Nucleonics week Accidents nucléaires et évolutions de la sûreté et de la radioprotection • 5

Exemples d’accidents et incidents nucléaires classés selon l’échelle INES Voir glossaire pages 33 à 36 Niveau 7 1986 – Tchernobyl (Ukraine) À la suite d’une série d’erreurs humaines et en raison de défauts de conception, le réacteur 4 subit une fusion du cœur, puis une explosion, provoquant la libération du combustible dans l’atmosphère. La contamination s’est étendue à toute l’Europe. Détails p. 16 2011 – Fukushima-Daiichi (Japon) Cet accident est la conséquence d’un tsunami, survenu à la suite d’un séisme de magnitude 9 sur l’échelle de Richter, ayant provoqué la perte totale des alimentations électriques et du refroidissement des réacteurs nucléaires et d’importants rejets radioactifs dans l’environnement. Détails p. 26 Niveau 6 1957 – Kyshtym (Russie – ex-URSS) L’explosion d’un réservoir de déchets nucléaires liquides libère un nuage radioactif qui contamine une région entière autour de Kychtym, sur 800 km2. Plus de 200 personnes décèdent, 10000 personnes sont évacuées et 470000 personnes sont exposées aux radiations. Niveau 5 1957 – Windscale, rebaptisé Sellafield (Royaume-Uni) Le cœur en graphite du réacteur 1 s’enflamme au cours d’un recuit et des produits de fission, essentiellement de l’iode-131, sont rejetés à l’extérieur. Aucune mesure d’évacuation n’a été nécessaire, mais les autorités compétentes prennent des mesures telles que l’interdiction de consommer des denrées produites localement. 1979 – Three Mile Island (États-Unis) À la suite d’une chaîne d’événements accidentels, le cœur du réacteur 2 de la centrale de Three Mile Island (TMI-2) fond en partie, entraînant le relâchement dans l’environnement d’une faible quantité de radioactivité. Détails p. 12 Niveau 4 1959 – Santa Susana (États-Unis) Le réacteur expérimental au sodium subit une fusion partielle du cœur au Santa Susana Field Laboratory, près de Simi Valley, en Californie. 1969 – Centrale de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher, France) Quarante-sept kilogrammes de dioxyde d’uranium entrent en fusion au cœur du réacteur graphite-gaz 1 lors d’une opération de chargement. Détails p. 8 1969 – Lucens (Suisse) L’éclatement d’un tube de force provoque une impulsion de courant et le réacteur (un petit appareil expérimental construit dans une caverne rocheuse) explose. Il est totalement détruit. Le cœur a partiellement fondu. La majeure partie des substances radioactives est contenue dans la caverne. 1971 – Centrale de Monticello (États-Unis) Un réservoir d’eau déborde, relâchant 190 m3 d’eau contaminée dans le Mississippi. Des matières radioactives entrent plus tard dans le système d’arrivée d’eau de Saint-Paul (Minnesota). 1980 – Centrale de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher, France) Une fusion au cœur du réacteur se produit sur le réacteur graphite-gaz 2. Un morceau de tôle vient obstruer une partie du circuit de refroidissement. La température fait un bond, ce qui provoque la fusion de 20 kg d’uranium et entraîne l’arrêt d’urgence du réacteur. L’accident endommage gravement l’installation. Détails p. 8 1993 – Tomsk-7 (Russie) Une réaction en chaîne se produit dans l’usine de retraitement des déchets de Tomsk-7, provoquant une forte explosion et un rejet important de matières radioactives dans l’atmosphère. 1999 – Tokaimura (Japon) L’introduction dans une cuve de décantation, à la suite d’une erreur de manipulation, d’une quantité anormalement élevée d’uranium (16,6 kg) dépassant très largement la valeur de sécurité (2,3 kg), est à l’origine d’une réaction de criticité. Cet accident tue deux ouvriers. 2000 – Indian Point (États-Unis) Le réacteur 2 de la centrale nucléaire d’Indian Point libère une petite quantité de vapeur radioactive. C’est un dysfonctionnement du générateur de vapeur qui en est la cause. Niveau 3 1981 – La Hague (Manche, France) Un incendie de déchets radioactifs se produit dans un silo de stockage non confiné de l’usine de retraitement. 6 • Les cahiers Histoire de l’ASN • Novembre 2023

1989 – Vandellos (Espagne) Un incendie se déclare dans la salle des turbines de la centrale nucléaire de Vandellos, en provoquant indirectement une inondation et endommageant différents systèmes, dont celui de réfrigération du réacteur. Le gouvernement espagnol décide de fermer définitivement le réacteur en novembre 1992. 1991 – Forbach (Moselle, France) Trois employés intérimaires pénètrent dans un accélérateur industriel en fonctionnement et sont fortement irradiés. 2005 – Sellafield (Royaume-Uni) Dans l’enceinte de l’usine de retraitement Thorp, 83 000 litres de combustible liquéfié fortement radioactif, contenant de l’uranium et de l’acide nitrique concentré, se répandent dans une cuve en acier inoxydable qui contient 200 kg de plutonium. 2007 – Kashiwazaki-Kariwa (Japon) La centrale subit un tremblement de terre d’intensité 6,8 sur l’échelle de Richter, dont l’épicentre est éloigné d’environ 10 km. Le séisme entraîne un incendie, maîtrisé deux heures après le départ du feu, ainsi que des rejets d’eau contenant des éléments radioactifs dans la mer. 2008 – Toulouse (Haute-Garonne, France) Un employé intérimaire est irradié par une source de cobalt-60 au centre français de recherche aérospatiale (Onera). Niveau 2 1992 – Sosnovy Bor (Russie) Sur le réacteur 3, un RBMK, une vanne d’arrivée d’eau d’un des 1 660 tubes de force se ferme et entraîne la destruction de l’élément de combustible et du tube de force. 1999 – Blayais (Gironde, France) Lors de la tempête qui frappe alors la France, les parties basses des réacteurs 1 et 2, et dans une moindre mesure les réacteurs 3 et 4 de la centrale nucléaire, sont inondés, forçant l’arrêt de trois de ses quatre réacteurs. 2006 – Atelier de technologie du plutonium de Cadarache (Bouches-du-Rhône, France) La quantité de plutonium dans les enceintes de confinement a été sous-estimée, ce qui conduit à réduire fortement les marges de sécurité prévues à la conception pour prévenir un accident de criticité, dont les conséquences potentielles pour les travailleurs pourraient être importantes. 2006 – Forsmark (Suède) Le système d’alimentation électrique de secours du réacteur 1 de la centrale de Forsmark subit une défaillance. La récupération de l’alimentation électrique au bout de quelques heures permet d’éviter le dénoyage du cœur. 2007 – Dijon (Côte d’Or, France) Un manipulateur est irradié lors de la radiothérapie d’un patient. 2008 – Krško (Slovénie) À la suite d’une fuite sur le circuit primaire du système de refroidissement du réacteur, celui-ci est mis à l’arrêt. La fuite est contenue dans l’enceinte de confinement. 2009 – Cruas-Meysse (Ardèche, France) Une perte du refroidissement des systèmes, dangereuse pour la sûreté du réacteur 4, est constatée. 2011 – Fort Calhoun (États-Unis) À la suite du débordement de la rivière Missouri, la centrale nucléaire de Fort Calhoun est inondée. Niveau 1 Plus d’une centaine d’événements sont constatés chaque année en France. Niveau 0 Plus d’un millier d’événements sont constatés chaque année en France. Échelle INES (International Nuclear Event Scale) de classement des incidents et accidents nucléaires Accident majeur (Tchernobyl, Fukushima) Accident grave Accident entraînant un risque hors du site (Three Mile Island) Incident grave Incident Anomalie Accident n’entraînant pas de risque important hors du site 7 6 5 4 3 2 1 0 INCIDENT ACCIDENT La nécessité d’informer le public du niveau de gravité des événements nucléaires, notamment après l’accident de Tchernobyl en 1986, a conduit à développer des échelles de classement. L’échelle internationale INES a été, à l’origine, mise en application à titre expérimental en France par le Conseil supérieur de la sûreté et de l’information nucléaire (CSSIN) à partir du printemps 1988. Elle a reçu notamment l’impulsion de Pierre Desgraupes, vice-président du CSSIN et a été adoptée en 1991 par l’AIEA. En 2002, l’ASN a proposé une nouvelle version de cette échelle, pour prendre en compte les événements de radioprotection (irradiation, contamination), notamment ceux touchant les travailleurs, quel que soit le lieu de l’incident. Par la suite, en juillet 2008, l’AIEA a publié une échelle INES révisée qui permet de mieux prendre en compte les événements survenant dans le domaine des transports ou entraînant l’exposition de personnes à des sources radioactives. Accidents nucléaires et évolutions de la sûreté et de la radioprotection • 7

Voir glossaire pages 33 à 36 Saint-Laurent-des-Eaux, deux accidents français Les deux accidents de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux sont les événements nucléaires les plus importants jamais recensés en France. Rétrospectivement classés par l’ASN au niveau 4 sur l’échelle INES, ils se sont produits sur des réacteurs de la filière UNGG, une technologie aujourd’hui abandonnée et en cours de démantèlement. L’accident nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux de 1969 Le 17 octobre 1969, fusion de cinq éléments combustibles Une erreur se produit lors d’une opération de chargement du réacteur graphite-gaz A1. Cette erreur empêche la bonne circulation du dioxyde de carbone, lequel sert de réfrigérant. Elle a pour conséquence de réduire fortement le refroidissement des éléments combustibles présents dans un canal du cœur du réacteur. Une élévation de température des gaines, en alliage de magnésium et de zirconium, de cinq éléments combustibles se produit, entraînant leur dégradation. Le réacteur s’arrête automatiquement, du fait de la montée de radioactivité dans le caisson du réacteur. Les cinq éléments combustibles correspondent à une cinquantaine de kilogrammes d’uranium. Les conséquences radiologiques restent limitées : l’uranium est très faiblement irradié, dans la mesure où les éléments combustibles venaient d’être chargés dans le réacteur. Le nettoyage Une dizaine de jours après l’accident, le temps que le combustible nucléaire refroidisse, les opérations de nettoyage de l’uranium fondu commencent. À l’issue de ces opérations, 47 kg d’uranium sont récupérés, essentiellement à l’aide de moyens téléopérés. Des interventions humaines complémentaires ont été nécessaires pour récupérer certains débris. Dédiée à l’entraînement des opérateurs en charge du nettoyage, une maquette grandeur nature de l’ensemble à nettoyer a été construite. L’arbitrage technologique Deux technologies nucléaires sont alors en compétition : la filière graphite-gaz, considérée comme « nationale » et la filière à eau sous pression, celle des REP. Le président de la République Charles De Gaulle a une préférence pour la filière graphite-gaz, alors que Georges Pompidou, qui lui succède en 1969, favorise la filière à eau sous pression. Peu après l’accident, la filière graphite- gaz est abandonnée au profit de la filière à eau sous pression. Les réacteurs UNGG Les réacteurs UNGG constituent la première génération du nucléaire français. Ils utilisent un combustible d’uranium naturel (non enrichi), modéré au graphite, et avec du gaz CO2 comme caloporteur. EDF avait annoncé la veille de l’accident de 1969 l’abandon de la filière, pour des raisons économiques plus que techniques, au profit de la filière des réacteurs à eau sous pression (REP). Représentation des réacteurs A1 et A2 de Saint-Laurentdes-Eaux. 8 • Les cahiers Histoire de l’ASN • Novembre 2023

L’accident nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux de 1980 Le 13 mars 1980, fusion de deux éléments combustibles Une hausse brutale de la radio- activité dans le caisson du réacteur conduit à l’arrêt automatique de ce réacteur. Les alarmes retentissent, une fusion partielle du cœur se produit sur le réacteur A2. Cette fusion est déclenchée par le décrochage d’une tôle au sein du circuit de refroidissement qui vient boucher une partie de celui-ci puis fait augmenter localement la température du combustible. 20 kg d’uranium fondent après l’arrêt d’urgence du réacteur. Le professeur Pierre Pellerin, responsable du SCPRI, expliquera à la commission de surveillance de la centrale «que la pression à l’intérieur du réacteur équivalait à trente fois la pression atmosphérique et qu’il fallait procéder à quelques rejets pour dégonfler le caisson». Les rejets d’effluents radioactifs gazeux cumulés sont restés faibles car un temps d’attente a été respecté pour dégonfler le caisson, sachant que le combustible était irradié. Ces rejets d’une faible quantité n’ont pas conduit à un dépassement des limites alors autorisées, encadrées par décret. Dégâts et remise en service La quantité de combustible fondu est plus faible qu’en 1969 (20 kg contre 50 kg), mais le combustible est plus radioactif puisqu’il a accumulé les produits de fission et actinides mineurs lors de son utilisation pendant deux ans dans le réacteur. Cinq cents salariés d’EDF et sous- traitants sont impliqués pendant les 29 mois que durent les opérations de nettoyage et de remise en état du réacteur. Les poussières d’uranium dispersées dans le bâtiment réacteur lors de l’accident ont constitué pendant longtemps un risque de contamination. Plusieurs tonnes de plomb sont apportées dans le bâtiment réacteur pour servir de protection radio- logique. Les travaux de nettoyage et de réparation ont duré jusqu’en 1982. L’installation a redémarré en octobre 1983. Les deux réacteurs A1 et A2 de la filière UNGG ont été définitivement arrêtés respectivement en avril 1990 et mai 1992. Bien plus tard, en 2015, une polémique éclate concernant des rejets de plutonium dans la Loire, à la suite de l’accident (voir page suivante). La centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux se situe sur la commune de Saint-Laurent-Nouan dans le Loir-et-Cher (41) en bord de Loire, entre Orléans (30 km en amont) et Blois (28 km en aval). Les accidents concernent uniquement les deux anciens réacteurs nucléaires A1 et A2 de la filière UNGG en phase de démantèlement et les deux silos d’entreposage de déchets (chemises de graphite) associés. Ces deux réacteurs, mis en service en 1969 et 1971, ont été arrêtés respectivement en avril 1990 et mai 1992. Cette centrale nucléaire comprend aussi deux réacteurs REP, B1 et B2, qui sont en fonctionnement depuis 1983. Ils ont une puissance unitaire de 915 mégawatts. Une mission d’enquête diligentée en 2015 Les deux événements ont été ultérieurement classés au niveau 4 (accident) de l’échelle INES (voir p.6), adoptée par l’AIEA en 1994 à la suite de l’accident de Tchernobyl. Une mission d’enquête, réalisée à la demande de la ministre de l’Écologie, conclut à des faibles rejets ne dépassant pas les normes en vigueur au moment des faits. L’année 1980 est aussi marquée par deux incidents notables sur la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux. • Le 13 février 1980 À la suite d’une montée en puissance très rapide, liée à des insuffisances dans les consignes d’exploitation, des gaines de plusieurs éléments combustibles fondent sans que l’uranium ne subisse ce même phénomène. • Le 21 avril 1980 Un conteneur explose dans une piscine dans laquelle étaient stockées des barres de combustibles « usées » retirées du réacteur et dont la gaine était endommagée (en attente de leur évacuation hors du site). Des produits de fission sont libérés dans l’eau de la piscine. Accidents nucléaires et évolutions de la sûreté et de la radioprotection • 9

Voir glossaire pages 33 à 36 Rejets de plutonium dans la Loire D’après le président de la commission de surveillance de la centrale : « Quand tout a été refroidi, quelques kilos d’uranium avaient fondu et ils s’étaient déposés au fond du caisson. Ces matériaux étaient chargés en produits de fission, et en plutonium. Lors du nettoyage, il y a eu une opération de rinçage et des rejets liquides sont partis dans la Loire ». La centrale indique « avoir respecté les limites réglementaires d’autorisation de rejet de l’époque, fixées par l’arrêté ministériel de juin 1979 ». Le 4 mai 2015, le documentaire Nucléaire, la politique du mensonge ?, diffusé par Canal+ avance qu’EDF, à la suite de cet accident, a procédé à des rejets de plutonium dans la Loire pendant au moins cinq ans, en toute illégalité. Une campagne de prélèvements de sédiments dans la Loire, conduite par un laboratoire universitaire, a établi la présence de traces de plutonium depuis Saint-Laurentdes-Eaux jusqu’à l’estuaire, dont l’origine serait à imputer soit à l’accident de 1980, soit à celui de 1969 (voir ci-dessus). Pour l’IRSN, la majeure partie de ces traces ne sont pas liées à l’accident du 13 mars 1980, mais au traitement des eaux de la piscine du réacteur A2, contaminées lors de l’éclatement d’un conteneur renfermant un élément combustible non étanche, survenu le 21 avril 1980. Sur la base des évaluations dosimétriques réalisées à partir de l’estimation de l’activité rejetée à l’époque, l’IRSN considère que les rejets en plutonium dans la Loire sont restés suffisamment faibles pour que les risques sanitaires et environnementaux en aval du site puissent être considérés comme négligeables. Saint-Laurent-des-Eaux, deux accidents français Technique de carottage pour le prélèvement et l’analyse des sédiments sur les berges. Étapes pour analyser un sédiment sur les berges de la Loire 1. Identification du meilleur site de carottage, défini par une équipe pluridisciplinaire (géochimistes, hydrologues, etc.). 2. Prélèvement des sédiments, tous les mètres, à deux profondeurs différentes. 3. Analyse des échantillons au laboratoire par spectrométrie gamma. Les tubes sont découpés dans le sens longitudinal, puis ouverts. Le césium-137 et le plomb-210 en excès sont mesurés dans chaque tranche, pour établir une datation. 4. Analyse des radionucléides dans un laboratoire de l’IRSN. Un expert recherche le plutonium, le carbone-14 et le tritium organiquement lié. L’analyse a montré des pics de plutonium pour les années 1969 et 1980, qui correspondent aux deux accidents survenus dans la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux. « Il ne faut pas laisser perdre la mémoire de ceux qui ont fondé l’autorité de sûreté et les divers organismes qui l’ont précédée. La marche vers toujours plus d’indépendance et toujours plus de transparence se poursuit encore aujourd’hui. » Philippe Saint Raymond Directeur adjoint de la sûreté des installations nucléaires (1993 – 2002), puis Directeur général adjoint de la sûreté nucléaire et de la radioprotection (début 2002 à février 2004) 10 • Les cahiers Histoire de l’ASN • Novembre 2023

Création du SCSIN Créé par décret en 1973, à la suite du premier accident de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux, le Service central de sûreté des installations nucléaires (SCSIN) avait la charge de préparer et de mettre en œuvre toutes les actions techniques relatives à la sûreté nucléaire : réglementation, coordination des études de sûreté, information nucléaire. C’est à cette structure légère, dépendante du ministère de l’Industrie, qu’incombait la mission d’instruire les dossiers d’autorisation relatifs aux installations nucléaires de base (INB). Le Service est devenu la Direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN) en 1991, puis la Direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection (DGSNR) en 2002. L’ASN en est directement issue en 2006. Améliorations de gouvernance et techniques L’accident du 17 octobre 1969 est considéré comme exceptionnel par les experts d’EDF et du CEA. L’analyse des causes conduit rapidement à diagnostiquer qu’une combinaison entre une erreur humaine et une erreur de l’automatisme qui assure le chargement a entraîné l’accident. Cet événement conduira à améliorer le dispositif de détection de rupture de gaines des réacteurs UNGG et les dispositifs de manutention des combustibles. Il fera l’objet d’un suivi par un groupe d’experts (du CEA et d’EDF, mais aussi du ministère de l’Industrie) dans les mois suivant l’événement. Sur le plan de la communication, l’accident n’est pas caché mais reste discret. Le 31 octobre 1969, un article du Monde fait état de l’accident comme « incident ». Cela ne provoque aucune réaction particulière en France. Le déroulement de l’accident a, toutefois, fait l’objet d’une publication dans une revue spécialisée ainsi que d’un film, réalisé par la centrale de Saint-Laurentdes-Eaux, montrant les différentes phases de remise en état. Trois conférences internationales, à Londres, à Paris et en Allemagne, se sont tenues entre octobre et décembre 1970, témoignant d’une volonté de faire connaître aux spécialistes concernés, en France et à l’étranger, l’accident et ses méthodes de résolution. Valorisation des retours d’expérience à l’échelle mondiale L’accident du 13 mars 1980 fait l’objet d’une analyse plus formalisée que celui de 1969, étant donné l’existence d’un organisme de contrôle au sein du ministère de l’Industrie, le SCSIN, ancêtre de l’ASN, d’un expert public rattaché au CEA, l’IPSN, et d’un groupe permanent d’experts. L’IPSN rédige deux rapports, l’un consacré à l’accident du 13 février 1980, qui pointe des défaillances organisationnelles et humaines, et un autre à celui du 13 mars, qui précise qu’il s’agit d’un problème de conception. Les experts de l’IPSN mentionnent également un manque de prise en compte du retour d’expérience d’accidents survenus à l’étranger : un incident précurseur (arrachage de tôles) s’était déroulé dans la centrale nucléaire de Vandellos en Espagne en 1976, centrale vendue par la France et copie conforme de la centrale de Saint-Laurentdes-Eaux (voir citation ci-contre). Le rapport de l’IPSN sur l’accident du 13 mars 1980 précise : « cet incident a échappé à l’attention. » De même, le risque d’un projectile pouvant causer une perte de refroidissement, ce qui correspond au scénario de l’accident de 1980, n’avait pas été pris en compte alors qu’elle avait fait l’objet d’études au milieu des années 1970 en France. ? Quels enseignements peut-on tirer des accidents nucléaires de Saint-Laurent-des-Eaux « ...une attention particulière doit être portée par Électricité de France au fonctionnement des divers réacteurs de la même filière en exploitation à l’étranger – notamment Vandellos en Espagne – afin de tirer tous les enseignements des événements précurseurs d’incidents.» SCSIN «Centrales nucléaires du type graphite-gaz, Enseignements des incidents de la deuxième tranche de Saint-Laurent-des-Eaux A», 13 janvier 1981 Accidents nucléaires et évolutions de la sûreté et de la radioprotection • 11

Voir glossaire pages 33 à 36 Three Mile Island, le premier accident à résonance mondiale L’accident de fusion partielle du cœur du réacteur 2 de Three Mile Island (TMI) a démontré que des cumuls de défaillances humaines et techniques pouvaient conduire à un accident grave. Classé au niveau 5 sur l’échelle INES, l’accident a été un tournant majeur pour l’industrie nucléaire et a donné lieu à un réexamen global des risques et de l’approche de sûreté des réacteurs. Un an après sa mise en service, le réacteur 2 de la centrale de TMI, implantée sur une île de la rivière Susquehanna, connaît une panne technique. La centrale nucléaire de TMI, située en Pennsylvanie, dans l’Est des États-Unis, a été mise en service en 1974. En 1979, elle était équipée de REP distincts de 900 mégawatts électriques (MWe). Mercredi 28 mars 1979, 04h00 L’accident débute par un simple incident d’exploitation, la défaillance des pompes principales d’alimentation en eau du système de refroidissement des générateurs de vapeur. Les automatismes de sûreté prévus – arrêt d’urgence par insertion des barres de commande dans le cœur et mise en service des pompes de secours d’alimentation en eau du réacteur – fonctionnent parfaitement. Succession de défaillances et de négligences C’est alors que survient une deuxième défaillance : malgré la mise en service des pompes du système d’alimentation de secours, l’eau n’alimente pas les générateurs de vapeur car les vannes situées entre ces derniers et les pompes sont fermées au lieu d’être ouvertes, en raison d’un oubli de l’opérateur. Ces vannes seront rouvertes manuellement, huit minutes plus tard. Pendant ce laps de temps, le circuit primaire, insuffisamment refroidi, voit augmenter la pression La fusion du cœur La fusion du cœur d’un réacteur survient lorsque les crayons de combustible nucléaire qui contiennent l’uranium ou le plutonium ainsi que des produits de fission hautement radioactifs, commencent à surchauffer puis à fondre. Elle se produit en particulier lorsqu’un réacteur cesse d’être correctement refroidi. Elle est considérée comme un accident nucléaire grave car des matières fissiles peuvent alors polluer l’environnement avec une émission de nombreux radio-isotopes hautement radioactifs, hors de l’enceinte de confinement. UNITÉ 2 DE LA CENTRALE NUCLÉAIRE DE THREE MILE ISLAND Enceinte de confinement Vanne de décharge Pressuriseur Bâtiment de la turbine Radioactivité venant du bâtiment auxiliaire Circuit primaire Condenseur Circuit secondaire Bâtiment auxiliaire Turbine 12 • Les cahiers Histoire de l’ASN • Novembre 2023

de ce circuit jusqu’à déclencher l’ouverture de la vanne de décharge du pressuriseur, dont le rôle est d’évacuer l’excès de vapeur vers un réservoir et donc de diminuer la pression dans le circuit primaire. Lorsque le refroidissement par les générateurs de vapeur est rétabli et que la pression du circuit primaire atteint le seuil de fermeture de la vanne de décharge du pressuriseur, une troisième défaillance se produit : la vanne de décharge du pressuriseur reçoit l’ordre de se fermer, mais reste coincée en position ouverte, d’où la perte de fluide primaire par cette vanne. Les opérateurs qui vérifient l’indicateur de position de la vanne de décharge du pressuriseur, voient « vanne fermée ». Cette information est fausse. En effet, l’indicateur transmis en salle de commande est l’ordre reçu par la vanne et non sa position réelle. Sous l’effet de la perte de fluide primaire, l’injection de sécurité démarre. Les opérateurs chargés de la conduite de la centrale concentrent leur attention sur le niveau d’eau dans le pressuriseur, afin d’éviter son remplissage. Devant la montée rapide du niveau d’eau dans le pressuriseur, et croyant la vanne de décharge fermée, les opérateurs arrêtent manuellement l’injection de sécurité. La représentation mentale de la situation qu’ont les opérateurs est fausse, ils manquent d’informations directes sur l’état du cœur du réacteur. Fusion du combustible puis remise en service de l’injection de sécurité Compte tenu de la vidange du circuit primaire, le refroidissement du combustible n’est plus assuré. Ceci conduit à sa dégradation, avec un fort relâchement de produits de fission du combustible dans le fluide primaire. Deux heures et 14 minutes après le début de l’accident, l’alarme de radioactivité élevée dans l’enceinte de confinement se déclenche. Les opérateurs ne peuvent dès lors plus ignorer que la situation est sérieuse. La vanne d’isolement du circuit de décharge est alors fermée, ce qui met fin à la vidange du circuit primaire. À ce stade de l’incident, de nouvelles alarmes de radioactivité se déclenchent, dont certaines hors du bâtiment du réacteur. Neuf heures et cinquante minutes après le début de l’accident, une explosion localisée d’environ 320 kg d’hydrogène provoque un pic de pression de 2 bars environ dans le bâtiment du réacteur, sans provoquer de dégâts particuliers. Il faudra les douze heures suivantes pour évacuer du circuit primaire l’essentiel de l’hydrogène créé par l’oxydation du Zircaloy et des gaz de fission incondensables relâchés hors du combustible lors de l’accident. Mercredi 28 mars 1979, 20h00 L’accident proprement dit est terminé. Plusieurs jours seront cependant nécessaires pour pouvoir éliminer l’hypothèse du risque d’une explosion d’hydrogène. Les dégâts subis par les éléments combustibles sont très supérieurs à ceux imaginés pour l’accident le plus grave étudié dans le cadre du dimensionnement de l’installation. On ne le constatera qu’en 1985, soit six ans plus tard, mais 45 % du combustible a fondu, entraînant avec lui des matériaux de gaines et de structures, formant ce qu’on appelle un « corium ». Une partie de ce corium, 20 tonnes environ, s’est écoulée sous forme liquide dans le fond de la cuve, sans heureusement la traverser, grâce peut-être à la formation d’un espace entre le corium et la cuve qui aurait permis la circulation de l’eau de refroidissement dans la cuve. Des conséquences minimes sur l’environnement Malgré la fusion partielle du cœur du réacteur et l’important relâchement de radioactivité dans l’enceinte de confinement, les conséquences radiologiques immédiates dans l’environnement ont été limitées. L’enceinte de confinement a en effet rempli son rôle. Les faibles rejets dans l’environnement ont été causés par le maintien en service d’un système de pompage des effluents du circuit primaire. Lorsque l’unité 2 (TMI-2) a subi son accident en 1979, l’unité TMI-1 a été déconnectée du réseau. Elle a été remise en fonctionnement en octobre 1985, malgré l’opposition du public, plusieurs injonctions des tribunaux fédéraux et des complications techniques et réglementaires. En 2009, son autorisation d’exploitation a été prolongée de 20 ans, soit jusqu’au 19 avril 2034. Cependant, le site étant déficitaire depuis plusieurs années, l’exploitant – Exelon –, a décidé d’en arrêter l’exploitation le 20 septembre 2019. Accidents nucléaires et évolutions de la sûreté et de la radioprotection • 13

Des enseignements ont été tirés de l’accident de TMI pour le fonctionnement des réacteurs. La prise en compte de ces leçons a permis ainsi de réduire d’un facteur 10 la probabilité calculée de fusion de cœur pour les réacteurs REP de deuxième génération.​ L’opinion publique internationale a pris conscience que les accidents nucléaires constituaient un risque réel pouvant se concrétiser à tout moment. L’accident a marqué l’élargissement du débat sur la sûreté nucléaire du domaine des scientifiques et des industriels à celui des citoyens et des politiques. Mise en place des plans d’urgence en France L’accident de TMI est lié pour partie à une mauvaise compréhension de la situation par les opérateurs. Il a été établi qu’il était très difficile, pour une équipe, de remettre en cause son interprétation de la situation. Il est ainsi apparu que la mise en place d’une équipe de crise, à même de prendre un peu de recul sur la situation, pourrait être d’un apport majeur. De même, la meilleure définition du rôle des différents acteurs et l’organisation de la circulation de l’information en situation d’accident sont apparues nécessaires. Des plans d’urgence ont été développés sur ces bases. La nécessité d’un entraînement régulier a été également mise en évidence. C’est au début des années 1980 que les plans d’urgence ont été mis en place en France. Des plans d’urgence interne (PUI) ont été développés par les exploitants d’installations nucléaires dans le but de maîtriser autant que possible un accident et d’en limiter ses conséquences, porter secours aux blessés sur le site et informer les pouvoirs publics et les médias. Les pouvoirs publics ont établi des plans particuliers d’intervention (PPI) répondant à l’objectif général de protection des populations en cas d’accident grave pouvant se produire dans ces installations. Dès 1980, un premier exercice de crise a été organisé à la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin, France). Voir glossaire pages 33 à 36 Protéger les populations en informant sur les risques et les mesures pour y faire face Les acteurs de la sûreté nucléaire ont élaboré de vastes plans d’information auprès des habitants résidant autour des centrales nucléaires. Les autorités locales, le corps médical et les pharmaciens étaient également parties prenantes de ces actions. ? Comment la sûreté nucléaire et la radioprotection ont-elles évolué à la suite de l’accident de Three Mile Island Three Mile Island, le premier accident à résonance mondiale 14 • Les cahiers Histoire de l’ASN • Novembre 2023

Prise en compte des enseignements tirés du suivi du fonctionnement des centrales nucléaires La détection des événements précurseurs est devenue une préoccupation importante des exploitants et des organismes de sûreté nucléaire. L’organisation de l’exploitation et du retour d’expérience s’est donc développée autour de cette nouvelle priorité. Avancée majeure Filtration de l’air de l’enceinte de confinement En cas d’accident, si une augmentation de la pression menaçait de détériorer l’enceinte de confinement, le dispositif de dépressurisation permettrait, en dernier recours, de rejeter en les filtrant les gaz contenus dans l’enceinte. Ce filtre est capable de retenir une partie de la radioactivité et donc d’atténuer les conséquences environnementales de l’accident. Vanne Sable Coque en acier Argile expansée Plancher en béton Drain Cheminée Dans la coque en acier inoxydable, les gaz passent par différentes couches, dont 80 cm de sable. Accidents nucléaires et évolutions de la sûreté et de la radioprotection • 15 Gaz radioactifs Bâtiment réacteur Modification de certains dispositifs techniques Entre 1994 et 2008, l’ASN a sollicité l’avis de l’IRSN et du groupe permanent d’experts pour les réacteurs nucléaires et a retenu les principales modifications suivantes : ■ la fiabilisation de l’ouverture commandée des soupapes de décharge du pressuriseur sur les réacteurs de 900 MWe: l’objectif de cette modification étant de limiter les risques de percement de la cuve en pression, notamment en cas de fusion du cœur consécutive à une perte totale des alimentations électriques ; ■ la mise en place de recombineurs auto-catalytiques passifs d’hydrogène sur tous les réacteurs (mise en place achevée en 2007); ■ l’amélioration du système de fermeture du tampon d’accès du matériel (TAM) pour les réacteurs de 900 MWe dans le but d’assurer l’étanchéité du TAM, point faible du confinement, jusqu’à une pression de l’ordre de 8 bars ; ■ la mise en place, sur les réacteurs de 900 MWe, de capteurs de détection d’hydrogène et de percée de la cuve par le corium afin de disposer, en cas d’accident grave, d’informations quant à la progression de la situation.

Voir glossaire pages 33 à 36 Tchernobyl, la catastrophe ultime L’accident de Tchernobyl est une conjonction d’événements cumulant des erreurs humaines et des défauts de conception de la centrale nucléaire. Une séquence de test de l’alimentation électrique de secours du réacteur 4 va devenir une catastrophe majeure et faire prendre conscience au monde entier des risques liés au nucléaire. Que s’est-il passé le 25 avril 1986 dans le bâtiment du réacteur 4 (de type RBMK) de la centrale nucléaire V.I. Lénine, à 18 km de Tchernobyl, en Ukraine ? Un essai doit être réalisé pour vérifier la possibilité, en cas de perte du réseau électrique, d’alimenter les pompes de recirculation du réacteur par un groupe turbo alternateur. Cet essai devait être réalisé à une puissance de l’ordre de 20 % – 30 % de la puissance nominale. Le 25 avril 1986 Les opérateurs démarrent le processus de baisse de puissance pour se mettre dans les conditions de l’essai. Toutefois, à la demande du centre de distribution électrique, le réacteur est maintenu durant la journée à une puissance supérieure à celle requise par l’essai. À 23h00, les opérateurs engagent la réduction du niveau de puissance du réacteur pour atteindre les conditions d’essai mais ils ne réussissent pas à contrôler cette baisse de puissance. Ils décident donc d’extraire des grappes de contrôle, au-delà des limites autorisées, afin de remonter la puissance. À 01h00, le 26 avril, la puissance du réacteur est stabilisée à une puissance nettement inférieure à celle requise. L’équipe décide toutefois de réaliser l’essai. 25 avril 1986 Test lié à l’alimentation électrique sur le réacteur 4. Les conditions de sécurité ne sont pas respectées. 26 avril 1986 L’augmentation de puissance incontrôlée entraîne une explosion du réacteur et un incendie de graphite. Réacteur 4 Réacteur 4 L’ACCIDENT Le réacteur RBMK Il s’agit d’un réacteur de grande puissance de conception soviétique. Le graphite est utilisé comme modérateur et l’eau légère bouillante comme fluide caloporteur. Le combustible est de l’oxyde d’uranium enrichi en uranium-235. Chaque assemblage combustible est contenu dans un « tube de force » à l’intérieur duquel circule le fluide de refroidissement. La complexité du système de distribution et de collecte du fluide de refroidissement, la forte accumulation d’énergie thermique dans les structures métalliques et le graphite, l’absence d’enceinte de confinement, la difficulté de contrôle du cœur sont les inconvénients majeurs de ce type de réacteur. Il restait en 2023 11 réacteurs RBMK en exploitation, tous situés en Russie. 16 • Les cahiers Histoire de l’ASN • Novembre 2023

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