Projet d’avis de l’ASN relatif à l’anomalie de la composition de l’acier du fond et du couvercle de la cuve du réacteur EPR de la centrale nucléaire de Flamanville (INB n° 167)
26/07/2017 18:07
EPR Flamanville
Je suis absolument d'accord avec l'obligation de respecter, en la matière, le principe de précaution et donc de suspendre le processus de mise en service de cette centrale nucléaire. Les conséquences économiques d'une telle suspension, dues uniquement aux manquements des responsables de ce projet, ne doivent en aucun cas prévaloir sur le risque, si petit soit-il, d'un accident qui aurait pu être évité. Je ne peux pas imaginer que nos responsables politiques puissent nous faire courir ce risque. Qu'ils aient le courage de mettre en oeuvre une véritable transition énergétique et, pour le moins, que toutes conditions de sécurité soient réunies concernant cette centrale, ce qui n'est manifestement pas le cas!
26/07/2017 18:07
EPR = danger
Je m'indigne de savoir que les intérêts d'EDF et AREVA priment sur la sûreté nationale. On nous rabâche que le nucléaire est sans danger, or l'EPR de Flamanville va fonctionner jusque 2024 avec un couvercle défectueux, sans que l'on puisse surveiller son évolution !
Le principe de précaution doit prévaloir.
26/07/2017 18:07
Conformité de la cuve
La cuve est la pièce essentielle du réacteur. Sa qualité doit être impeccable ! Or, elle n’a pas les caractéristiques requises : rien ne permet de surveiller son évolution et de prévenir le risque d’une rupture brutale !
Dès 2005, AREVA et EDF étaient parfaitement au courant que l’usine Creusot Forge d’AREVA n’était pas en capacité de produire des pièces conformes aux normes de sûreté. C’est pourtant là que les pièces de l’EPR ont été fabriquées ! Ils ont laissé faire dans le silence…comment leur faire confiance ? Les intérêts de l’industrie nucléaire ne doivent pas passer avant la protection des populations !
La cuve ne doit pas être qualifiée avec son acier actuel. Le niveau de sûreté n’est pas satisfaisant, le principe de précaution doit prévaloir !
Nous n’acceptons pas la prise de risque que constitue l’utilisation de pièces comportant des anomalies. Le chantier doit être arrêté ! Nous, citoyens français, n’avons pas à payer le prix des erreurs stratégiques et techniques d’EDF et d’AREVA.
26/07/2017 18:07
Couvercle deffectueux, jouons, mais pas ensemble :
Le nucléaire possède deux avantages certains : il produit une quantité très importante d'énergie et ne rejette pas de CO2.
Mais possède également deux énormes inconvénients : il produit des déchets radioactifs dont on ne sait pas quoi faire et les conséquences en cas d'accident sont juste énorme (Tchernobyl et Fukushima pas besoin de faire de dessin).
Notre société, grosse consommatrice d'énergie, pose alors un problème certains pour notre transition énergétique. Il est urgent d'arrêter l’exploitation d'énergie émettrice de CO2 et de passer à de l'énergie propre pour notre futur. Le nucléaire est donc tentant et pourrait être une solution à court terme pour faire accélérer cette transition (la question des déchets restant tout de même un problème à long terme...).
MAIS, au vue des conséquences qu'engendre un accident nucléaire, il est inacceptable et inconscient de lancer une centrale nucléaire où l'on sait pertinemment qu'il y a une anomalie sur le couvercle de la cuve.
Pour ce foutu argent on est prêt à tout, lancer une centrale avec une anomalie, mettre en danger la population, la nature, le futur, notre futur.
Les bonhommes de l'ASN nous rassurent quand même, ce couvercle c'est que pour 6 ans, pourquoi pas, mais nous on est pas trop adepte des jeux de hasard.
26/07/2017 18:07
EPR
On ne veut pas d'une activité qui va empoisonner les générations à venir !
26/07/2017 18:07
Projet d’avis de l’ASN relatif à l’anomalie de la composition de l’acier du fond et du couvercle de la cuve du réacteur EPR de la centrale nucléaire de Flamanville
La cuve est la pièce essentielle du réacteur. Sa qualité doit être impeccable ! Or, elle n’a pas les caractéristiques requises : rien ne permet de surveiller son évolution et de prévenir le risque d’une rupture brutale !
Dès 2005, AREVA et EDF étaient parfaitement au courant que l’usine Creusot Forge d’AREVA n’était pas en capacité de produire des pièces conformes aux normes de sûreté. C’est pourtant là que les pièces de l’EPR ont été fabriquées ! Ils ont laissé faire dans le silence…comment leur faire confiance ? Les intérêts de l’industrie nucléaire ne doivent pas passer avant la protection des populations !
La cuve ne doit pas être qualifiée avec son acier actuel. Le niveau de sûreté n’est pas satisfaisant, le principe de précaution doit prévaloir !
Nous n’acceptons pas la prise de risque que constitue l’utilisation de pièces comportant des anomalies. Le chantier doit être arrêté ! Nous, citoyens français, n’avons pas à payer le prix des erreurs stratégiques et techniques d’EDF et d’AREVA.
26/07/2017 18:07
Que les responsables de la filière nucléaire sachent prendre du recul et envisager des alternatives qui ne risquent pas de détruire les hommes, l'économie de la France...
La cuve est la pièce essentielle du réacteur. Sa qualité doit être impeccable ! Or, elle n'a pas les caractéristiques requises : rien ne permet de surveiller son évolution et de prévenir le risque d'une rupture brutale !
Dès 2005, AREVA et EDF étaient parfaitement au courant que l'usine Creusot Forge d'AREVA n'était pas en capacité de produire des pièces conformes aux normes de sûreté. C'est pourtant là que les pièces de l'EPR ont été fabriquées ! Ils ont laissé faire dans le silence...comment leur faire confiance ? Les intérêts de l'industrie nucléaire ne doivent pas passer avant la protection des populations !
La cuve ne doit pas être qualifiée avec son acier actuel. Le niveau de sûreté n'est pas satisfaisant, le principe de précaution doit prévaloir !
Nous n'acceptons pas la prise de risque que constitue l'utilisation de pièces comportant des anomalies. Le chantier doit être arrêté ! Nous, citoyens français, n'avons pas à payer le prix des erreurs stratégiques et techniques d'EDF et AREVA.
26/07/2017 18:07
danger
La cuve est la pièce essentielle du réacteur. Sa qualité doit être impeccable ! Or, elle n’a pas les caractéristiques requises : rien ne permet de surveiller son évolution et de prévenir le risque d’une rupture brutale !
Dès 2005, AREVA et EDF étaient parfaitement au courant que l’usine Creusot Forge d’AREVA n’était pas en capacité de produire des pièces conformes aux normes de sûreté. C’est pourtant là que les pièces de l’EPR ont été fabriquées ! Ils ont laissé faire dans le silence…comment leur faire confiance ? Les intérêts de l’industrie nucléaire ne doivent pas passer avant la protection des populations !
La cuve ne doit pas être qualifiée avec son acier actuel. Le niveau de sûreté n’est pas satisfaisant, le principe de précaution doit prévaloir !
Nous n’acceptons pas la prise de risque que constitue l’utilisation de pièces comportant des anomalies. Le chantier doit être arrêté ! Nous, citoyens français, n’avons pas à payer le prix des erreurs stratégiques et techniques d’EDF et d’AREVA.
26/07/2017 18:07
cuve APR
AREVA est "le fleuron de l'industrie nucléaire".
Ok.
Mais pour ce qui est de la fonderie, on peut dire que c'est un débutant.
La cuve est la pièce essentielle du réacteur. Sa qualité doit être impeccable ! Or, elle n'a pas les caractéristiques requises : rien ne permet de surveiller son évolution et de prévenir le risque d'une rupture brutale !
"AREVA prône la transparence"
ça c'est ce qu'ils racontent. Comment se fait-il que dès 2005, AREVA et EDF étaient parfaitement au courant que l’usine Creusot Forge d’AREVA n’était pas en capacité de produire des pièces conformes aux normes de sûreté et que nous l'avons su qu'une fois la cuve posée ?
C’est pourtant là que les pièces de l’EPR ont été fabriquées ! Ils ont laissé faire dans le silence...comment leur faire confiance ? Les intérêts de l’industrie nucléaire ne doivent pas passer avant la protection des populations !
La cuve ne doit pas être qualifiée avec son acier actuel. Le niveau de sûreté n'est pas satisfaisant, le principe de précaution doit prévaloir !
Nous n'acceptons pas la prise de risque que constitue l'utilisation de pièces comportant des anomalies. Le chantier doit être arrêté !
Nous, citoyens français, n’avons pas à payer le prix des erreurs stratégiques et techniques d’EDF et AREVA.
26/07/2017 18:07
On ne fait pas de compromis avec la sécurité du nucléaire
Dans aucun cas et sous aucun prétexte.
26/07/2017 18:07
Projet d’avis de l’ASN relatif à l’anomalie de la composition de l’acier du fond et du couvercle de la cuve du réacteur EPR de la centrale nucléaire de Flamanville
La cuve est la pièce essentielle du réacteur. Sa qualité doit être impeccable ! Or, elle n’a pas les caractéristiques requises : rien ne permet de surveiller son évolution et de prévenir le risque d’une rupture brutale !
Dès 2005, AREVA et EDF étaient parfaitement au courant que l’usine Creusot Forge d’AREVA n’était pas en capacité de produire des pièces conformes aux normes de sûreté. C’est pourtant là que les pièces de l’EPR ont été fabriquées ! Ils ont laissé faire dans le silence…comment leur faire confiance ? Les intérêts de l’industrie nucléaire ne doivent pas passer avant la protection des populations !
La cuve ne doit pas être qualifiée avec son acier actuel. Le niveau de sûreté n’est pas satisfaisant, le principe de précaution doit prévaloir !
Nous n’acceptons pas la prise de risque que constitue l’utilisation de pièces comportant des anomalies. Le chantier doit être arrêté ! Nous, citoyens français, n’avons pas à payer le prix des erreurs stratégiques et techniques d’EDF et d’AREVA.
26/07/2017 18:07
EPR
On sait qu'il y a un défaut, stop on arrête tout avant la catastrophe, Tchernobyl et les autres ne vous suffisent pas, et bien moi si j'en suis a mon 5 éme cancer c'est bon, avec Tchernobyl on nous a bien mentis en disant que cela c’était arrêté aux frontières de la France mais vraiment pour qui on nous prend,
Votre titre est autorité de sureté nucléaire cela est incompatible sureté et nucléaire ne couchent pas ensemble le nucléaire n'est pas sur et ne le sera jamais, merci de votre attention
26/07/2017 18:07
Couvercle et fonds de cuve de L'EPR. Jean Fluchère, ancien Directeur adjoint puis Directeur du CNPE du Bugey
En 2015, comme on pourra le voir dans les extraits de la réunion de l'OPECST en PJ, deux sujets ont été abordés.
Le premier concernait l'évolution de la réglementation et le second les problèmes posés par les ségrégations de carbone sur le fonds et le couvercle de cuve de l'EPR.
Ces problèmes ont été particulièrement bien exposés pour qui veut se donner la peine de lire le rapport.
Au cours de cette audition, AREVA s'est engagé à réaliser un programme d'essais sur deux couvercles sacrificiels fabriqués dans les mêmes conditions que celui de Flamanville 3. Ce programme était soumis par l'ASN à l'IRSN qui devait en vérifier la complétude avant de lancer les essais proposés par AREVA.
Ces essais ont été faits, y compris les études de chargement pendant les cyclages thermiques les plus importants.
Les résultats obtenus par AREVA ont été rendus à l'ASN et analysés par l'IRSN. A la suite de quoi, ils ont été présentés à un large panel de spécialistes en métallurgie et au groupe permanents des Equipements sous pression nucléaire.
Les avis rendus par les spécialistes ont permis à l'ASN de considérer que le fonds de cuve était accepté et que le couvercle pouvait être utilisé pendant 5 ans avant un remplacement sauf si EDF trouvait un dispositif permettant de contrôler son évolution en service.
Jamais une industrie, y compris aéronautique, n'avait conduit des analyses, des essais sacrificiels et des études si poussées.
Mon avis est donc favorable à la prise de position de l'ASN en qui j'ai toute confiance.
EXTRAITS DE LA REUNION DE L’OPECST DU 25 JUIN 2015
Le 25 juin 2015, l’OPECST a organisé une réunion sur le problème des ségrégations de carbone affectant le couvercle et le fonds de cuve de l’EPR de Flamanville 3.
Cette réunion a été organisée en 2 tables rondes.
PREMIÈRE TABLE RONDE : LES MODALITÉS DU CONTRÔLE DES ÉQUIPEMENTS SOUS PRESSION NUCLÉAIRES
Présidence : M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST.
Grand témoin : M. Yves Bréchet haut-commissaire à l’énergie atomique.
Au cours de cette table ronde se sont exprimés :
M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN)
M. Nicolas Chantrenne, sous-directeur des risques accidentels, direction générale de la prévention des risques, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
M. Dominique Delattre, chef de l’Unité des publications en matière de sûreté et de sécurité nucléaires, département de la sûreté et la sécurité nucléaires, Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)
Mme Cécile Laugier, présidente de l’Association française pour les règles de conception, de construction et de surveillance en exploitation des matériels des chaudières électronucléaires (AFCEN)
M. Jean-Philippe Longin, président de l’Association pour la qualité des appareils à pression (AQUAP).
Je retiens de l’intervention de Mme Laugier :
Le code RCC-M est aujourd’hui le seul code nucléaire codifiant la qualification technique de pièces… Le fait que le code français décrive la qualification est, encore aujourd’hui, sans équivalent dans les exigences posées par les autres codes nucléaires.
Cela veut dire qu’il y a plus d’exigence dans notre code français que dans la plupart des codes comparables.
Dès sa première édition de 1980, pour les pièces dont le processus de fabrication peut mener à des hétérogénéités, le RCC-M a fait le choix d’introduire un processus de qualification. Il s’agit de caractériser la pièce dans les zones où les propriétés du matériau doivent être suffisantes vis-à-vis des conditions d’emploi de la pièce. Ce principe n’est pas repris et n’est pas décrit de cette manière dans d’autres codes, nous pensons en particulier à ceux de l’ASME ou au CODAP (programme de l’OCDE/NEA), ni dans le cadre de l’industrie conventionnelle, ni même dans les normes européennes citées.
La qualification a pour but de vérifier l’efficacité d’une gamme de fabrication donnée, de satisfaire le niveau de qualité requis et d’apporter les éléments qui permettent de confirmer que le processus de fabrication est bien maîtrisé par le fournisseur de matériaux…
Une caractéristique importante du code est de rester évolutif.
Actuellement, nous travaillons en lien étroit avec l’ASN pour compléter le code RCC-M afin que ses prochaines versions s’approchent, vers 2016-2018, d’une complète conformité avec la réglementation.
Depuis 2007, l’AFCEN a introduit dans le RCC-M des annexes qui améliorent sa correspondance avec les exigences essentielles fixées par la réglementation française. Nous avons également fait un effort en publiant récemment un document, appelé Criteria, qui les explique.
Ce sont les difficultés rencontrées par les fabricants pour l’obtention des premières attestations de conformité pour les équipements de niveau 1, les plus importants, qui ont conduit l’AFCEN à mettre en place ce programme technique approfondi.
Il est destiné à conforter l’aptitude du code à traduire les exigences réglementaires, à l’adapter pour les utilisateurs français quand cela apparaît nécessaire à la « justification » de leurs opérations, et à établir, le cas échéant, des documents complémentaires, lorsque les prescriptions ne sont pas assez précises.
Nous avons prévu un programme de travail pour fixer la liste des pièces nécessitant une qualification technique au cas par cas.
Ce travail sera réalisé conjointement avec l’ASN.
Nous ferons également évoluer le contenu de notre code, notamment pour fixer la démarche qui permettra d’apporter la justification « en tous points », qui est celle que les utilisateurs français doivent maintenant respecter.
Je terminerai mon propos en rappelant que notre association édite ces règles techniques depuis plus de trente ans, qu’elle a été initialement fondée par Areva et EDF, mais s’est largement ouverte à l’international.
Notre code reste au meilleur niveau.
Il comprend des exigences, notamment autour de la qualification des pièces les plus complexes, sans équivalent dans d’autres codes.
Nous sommes engagés aujourd’hui, en lien étroit avec l’ASN, dans un important travail technique pour le compléter et nous approcher de l’adéquation à la réglementation.
Mme Laugier, dans son exposé, fait très bien ressortir que les exigences françaises sont sans équivalent dans les autres codes mondiaux et notamment l’ASME, qui est sans contexte le code le plus fréquemment utilisé.
Le grand témoin, Mr Yves Bréchet, Haut-Commissaire du CEA intervient à la suite de ces auditions.
M. Yves Bréchet.
J’ai l’impression, en entendant Mme Cécile Laugier, que nous sommes dans une configuration où nous pouvons à la fois respecter l’indépendance indispensable de l’autorité de sûreté, et prendre en compte les aspects techniques qui font qu’un règlement peut être plus ou moins difficile à examiner et à mettre en œuvre. Comment le faire en pratique ? Comment l’interaction entre l’AFCEN et l’Autorité de sûreté nucléaire se déroule-t-elle ?
Mme Cécile Laugier.
Le lien entre les codes et la réglementation est effectivement important. L’association professionnelle qu’est l’AFCEN rédige des recueils de règles techniques qui sont conçus pour être utiles aux utilisateurs. Ils doivent reproduire un certain nombre d’exigences mises en commun et également les aider le plus possible à s’approcher de ce qu’ils doivent respecter sur le plan réglementaire. C’est l'une des raisons pour lesquelles nous avons des échanges avec l’ASN et son appui technique (l’IRSN) qui sont des invités permanents à nos groupes de travail d’experts.
Il arrive notamment aux représentants de l’IRSN de venir en observateur, même s’ils ne participent pas directement aux travaux. Ils sont des observateurs attentifs, avisés et souvent très intéressés par ces débats techniques entre experts qui donnent des informations utiles sur l’évolution de l’état de l’art.
Nos codes sont très formellement référencés dans les dossiers déposés par l’exploitant nucléaire. L’Autorité de sûreté nucléaire a, bien sûr, un droit de regard. Il arrive très régulièrement qu’elle formule des demandes de modification. Nous les prenons en compte. Cela explique pourquoi le code évolue, même s’il n’est pas un équivalent de la réglementation.
M. Yves Bréchet.
Quel est le point de vue de l’Autorité de sûreté nucléaire sur cette question ?
M. Pierre-Franck Chevet.
Nous avons un certain nombre d’échanges pour que le code évolue. Il inclut des références très anciennes alors que la nouvelle réglementation impose un certain nombre d’exigences supplémentaires.
Nous discutons actuellement pour qu’il y ait le plus de cohérence possible entre la réglementation et les pratiques industrielles, celles-ci ne pouvant rester durablement en l’état.
M. Jean-Yves Le Déaut. Président de l’OPECST.
Pour compléter les propos de M. Pierre-Franck Chevet qui a indiqué, ce qui semble clair, que l’anomalie n’était pas réglementaire, pourriez-vous préciser si la réglementation applicable aux ESPN est la même en France et dans d’autres pays dotés du même type de réacteur, par exemple en Chine ?
M. Pierre-Franck Chevet.
Je ne saurais vous répondre sur la Chine. J’obtiendrai peut-être l’information plus tard. Je peux simplement dire que nous avons averti nos homologues chinois, lorsque l’anomalie a été confirmée. Avec quelques spécialistes, j’ai eu l’occasion, durant une ou deux heures, de la leur présenter en détail. Pour eux, le problème semblait clair. L’idée générale de notre réglementation, tout comme des différents codes dans le monde, est de viser les meilleures caractéristiques possibles pour un certain nombre de matériaux, a fortiori pour les composants dont la rupture est exclue…
Néanmoins, cette capacité des matériaux à résister à la rupture brutale se retrouve, avec quelques variantes, dans toutes les codifications.
M. Yves Bréchet.
Sans aborder le problème spécifique de l’anomalie de la cuve EPR, je suis tout à fait d’accord avec les propos de M. Pierre-Franck Chevet : il faut que les difficultés soient mises sur la table. Nous ne pouvons pas ne pas parler des problèmes. Si tout allait bien, nous n’aurions pas aujourd’hui ce débat sur la réglementation relative aux EPSN. Un certain nombre de réticences existent, de la part des industriels, vis-à- vis de l’application de ces règlements.
Nous n’allons pas faire semblant de l’ignorer. J’aimerais que ce soit explicité.
Pardonnez-moi d’insister, mais j’aimerais que soient mis clairement sur la table les reproches qui sont faits concernant les modalités du contrôle des équipements sous pression nucléaires.
J’en connais qui sont justifiés, et d’autres qui le sont beaucoup moins.
Nous venons d’entendre tout ce qui se déroule bien. Il se trouve que, pour les opérateurs, c’est un sujet qui pose problème en termes de mise en œuvre réelle sur le parc.
Nous ne résoudrons peut- être pas la question aujourd’hui mais il faut au moins qu’elle soit posée dans cette instance.
Je n’ai jamais vu un problème se résoudre sans qu’il soit explicité.
SECONDE TABLE RONDE : LE CAS DE LA CUVE DU RÉACTEUR EPR
Présidence : M. Christian Bataille, député, vice-président de l’OPECST
Grand témoin : M. Yves Bréchet haut-commissaire à l’énergie atomique
M. Thomas Pardoen, professeur, Université catholique de Louvain
M. Bertrand de l’Epinois, directeur des normes de sûreté d’Areva
M. Laurent Thieffry, directeur du projet de Flamanville 3
M. Rémy Catteau, directeur des équipements sous pression, Autorité de sûreté nucléaire (ASN)
M. Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)
M. Patrick Dumaz, chef du programme de réacteurs de deuxième et troisième générations, direction de l'énergie nucléaire, Commission à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)
M. Thomas Pardoen, professeur, Université catholique de Louvain
Sur la première planche, la courbe présentée montre l’évolution de l’énergie d’impact, l’énergie qu’il a fallu dissiper dans le matériau – ici un acier ferritique de cuve – pour réussir à le déchirer, en fonction de la température. À basse température, bien en-dessous des températures d’utilisation d’une cuve, l’énergie de rupture est très faible. Cela correspond au régime de la rupture fragile, qu’il faut chercher à éviter. Au-dessus d’une certaine température, le matériau passe par une transition et arrive dans un régime dit ductile où l’énergie d’impact est nettement supérieure, dans certains cas de plusieurs centaines de joules.
La deuxième planche comporte plusieurs courbes, correspondant à des compositions en carbone différentes, de 0,01 %, 0,11 % et 0,22 %. Plus il y a de carbone, plus la résistance à la rupture et l’énergie d’impact diminuent dans la partie ductile. De plus, la température à laquelle se produit le basculement dans le régime fragile est de plus en plus haute. La valeur réglementaire de 60 joules évoquée est également indiquée. Ce graphe ne correspond toutefois pas à l’acier spécifique de la cuve de Flamanville.
Pour obtenir l’énergie de rupture, une petite entaille est pratiquée sur des échantillons de matière afin de créer des conditions très sévères. Celle-ci va concentrer le chargement produit par un mouton-pendule. Il suffit ensuite de mesurer l’énergie qui aura été dissipée pour briser la pièce. Dans le cas d’une cuve de réacteur, cette énergie doit être supérieure à 60 joules….
Pour conclure, le taux de carbone est représentatif d’une chute de la ductilité et de la résilience dans le régime ductile. Avoir plus de carbone a de multiples implications. N’ayant vu aucun document technique détaillé sur la cuve de l’EPR, je ne suis pas capable, à ce stade, de déterminer ce que ce carbone modifie de la structure de la matière ni donc ce qui pourrait expliquer précisément pourquoi nous pourrions avoir cette perte de ténacité.
Nous n’avons évoqué qu’un seul aspect du problème : la force de résistance du matériau. Il faut aussi prendre en compte le chargement nécessaire pour que des fissures apparaissent et se propagent. C’est uniquement si ce chargement est supérieur à la résilience du matériau considéré que cela se produira. Le caractère conservatif de l’analyse résulte de la distance entre le chargement réellement appliqué et la valeur de la propriété du matériau. Dans le cas qui nous occupe, pour la pièce spécifique du fond de cuve, les propriétés semblent effectivement basses, mais quel est le niveau exact de chargement nécessaire pour faire apparaître des fissures, et éventuellement les propager ?
M. Bertrand de l’Epinois, directeur des normes de sûreté d’Areva.
Avant d’aborder le sujet de la concentration en carbone, il semble utile de rappeler que, sur un certain nombre de sujets importants en matière de sûreté, la cuve de l’EPR réalise des progrès substantiels.
D’abord, il n’existe aucune traversée en fond de cuve, les tubes d’instrumentation passant par le couvercle.
Ensuite, le flux de neutrons sur les viroles de cuve baisse significativement, grâce à une plus grande épaisseur d’eau et à un réflecteur lourd de neutrons.
Nous avons aussi réduit le nombre de soudures. C’est un point important.
Enfin, des progrès sensibles sur la composition moyenne du matériau de la cuve, notamment en soufre et en phosphore, ont été réalisés.
Ces innovations s’ajoutent à celles, plus générales, de l’EPR en matière de sûreté, précédemment évoquées par M. Pierre Franck Chevet.
La question de la concentration en carbone dans les calottes de cuve ne doit pas masquer ces avancées. La cuve de l’EPR participe pleinement au progrès de sûreté visé par ce réacteur.
Venons-en maintenant au cœur du sujet qui concerne les deux calottes, le fond et le couvercle de la cuve, sur lesquelles, en partie centrale et à l’extérieur, se trouvent des ségrégations positives, c’est-à-dire des concentrations en carbone supérieures à la moyenne et aux spécifications. L’existence de ségrégations positives ou négatives –quand il n’y a pas assez de carbone– est un phénomène connu dans les pièces forgées épaisses. Il a fait l’objet de nombreuses études. Il est pris en compte dans la conception des pièces. C’est un phénomène inhérent, en particulier, au procédé mis en œuvre pour forger ces deux pièces de la cuve de l’EPR. Nous pourrons revenir, à l’occasion du débat, sur la question des lingots, des procédés et des évolutions de procédés dans le temps….
Quels sont les enjeux de sûreté de la ségrégation ? L’augmentation de la concentration en carbone durcit le matériau qui aura une plus grande résistance mécanique. La pièce aura plus de résistance à la pression. En revanche, elle sera plus sensible à ce qui a été décrit, à la rupture fragile ou à la rupture brutale. Nous devons tenir compte de deux phénomènes dans la conception de ces pièces. Elles doivent, d’une part, résister à la pression, avec une bonne résistance mécanique de l’acier et une bonne épaisseur, et, d’autre part, être le moins possible susceptibles de ruptures brutales ou fragiles. Il faut avoir suffisamment de carbone mais pas trop. Il faut ajuster l’équilibre entre les différentes zones.
Comme cela a été indiqué, la rupture brutale n’intervient que si trois conditions sont simultanément réunies : l’existence d’un défaut à l’origine – typiquement une fissure –, une température basse, et un chargement mécanique important, au regard de la fissure et des caractéristiques du matériau. Pour ce qui est de la température, le risque de rupture brutale suppose qu’elle soit suffisamment basse pour que le matériau se situe dans son domaine fragile. Ces trois conditions sont indispensables….
Des contrôles à 100 % sont réalisés, par différents moyens, en fin de fabrication, dans toute l’épaisseur du métal et sur toute sa surface. Ils n’ont révélé aucun défaut. Il n’y a pas a priori de fissure venant de la fabrication. De plus, la partie externe correspond à des zones dans lesquelles nous n’attendons pas de créations ou de propagations de défauts en fonctionnement.
En application de l’arrêté ESPN, l’ASN nous a demandé de vérifier les valeurs en résilience dans l’ensemble de la pièce. La résilience est liée à la concentration en carbone. Ces contrôles ont montré des écarts par rapport aux 60 joules mentionnés par l’arrêté. La concentration en carbone atteignant 0,28 % dans la partie extérieure, se trouvait en excès par rapport à nos spécifications, puisque nous cherchons à rester entre 0,18 % et 0,22 %. À la suite de ces contrôles, nous avons proposé un programme d’essais complémentaires, en cours d’instruction par l’ASN. Nous espérons le lancer dans les prochaines semaines et dans les prochains mois, lorsque nous aurons obtenu le feu vert pour l’engager.
Ces essais consistent en une caractérisation métallurgique approfondie d’une pièce analogue, dans toute l’épaisseur et dans toute la zone centrale. À minima, une centaine d’éprouvettes seront réalisées pour mesurer en tous points la teneur en carbone, la résilience ainsi que la ténacité. La résilience est simple à mesurer pour les essais de recettes, ainsi que l’allongement à la rupture. Nous procédons toujours de cette manière. En revanche, la ténacité est la vraie grandeur physique exprimant la capacité du matériau à résister à la propagation d’une fissure sous température basse et sous un chargement important. Un grand nombre de mesures de ténacité seront réalisées lors de ces essais de caractérisation.
Ce programme complémentaire comportera également un volet d’étude de conception, incluant une analyse exhaustive de tous les chargements et des calculs de mécanique, prenant en compte les caractéristiques réelles du matériau, mesurées sur la pièce d’essai, afin de montrer l’aptitude à l’emploi de celle-ci. Ces calculs de mécanique sont effectués en faisant l’hypothèse de la présence d’un défaut : une fissure qui n’aurait pas été identifiée lors du contrôle, bien que tout ait été fait pour qu’il n’y en ait pas. Nous établirons un dossier d’aptitude à l’emploi sur la base de ce programme complémentaire, qui sera transmis à l’ASN en vue de sa décision.
M. Laurent Thieffry, directeur du projet de Flamanville 3.
L’ensemble des composants du circuit primaire est en place : cuve, générateurs de vapeur et pressuriseur. Les soudages des boucles primaires sont en cours d’achèvement. Les montages électromécaniques sont effectués à cadence industrielle, avec plus de 4 000 personnes présentes sur le site.
À ce stade, il me paraît important de préciser que, s’agissant du haut niveau d’exigence propre à l’industrie nucléaire, chaque opération réalisée sur ce projet donne lieu à des contrôles, dont certains exercés directement par l’Autorité de sûreté nucléaire ou les organismes notifiés par cette dernière.
Nous ne passons à l’étape suivante que si les résultats de l’étape précédente sont positifs, moyennant, le cas échéant, le traitement préalable de tout écart. Bien évidemment, l’ensemble de ce processus donne lieu à une traçabilité et à une transparence totale de chacun des événements….
Cette précision étant donnée, j’en viens à la fabrication de la cuve de l’EPR de Flamanville 3.
Elle est constituée d’un fond hémisphérique, de viroles cylindriques soudées entre elles et au fond, ainsi que d’un couvercle. L’ensemble mesure un peu moins de quatorze mètres de hauteur, pour un peu moins de six mètres de diamètre, et son poids total atteint environ 550 tonnes.
Nous sommes donc face à un ensemble de grande dimension.
EDF a confié la construction des chaudières nucléaires de l’EPR de Flamanville 3 à Areva, dans le cadre d’un marché notifié en 2005.
Les composants de la cuve ont été conçus et fabriqués conformément aux référentiels techniques en vigueur au moment de leur fabrication, à savoir le code de conception et de construction nucléaire dit RCC-M – élaboré par l’AFCEN sur la base des meilleures pratiques mondiales – notamment par l’application de son chapitre dit M140, consacré à la qualification.
Les approvisionnements des pièces forgées constitutives de cet équipement ont été lancés par Areva dès 2005.
Le fond et le couvercle sont issus de pièces de forge fabriquées dans l’usine du Creusot en 2006 et 2007. Dans ce cadre, les dossiers de synthèse et de qualification M140, la démonstration de la conformité finale de la pièce à son référentiel de conception de fabrication ont été établis, pour le couvercle et le fond de cuve, en 2010.
La fabrication du corps de la cuve s’est achevée à l’été 2013, à l’issue d’une épreuve hydraulique réalisée avec succès en usine.
Comme expliqué précédemment, au titre de sa responsabilité d’exploitant nucléaire, EDF a exercé, comme prévu par le code RCC-M, une surveillance de ces fabrications aux trois étapes clés du processus de qualification. Tout d’abord au stade du dossier technique initial élaboré par Areva, comprenant la description du programme de fabrication et du programme d’essais associés destiné à vérifier la conformité en finale ; ensuite, en phase de fabrication, pour vérifier en usine que les opérations de fabrication sont bien réalisées conformément au dossier technique –cette surveillance inclut aussi une composante documentaire afin de s’assurer de l’applicabilité et de la conformité des modes opératoires utilisés.
EDF a ainsi surveillé l’intégralité des opérations de forgeage et de chutage, ainsi que la totalité des essais mécaniques de recette des composants de la cuve de Flamanville 3. Enfin EDF a surveillé l’élaboration des rapports de qualification qui ont conclu, en phase finale du processus, à la conformité des composants de la cuve à leur référentiel technique de fabrication.
Passons maintenant à l’application de la réglementation ESPN. L’arrêté ESPN a été pris en 2005 mais les modalités de la qualification technique réglementaire associée n’ont pas été décrites dès sa mise en application. L’arrêté prévoyait d’ailleurs une période de transition.
Certaines de ces modalités d’application ont été formalisées en 2011, après la fin de la fabrication des composants de la cuve de Flamanville 3.
C’est en particulier le cas avec l’exigence que les normes quantifiées de l’arrêté ESPN soient désormais atteintes en tout point de la cuve.
Cela suppose donc des essais de recettes plus nombreux, sur plusieurs zones. Des caractéristiques mécaniques différentes restent acceptables, sous réserve de démonstration de l’absence de conséquences, comme c’était déjà le cas avec la réglementation antérieure. Le chapitre M140 du code RCC-M, référentiel technique utilisé pour la synthèse de la qualification au moment de la fabrication de la cuve de Flamanville 3, entre 2006 et 2010, n’intègre pas cette exigence nouvelle, car elle visait l’aptitude à l’emploi de la pièce, en vérifiant les propriétés uniquement dans les zones les plus sollicitées.
C’est d’ailleurs là une évolution significative et positive de la nouvelle réglementation ESPN.
L’ASN a donc demandé à Areva d’appliquer ces nouvelles modalités sur les composants de la cuve de Flamanville 3.
Pour y répondre, Areva a proposé, fin 2012, de réaliser des essais complémentaires sur la matière prélevée sur un couvercle similaire à celui de Flamanville 3, dans des zones non examinées en recette auparavant.
Les résultats de ces essais ont été obtenus au dernier trimestre 2014. C’est à l’occasion de ces essais complémentaires, au titre de la réglementation ESPN, qu’Areva a identifié un écart sur certaines caractéristiques métallurgiques, du fait de la ségrégation en carbone située au centre et en partie externe du couvercle.
Areva en a informé EDF et l’ASN et a proposé une analyse de la conception de la fabrication ainsi qu’un programme d’essais complémentaires pour démontrer – comme le prévoit la réglementation – l’importance des marges existantes face à tout risque pour la cuve. Ce programme d’essai fera, bien sûr, l’objet d’une vérification par l’Autorité de sûreté nucléaire avant toute réalisation.
M. Rémy Catteau, directeur des équipements sous pression, Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
…. La cuve fait l’objet d’une hypothèse particulière et majeure dans la démonstration de sûreté : l’hypothèse d’exclusion de rupture. Les conséquences de la défaillance de la cuve ne sont pas prises en compte dans la démonstration de sûreté. Pour être clair, la défaillance de la cuve n’est pas postulée.
Le dernier enjeu n’est pas, à proprement parler, lié à la sûreté : le corps de la cuve ne peut être remplacé une fois le réacteur mis en service ; du moins aucune cuve ne l’a été jusqu’à présent dans le monde. Une fois que le réacteur démarre avec une cuve, il s’arrêtera, très vraisemblablement, avec la même cuve.
Ces enjeux majeurs impliquent nécessairement le respect d’exigences fortes en matière de conception, de fabrication et de contrôle en service ; nous sommes là dans une démarche de défense en profondeur.
Nous voulons une excellente conception, avec de très fortes garanties, permettant de dégager des marges importantes. Il faut une très grande qualité de fabrication, permettant d’assurer que les hypothèses posées à la conception sont effectivement validées.
Cela permet de garantir que les défauts restants de la cuve sont négligeables et que la conception permet de vivre avec ces défauts. Il faut, enfin, un excellent contrôle en service, le but étant de vérifier que ce qui a été prévu à la conception et à la fabrication se déroule bien pendant toute la durée de vie de la cuve et qu’il n’y a pas d’autres phénomènes qui n’auraient pas été prévus.
J’en viens à l’anomalie. Il s’agit d’une anomalie technique : une ségrégation majeure positive de l’ordre de 50 %. C’est un niveau inattendu, très supérieur à ceux que nous avons rencontrés jusqu’à présent. Nous connaissons des ségrégations de ce type sur le parc en exploitation d’EDF qui sont de l’ordre de 20 % à 25 %. Les procédés de fabrication antérieurs ont permis de limiter ces ségrégations.
La demande d’essais complémentaires formulée par l’ASN s’inscrit dans la réglementation actuelle, datant de 2005. C’est elle qui a permis de détecter cette anomalie. À partir du moment où cette anomalie est détectée, c’est un sujet technique qui doit être traité, quelle que soit la réglementation, la précédente ou l’actuelle. C’est un problème qui aurait également été traité par les autres autorités de sûreté dans le monde. Il n’y a pas de doute là-dessus.
Nous attendons aujourd’hui qu’Areva justifie que les propriétés du matériau dans cette zone sont suffisantes pour un usage nucléaire, sur un équipement soumis à une présomption d’exclusion de rupture. …
Nous avons reçu un dossier en mai 2015 que nous instruisons avec l’IRSN. Nous n’en sommes encore qu’au début de l’instruction, celui des questions que nous avons formulées à Areva. Nous avons reçu une partie des réponses.
Je vous propose de détailler quelques-unes de nos grandes interrogations à ce stade.
La première concerne la caractérisation de la zone ayant une concentration de carbone plus importante qu’attendu, et, en particulier, de son positionnement. Nous voulons être certains qu’elle est bien localisée au centre, et en partie supérieure. Le sujet serait encore plus critique si elle se trouvait en partie inférieure.
Nous souhaitons avoir une connaissance, avec de fortes garanties, des propriétés mécaniques de la zone. Ce sont celles relatives au risque de rupture brutale, mais également toutes les autres. Je pense, par exemple, au vieillissement. Cette cuve a une durée de vie de soixante ans au minimum. Nous voulons être sûrs que, aujourd’hui, les propriétés mécaniques de ce matériau sont bien celles que nous imaginons pour dans soixante ans. C’est d’autant plus crucial, que ce matériau présente des ségrégations positives majeures s’écartant assez fortement des matériaux connus jusqu’à présent dans le parc nucléaire. Je confirme que nous étudions également tout ce qui est chargement, donc les sollicitations qui s’appliquent sur cette zone.
Nous souhaitons avoir une vue large des types de sollicitations qui sont déterminantes pour ce type de problème.
Areva va mener une campagne d’essais, majoritairement destructifs. Une fois ceux-ci réalisés, les pièces d’essai seront détruites. Sauf à les remplacer, ces essais ne peuvent être conduits sur les calottes de la cuve de Flamanville. Elles le seront donc sur des calottes initialement destinées à d’autres EPR.
Une question majeure porte sur la représentativité de ces pièces d’essai par rapport à celles du réacteur de Flamanville. Nous attendons une démonstration robuste qui nous apporte des garanties et une quasi-certitude.
M. Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
La cuve est évidemment un composant absolument essentiel. Sa conformité repose notamment sur le respect de critères relatifs à la réglementation des appareils à pression. Certains de ces critères ne sont pas satisfaits en certains points. Pour aller plus loin, nous devons démontrer que la cuve telle qu’elle est, avec ses zones plus fortement ségrégées, présente une résistance suffisante, avec des marges de sûreté suffisantes, en situation normale et accidentelle, les situations normales incluant aussi des essais à froid de l’appareil à pression que constitue la cuve.
Pour cela, il faut parvenir à déterminer précisément les caractéristiques mécaniques des zones ségrégées, et apprécier l’impact de cette ségrégation, au regard des exigences de la démonstration de sûreté.
Je ne parle plus des caractéristiques métallurgiques, mais de démonstration de sûreté.
C’est en ce sens qu’Areva s’est engagée, à la demande de l’Autorité de sûreté nucléaire, à définir un programme d’essai. Ce dernier doit être suffisamment complet et apporter assez d’éléments probants, en suffisamment de points de la cuve, pour permettre de déterminer finement les caractéristiques mécaniques de la zone ségrégée, en présumant que la cuve de Flamanville a été fabriquée exactement selon le même procédé que les pièces qui vont être détruites pour ces examens. Ces données seront donc représentatives. Cela permettra à Areva de proposer une évaluation de la ténacité minimum locale qui existe réellement au sein de cette pièce, ou de ces pièces, puisque nous allons tester les deux calottes de la cuve.
Cela ne suffit pas. Il faut pouvoir disposer, en complément de ces données, d’une démarche de justification, en termes de sûreté.
Areva doit donc également proposer un niveau minimum de ténacité, compte tenu de la conception de la cuve, de telle sorte que la rupture soit évitée en toutes circonstances, en supposant l’existence d’un défaut. Nous savons que ce dernier n’existe pas mais c’est le principe même de la démonstration.
Nous comparerons ensuite les résultats expérimentaux, qui ne sont pas encore connus, à ces valeurs qui devraient être déterminées de manière théorique, pour vérifier que les niveaux sont suffisants. L’IRSN est ensuite chargé de mener une contre-expertise de ce travail réalisé par Areva.
C’est l’objet de la saisine de l’ASN. Nous effectuerons nos propres calculs, de sorte que l’ASN, ainsi que les groupes permanents, puissent disposer, comme d’habitude, d’un avis du fabricant, sous le contrôle de l’exploitant nucléaire, et d’un avis fondé scientifiquement et techniquement sur les meilleures méthodes de calcul de l’IRSN.
Nous devons tenir compte, sur le fond de cette expertise, de la conception de cette cuve.
Comme indiqué, un certain nombre de caractéristiques propres à la cuve de l’EPR font que la calotte supérieure supporte plus de contraintes, notamment toutes les traversées pour les mesures et pour le contrôle de la réactivité dans le cœur.
Il y a ensuite des viroles, les parois verticales de la cuve, qui ne sont pas en cause dans notre analyse et sont moins irradiées sur la cuve de l’EPR que sur les cuves des réacteurs du parc.
Il y a enfin une calotte inférieure, libre de tout perçage, qui ne comporte pas de risque de fissuration lié à l’ajout de traversées. C’est un point favorable pour la cuve de l’EPR.
La fabrication de ces deux calottes a été réalisée par Areva avec un nouveau procédé de fabrication. C’est en ce sens que l’IRSN s’est exprimé en termes de régression. En effet, la fabrication des calottes des réacteurs du palier N4, voici un certain nombre d’années, utilisait une technologie dite de lingots à solidification dirigée, avec des lingots beaucoup plus petits, de l’ordre d’une cinquantaine de tonnes. Il était donc possible de mieux piloter le processus de refroidissement, de telle sorte qu’il n’y avait pas ou peu de ségrégation en carbone, du fait de la technologie employée.
Au contraire, dans le procédé utilisé pour les calottes EPR, le lingot est très gros, si bien que le processus de refroidissement progressif favorise l’apparition de fortes ségrégations.
La fabrication prend évidemment en compte cela, en n’utilisant pas les parties haute et basse du lingot qui sont les plus ségrégées.
La pièce est forgée à partir de la partie centrale. L’analyse vise à déterminer où se situe réellement – au centre ou en extérieur – le reste de ségrégation, non éliminé initialement. Il est très important de le savoir.
Concernant ce point, il faut noter un élément favorable : la calotte inférieure est moins épaisse que la calotte supérieure. Cela veut dire que davantage de matière, évidemment la plus ségrégée, a été enlevée. Nous pouvons présumer que cela aura un effet favorable sur la démonstration, d’autant qu’il n’y a pas de traversées, donc moins de contraintes sur cette pièce.
A contrario, le couvercle contient toutes les traversées et il est plus épais. Il supporte plus de risque. Mais il est remplaçable. Si la démonstration ne pouvait être réalisée, ce ne serait qu’un demi-mal. …
Si la calotte du bas est inapte à l’emploi, c’est toute la cuve qui se trouve condamnée. Un certain nombre d’essais, dont nous analyserons les résultats, vont être réalisés.
L’ASN attend que nous donnions un avis sur l’adéquation du programme d’essais, avant que ces essais ne soient effectués. Nous analyserons la démonstration réalisée par Areva à partir de ces essais et la suffisance des marges qui auront été évaluées par le constructeur de la cuve.
Nous pensons que le programme d’essais pourrait être approuvé à la fin du mois de septembre. Il faudra ensuite qu’il soit réalisé, que nous en analysions les résultats, que les groupes permanents se prononcent, etc.
Cela nous amènera probablement à l’été 2016.
EDF a choisi de ne pas interrompre la construction de l’EPR pendant cette phase. C’est son choix d’exploitant.
Je voudrais vous livrer trois éléments de conclusion. En premier lieu, les calottes de la cuve de Flamanville 3 présentent une anomalie de fabrication, au regard du haut niveau de qualité de fabrication attendu pour les cuves de réacteurs électronucléaires qui sont des équipements majeurs.
C’est un constat acquis, que personne ne peut contester.
En second lieu, l’impact de cette anomalie sur la démonstration de sûreté nécessite une analyse approfondie, sur la base de données complémentaires qu’il reste à acquérir, de mesures et ensuite de calculs. L’exécution de tout ce travail demandera plusieurs mois.
En troisième lieu, sans s’engager sur la conclusion qui sera tirée des données complémentaires et de l’analyse consécutive, l’IRSN note que la conception innovante de la cuve de l’EPR, par rapport au parc français, apporte des éléments favorables à une issue positive de ce dossier. Encore faut-il en apporter la preuve.
M. Patrick Dumaz, chef du programme de réacteurs de deuxième et troisième générations, direction de l’énergie nucléaire, Commission à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Sur la question de l’intégrité de la cuve, il est important de comprendre les chargements susceptibles de la menacer. Tels que nous les connaissons sur le parc actuel, il s’agit, comme évoqué précédemment par mon collègue de l’Université de Louvain, de chocs froids, liés à des situations accidentelles relativement hypothétiques : brèche ouverte dans le circuit primaire, dépressurisation, entrée en fonctionnement de l’injection de sécurité, etc.
Ces transitoires de choc froid sont vraiment les plus déterminants pour les réacteurs du parc actuel.
L’eau, arrivant par les branches primaires, refroidit d’abord les viroles cylindriques qui subissent un refroidissement maximal. C’est à ce niveau que nous devons vérifier l’intégrité de la cuve.
Dans le cas de l’EPR, le fond et le couvercle étant un peu plus éloignés de l’injection d’eau, le transitoire de température subi serait plutôt atténué. De plus, les viroles cylindriques sont très proches du cœur du réacteur. Un certain nombre de neutrons quitte le cœur et impacte le métal de la cuve. C’est ce que nous appelons le vieillissement sous irradiation, phénomène étudié depuis des décennies de façon très précise. Comme pour l’excès en concentration de carbone, l’irradiation neutronique provoque un durcissement du matériau, peu favorable pour les transitoires de choc froid.
Nous avons très peu évoqué la ténacité. Pour démontrer que la cuve va rester intègre, l'ingénieur a besoin d’une information sur la qualité du matériau et sa capacité à résister à la propagation des fissures. C’est ce que nous appelons la ténacité, un paramètre fondamental de la mécanique de la rupture. Ce sont ces paramètres qu’Areva va devoir mesurer de manière plus précise.
Les valeurs de résilience mentionnées dans la réglementation ESPN sont des indicateurs, non des valeurs utilisées par l’ingénieur pour ses calculs. La qualité de la démonstration de sûreté suppose de disposer des valeurs de ténacité et d’étudier l’ensemble des sollicitations mécaniques qui se produiront sur la cuve, afin de vérifier que le chargement reste inférieur à ces valeurs. La ténacité est un paramètre très dépendant de la composition du matériau, de l’irradiation neutronique et de la température, puisque plus la température est basse, plus la ténacité est basse. Le matériau tend alors vers un comportement fragile et des risques de rupture fragile, d’où l’importance des transitoires de choc froid…
Le dernier point porte sur la mécanique de la rupture. En complément de ceux de caractérisation de la ténacité des matériaux, des essais reproduisent vraiment la sollicitation bi-axiale subie par le matériau de cuve lors d’un transitoire mécanique. Lors de certains de ces essais mécaniques, réalisés sur des matériaux non-irradiés ou irradiés, il a été parfois observé des ruptures beaucoup plus tardives que prévu, ce même lorsque le chargement dépassait la courbe de ténacité.
Ces phénomènes mécaniques – pour les spécialistes, il s’agit de pré-chargements à chaud ou d’arrêts de fissures –, maintenant un peu mieux connus, ont montré que les approches d’ingénieurs utilisées jusque-là comportaient des marges ; elles sont en train d’être codifiées, par exemple dans le code RSE-M déjà mentionné.
Je n’ai pas parlé du fond et du couvercle de l’EPR. Si le CEA a fait beaucoup de recherches sur tous les aspects utiles à la démonstration que va faire Areva, il n’est pas partie prenante.
Je peux simplement partager l’avis qualitatif donné par l’IRSN : le fond et le couvercle de cuve étant assez éloignés des arrivées d’eau, nous nous attendons à ce que les transitoires de choc froid qui vont solliciter la cuve soient moins sévères que ce que nous constatons habituellement pour les viroles cylindriques. L’ASN en demandera évidemment des démonstrations.
Je voudrais terminer en soulignant que le fond et le couvercle étant assez loin du cœur, ils devraient être également peu soumis aux flux d’irradiations, donc au vieillissement sous irradiation. Nous ne nous attendons pas à ce que les propriétés du matériau évoluent à partir de l’état initial.
Cela doit être confirmé par des calculs détaillés mais, a priori, en termes de flux neutronique, plusieurs ordres de grandeur séparent le fond ou le couvercle, par rapport aux viroles cylindriques qui concentrent notre attention pour le parc actuel.
M. Yves Bréchet. Haut-Commissaire du CEA-Grand témoin de la table ronde
Il n’y a pas de vieillissement à l’endroit où il y a des ségrégations, et pas de ségrégation aux endroits où il y a un vieillissement. C’est important. Une vérité qui fait plaisir doit toujours être prouvée deux fois.
M. Yves Bréchet. Haut-Commissaire du CEA-Grand témoin de la table ronde
Avant de donner quelques éléments de conclusion, je voudrais répondre à une question posée par M. Jean-Yves Le Déaut concernant les mesures curatives envisageables contre les ségrégations. La métallurgie est bonne fille mais ce n’est pas une fille facile. S’il est, à la limite, possible d’essayer, par divers procédés, d’éviter des macro-ségrégations, ce n’est pas du tout trivial.
Les macro-ségrégations résultent d’un transport de liquide. Dès l’instant où elles interviennent, les distances sont assez grandes pour que nous ne puissions les guérir par un recuit. Si les ségrégations sont présentes à ces échelles-là, elles sont définitives.
Je suis désolé de vous décevoir.
Je voudrais apporter quelques éléments de conclusion. Pour moi, on décèle une table ronde réussie au caractère inutilisable de la conclusion préparée pour celle-ci. La mienne l’est en partie, mais pas entièrement.
Elle est utilisable sur les questions de long terme, moins sur celles de court terme.
Je pense qu’il faut revenir aux deux tables rondes, prévues dans sa sagesse par l’OPECST, parce qu’elles posent deux questions différentes : d’une part, une question importante mais ponctuelle, dont la presse parle beaucoup, relative à l’existence de cette anomalie et à sa nocivité, et, d’autre part, la question de l’évolution des règlements et de la manière dont ceux-ci peuvent être élaborés, évoluer et être mutuellement acceptés, au travers d’une réflexion conjointe entre opérateurs et autorité de sûreté.
Cette dernière question me semble également très importante, même si elle est peu évoquée.
Concernant les sujets techniques abordés aujourd’hui qui ont déjà fait couler beaucoup d’encre, je pourrais céder à la tentation de vous donner mon avis.
En tant que métallurgiste, ayant longtemps travaillé sur les aciers de cuve et plus généralement sur le vieillissement des matériaux dans des conditions d’irradiation, je pourrais ajouter un avis à ceux que vous avez entendus, aussi bien sur la réglementation des appareils sous pression que sur la cuve de Flamanville. Je vais résister à cette tentation, d’abord par respect pour l’OPECST et pour son mode de fonctionnement. Il m’est souvent arrivé de dire que l’OPECST est l’incarnation même de ce que doit être le lien entre mondes scientifique et politique. Ce lien ne saurait se satisfaire d’un avis d’autorité, donné par le titulaire d’une fonction, fût-il Haut-commissaire.
L’OPECST doit chercher l’expertise où elle se trouve, chez les praticiens de la science et de la technologie, car ce sont eux qui nourrissent sa réflexion. Le rôle que peuvent jouer des intervenants tels que moi, même au plus près de leurs compétences, ne peut remplacer l’audition d’experts de terrain.
Pour autant, cela ne signifie pas que je n’ai aucun avis technique sur la question.
Mon avis se nourrit d’une analyse comparative des différentes contributions qui vous ont été présentées, d’une vie consacrée à l’étude des matériaux de structures, et d’échanges avec les personnes en charge des études en cours.
Simplement, je ne veux pas préempter un résultat qui n’est pas encore acquis, même si, pour l’instant, ce qui a été présenté conduit à une vision plutôt optimiste, non pas sur la présence des ségrégations, mais sur leur caractère dommageable.
Nous ne pourrons trancher cette question qu’une fois l’ensemble des études réalisées. Je pense qu’il n’est pas bon de communiquer sur une étude à venir. Il faut communiquer sur des résultats acquis.
L’étude à venir suscite toujours une inquiétude et, une fois l’inquiétude créée, il devient ensuite très difficile, dans nos sociétés, de la dissiper, tant est devenue prégnante, sur ces questions, la culture du soupçon.
Je voudrais vous inviter à réfléchir, non pas simplement au sujet technique qui nous rassemble, mais à la raison qui en fait une question politique impliquant l’OPECST.
Nous faisons face à deux sujets : les appareils sous pression et la composition des aciers de cuve, relevant de l’application d’un règlement qui, dans les deux cas, a évolué dans des périodes récentes.
Il est normal que les règlements évoluent.
Nous avons, dans un cas, la question de l’application du règlement et, dans l’autre, celle de la nocivité d’une anomalie.
Ces questions portent sur un sujet d’importance : la sûreté nucléaire.
L’Autorité de sûreté nucléaire et son bras armé, l’IRSN, sont les garants de la sûreté. Les opérateurs doivent appliquer ces règlements…
Pour que l’application des règlements soit efficace, il est impératif que leur contenu soit non seulement rationnel, mais aussi reconnu comme tel par tous ceux qui vont devoir les appliquer, y compris ceux pour qui cela générera un surcroît de travail.
Les résultats des études sur lesquels s’appuie l’ASN sont publics.
Je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur les règlements eux-mêmes. Quand un règlement est modifié en vue d’accroître la sûreté nucléaire, il serait très utile de faire la démonstration scientifique que nous avons bien augmenté la sûreté et pas simplement son coût.
Il est impératif que les opérateurs soient convaincus de ce fait. Il serait très utile de démontrer que les exigences nouvelles sont technologiquement réalistes, et de donner un moyen de les mettre en œuvre. Je pense que ce travail est en cours.
Cela me rend extrêmement optimiste pour la suite des événements. Je voudrais expliciter pourquoi il est important de faire la démonstration qu’un règlement plus rigoureux conduit à accroître la sûreté, et pas simplement le coût de celle-ci. Vous allez me dire : Pourquoi nous compliquer l’existence ? Ne suffit-il pas de réglementer et d’appliquer ? À ne pas expliciter la raison d’un règlement, à ne pas prendre le temps de convaincre les opérateurs par une discussion approfondie, nous courrons le risque de dérives dommageables, en termes de sûreté et d’efficacité.
Pour l’efficacité, on imagine très bien qu’un règlement plus contraignant sera nécessairement plus coûteux. Pour la sûreté, c’est un peu plus subtil. Nous pourrions penser que des règles prudentes, au-delà de la démonstration rationnelle de leurs fondements, assurent une sûreté renforcée. Elles peuvent pourtant avoir l’effet inverse.
Si les opérateurs ne sont pas convaincus de la rationalité d’une règle, ils peuvent être tentés de la contourner. J’espère qu’ils ne le font pas.
Nous prenons à revers le principe de Pascal. Dès lors que l’on commence à désobéir à une loi qui semble infondée, il est aisé de se croire autorisé à la contourner.
Nous n’en sommes heureusement pas là, mais il faut être conscient des risques pour les éviter. Le manque de confiance dans la rationalité des règlements n’incite pas les opérateurs à la curiosité naturelle attendue des scientifiques.
Craindre qu’une autorité se saisisse d’une nouveauté pour durcir des règlements, rend relativement peu enclins à la découvrir.
Aussi, je plaide pour une discussion très approfondie sur les règlements, leurs évolutions et leur mise en œuvre entre les opérateurs et l’Autorité de sûreté nucléaire, dans le complet respect de l’indépendance de cette dernière qui, in fine, reste seule juge.
Il faut également que tout cela repose sur une compétence scientifique et technique au plus haut niveau.
C’est sur ce point que je souhaiterais conclure.
Voici quatre ans, dans un rapport sur la métallurgie, l’Académie des sciences a alerté sur la perte progressive de compétence résultant d’une désaffection pour une discipline passée de mode.
Il est urgent de se souvenir que la sûreté, avant même la question des règlements et de leur application, repose, aussi bien du point de vue du régulateur que de celui du concepteur, sur la nécessité d’une compétence sans faille dans les sciences de l’ingénieur qui ont fait de l’énergie nucléaire un joyau de notre industrie, une composante essentielle de nos ressources énergétiques ainsi qu’un modèle de sûreté industrielle.
C’est aussi cette question de la compétence qui transparaît dans ma demande, inspirée par des situations que nous avons examinées aujourd’hui, que l’évolution du règlement soit accompagnée de la preuve indubitable de sa pertinence scientifique et technique.
C’est une raison de plus de nous livrer à l’exercice exigeant de la démonstration. Nous devons nous assurer que les compétences sont au meilleur niveau, partout.
La sûreté et la transparence n’en seront que mieux assurées.
EXTRAITS DE LA REUNION DE L’OPECST DU 25 JUIN 2015
Le 25 juin 2015, l’OPECST a organisé une réunion sur le problème des ségrégations de carbone affectant le couvercle et le fonds de cuve de l’EPR de Flamanville 3.
Cette réunion a été organisée en 2 tables rondes.
PREMIÈRE TABLE RONDE : LES MODALITÉS DU CONTRÔLE DES ÉQUIPEMENTS SOUS PRESSION NUCLÉAIRES
Présidence : M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST.
Grand témoin : M. Yves Bréchet haut-commissaire à l’énergie atomique.
Au cours de cette table ronde se sont exprimés :
M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN)
M. Nicolas Chantrenne, sous-directeur des risques accidentels, direction générale de la prévention des risques, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
M. Dominique Delattre, chef de l’Unité des publications en matière de sûreté et de sécurité nucléaires, département de la sûreté et la sécurité nucléaires, Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)
Mme Cécile Laugier, présidente de l’Association française pour les règles de conception, de construction et de surveillance en exploitation des matériels des chaudières électronucléaires (AFCEN)
M. Jean-Philippe Longin, président de l’Association pour la qualité des appareils à pression (AQUAP).
Je retiens de l’intervention de Mme Laugier :
Le code RCC-M est aujourd’hui le seul code nucléaire codifiant la qualification technique de pièces… Le fait que le code français décrive la qualification est, encore aujourd’hui, sans équivalent dans les exigences posées par les autres codes nucléaires.
Cela veut dire qu’il y a plus d’exigence dans notre code français que dans la plupart des codes comparables.
Dès sa première édition de 1980, pour les pièces dont le processus de fabrication peut mener à des hétérogénéités, le RCC-M a fait le choix d’introduire un processus de qualification. Il s’agit de caractériser la pièce dans les zones où les propriétés du matériau doivent être suffisantes vis-à-vis des conditions d’emploi de la pièce. Ce principe n’est pas repris et n’est pas décrit de cette manière dans d’autres codes, nous pensons en particulier à ceux de l’ASME ou au CODAP (programme de l’OCDE/NEA), ni dans le cadre de l’industrie conventionnelle, ni même dans les normes européennes citées.
La qualification a pour but de vérifier l’efficacité d’une gamme de fabrication donnée, de satisfaire le niveau de qualité requis et d’apporter les éléments qui permettent de confirmer que le processus de fabrication est bien maîtrisé par le fournisseur de matériaux…
Une caractéristique importante du code est de rester évolutif.
Actuellement, nous travaillons en lien étroit avec l’ASN pour compléter le code RCC-M afin que ses prochaines versions s’approchent, vers 2016-2018, d’une complète conformité avec la réglementation.
Depuis 2007, l’AFCEN a introduit dans le RCC-M des annexes qui améliorent sa correspondance avec les exigences essentielles fixées par la réglementation française. Nous avons également fait un effort en publiant récemment un document, appelé Criteria, qui les explique.
Ce sont les difficultés rencontrées par les fabricants pour l’obtention des premières attestations de conformité pour les équipements de niveau 1, les plus importants, qui ont conduit l’AFCEN à mettre en place ce programme technique approfondi.
Il est destiné à conforter l’aptitude du code à traduire les exigences réglementaires, à l’adapter pour les utilisateurs français quand cela apparaît nécessaire à la « justification » de leurs opérations, et à établir, le cas échéant, des documents complémentaires, lorsque les prescriptions ne sont pas assez précises.
Nous avons prévu un programme de travail pour fixer la liste des pièces nécessitant une qualification technique au cas par cas.
Ce travail sera réalisé conjointement avec l’ASN.
Nous ferons également évoluer le contenu de notre code, notamment pour fixer la démarche qui permettra d’apporter la justification « en tous points », qui est celle que les utilisateurs français doivent maintenant respecter.
Je terminerai mon propos en rappelant que notre association édite ces règles techniques depuis plus de trente ans, qu’elle a été initialement fondée par Areva et EDF, mais s’est largement ouverte à l’international.
Notre code reste au meilleur niveau.
Il comprend des exigences, notamment autour de la qualification des pièces les plus complexes, sans équivalent dans d’autres codes.
Nous sommes engagés aujourd’hui, en lien étroit avec l’ASN, dans un important travail technique pour le compléter et nous approcher de l’adéquation à la réglementation.
Mme Laugier, dans son exposé, fait très bien ressortir que les exigences françaises sont sans équivalent dans les autres codes mondiaux et notamment l’ASME, qui est sans contexte le code le plus fréquemment utilisé.
Le grand témoin, Mr Yves Bréchet, Haut-Commissaire du CEA intervient à la suite de ces auditions.
M. Yves Bréchet.
J’ai l’impression, en entendant Mme Cécile Laugier, que nous sommes dans une configuration où nous pouvons à la fois respecter l’indépendance indispensable de l’autorité de sûreté, et prendre en compte les aspects techniques qui font qu’un règlement peut être plus ou moins difficile à examiner et à mettre en œuvre. Comment le faire en pratique ? Comment l’interaction entre l’AFCEN et l’Autorité de sûreté nucléaire se déroule-t-elle ?
Mme Cécile Laugier.
Le lien entre les codes et la réglementation est effectivement important. L’association professionnelle qu’est l’AFCEN rédige des recueils de règles techniques qui sont conçus pour être utiles aux utilisateurs. Ils doivent reproduire un certain nombre d’exigences mises en commun et également les aider le plus possible à s’approcher de ce qu’ils doivent respecter sur le plan réglementaire. C’est l'une des raisons pour lesquelles nous avons des échanges avec l’ASN et son appui technique (l’IRSN) qui sont des invités permanents à nos groupes de travail d’experts.
Il arrive notamment aux représentants de l’IRSN de venir en observateur, même s’ils ne participent pas directement aux travaux. Ils sont des observateurs attentifs, avisés et souvent très intéressés par ces débats techniques entre experts qui donnent des informations utiles sur l’évolution de l’état de l’art.
Nos codes sont très formellement référencés dans les dossiers déposés par l’exploitant nucléaire. L’Autorité de sûreté nucléaire a, bien sûr, un droit de regard. Il arrive très régulièrement qu’elle formule des demandes de modification. Nous les prenons en compte. Cela explique pourquoi le code évolue, même s’il n’est pas un équivalent de la réglementation.
M. Yves Bréchet.
Quel est le point de vue de l’Autorité de sûreté nucléaire sur cette question ?
M. Pierre-Franck Chevet.
Nous avons un certain nombre d’échanges pour que le code évolue. Il inclut des références très anciennes alors que la nouvelle réglementation impose un certain nombre d’exigences supplémentaires.
Nous discutons actuellement pour qu’il y ait le plus de cohérence possible entre la réglementation et les pratiques industrielles, celles-ci ne pouvant rester durablement en l’état.
M. Jean-Yves Le Déaut. Président de l’OPECST.
Pour compléter les propos de M. Pierre-Franck Chevet qui a indiqué, ce qui semble clair, que l’anomalie n’était pas réglementaire, pourriez-vous préciser si la réglementation applicable aux ESPN est la même en France et dans d’autres pays dotés du même type de réacteur, par exemple en Chine ?
M. Pierre-Franck Chevet.
Je ne saurais vous répondre sur la Chine. J’obtiendrai peut-être l’information plus tard. Je peux simplement dire que nous avons averti nos homologues chinois, lorsque l’anomalie a été confirmée. Avec quelques spécialistes, j’ai eu l’occasion, durant une ou deux heures, de la leur présenter en détail. Pour eux, le problème semblait clair. L’idée générale de notre réglementation, tout comme des différents codes dans le monde, est de viser les meilleures caractéristiques possibles pour un certain nombre de matériaux, a fortiori pour les composants dont la rupture est exclue…
Néanmoins, cette capacité des matériaux à résister à la rupture brutale se retrouve, avec quelques variantes, dans toutes les codifications.
M. Yves Bréchet.
Sans aborder le problème spécifique de l’anomalie de la cuve EPR, je suis tout à fait d’accord avec les propos de M. Pierre-Franck Chevet : il faut que les difficultés soient mises sur la table. Nous ne pouvons pas ne pas parler des problèmes. Si tout allait bien, nous n’aurions pas aujourd’hui ce débat sur la réglementation relative aux EPSN. Un certain nombre de réticences existent, de la part des industriels, vis-à- vis de l’application de ces règlements.
Nous n’allons pas faire semblant de l’ignorer. J’aimerais que ce soit explicité.
Pardonnez-moi d’insister, mais j’aimerais que soient mis clairement sur la table les reproches qui sont faits concernant les modalités du contrôle des équipements sous pression nucléaires.
J’en connais qui sont justifiés, et d’autres qui le sont beaucoup moins.
Nous venons d’entendre tout ce qui se déroule bien. Il se trouve que, pour les opérateurs, c’est un sujet qui pose problème en termes de mise en œuvre réelle sur le parc.
Nous ne résoudrons peut- être pas la question aujourd’hui mais il faut au moins qu’elle soit posée dans cette instance.
Je n’ai jamais vu un problème se résoudre sans qu’il soit explicité.
SECONDE TABLE RONDE : LE CAS DE LA CUVE DU RÉACTEUR EPR
Présidence : M. Christian Bataille, député, vice-président de l’OPECST
Grand témoin : M. Yves Bréchet haut-commissaire à l’énergie atomique
M. Thomas Pardoen, professeur, Université catholique de Louvain
M. Bertrand de l’Epinois, directeur des normes de sûreté d’Areva
M. Laurent Thieffry, directeur du projet de Flamanville 3
M. Rémy Catteau, directeur des équipements sous pression, Autorité de sûreté nucléaire (ASN)
M. Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)
M. Patrick Dumaz, chef du programme de réacteurs de deuxième et troisième générations, direction de l'énergie nucléaire, Commission à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)
M. Thomas Pardoen, professeur, Université catholique de Louvain
Sur la première planche, la courbe présentée montre l’évolution de l’énergie d’impact, l’énergie qu’il a fallu dissiper dans le matériau – ici un acier ferritique de cuve – pour réussir à le déchirer, en fonction de la température. À basse température, bien en-dessous des températures d’utilisation d’une cuve, l’énergie de rupture est très faible. Cela correspond au régime de la rupture fragile, qu’il faut chercher à éviter. Au-dessus d’une certaine température, le matériau passe par une transition et arrive dans un régime dit ductile où l’énergie d’impact est nettement supérieure, dans certains cas de plusieurs centaines de joules.
La deuxième planche comporte plusieurs courbes, correspondant à des compositions en carbone différentes, de 0,01 %, 0,11 % et 0,22 %. Plus il y a de carbone, plus la résistance à la rupture et l’énergie d’impact diminuent dans la partie ductile. De plus, la température à laquelle se produit le basculement dans le régime fragile est de plus en plus haute. La valeur réglementaire de 60 joules évoquée est également indiquée. Ce graphe ne correspond toutefois pas à l’acier spécifique de la cuve de Flamanville.
Pour obtenir l’énergie de rupture, une petite entaille est pratiquée sur des échantillons de matière afin de créer des conditions très sévères. Celle-ci va concentrer le chargement produit par un mouton-pendule. Il suffit ensuite de mesurer l’énergie qui aura été dissipée pour briser la pièce. Dans le cas d’une cuve de réacteur, cette énergie doit être supérieure à 60 joules….
Pour conclure, le taux de carbone est représentatif d’une chute de la ductilité et de la résilience dans le régime ductile. Avoir plus de carbone a de multiples implications. N’ayant vu aucun document technique détaillé sur la cuve de l’EPR, je ne suis pas capable, à ce stade, de déterminer ce que ce carbone modifie de la structure de la matière ni donc ce qui pourrait expliquer précisément pourquoi nous pourrions avoir cette perte de ténacité.
Nous n’avons évoqué qu’un seul aspect du problème : la force de résistance du matériau. Il faut aussi prendre en compte le chargement nécessaire pour que des fissures apparaissent et se propagent. C’est uniquement si ce chargement est supérieur à la résilience du matériau considéré que cela se produira. Le caractère conservatif de l’analyse résulte de la distance entre le chargement réellement appliqué et la valeur de la propriété du matériau. Dans le cas qui nous occupe, pour la pièce spécifique du fond de cuve, les propriétés semblent effectivement basses, mais quel est le niveau exact de chargement nécessaire pour faire apparaître des fissures, et éventuellement les propager ?
M. Bertrand de l’Epinois, directeur des normes de sûreté d’Areva.
Avant d’aborder le sujet de la concentration en carbone, il semble utile de rappeler que, sur un certain nombre de sujets importants en matière de sûreté, la cuve de l’EPR réalise des progrès substantiels.
D’abord, il n’existe aucune traversée en fond de cuve, les tubes d’instrumentation passant par le couvercle.
Ensuite, le flux de neutrons sur les viroles de cuve baisse significativement, grâce à une plus grande épaisseur d’eau et à un réflecteur lourd de neutrons.
Nous avons aussi réduit le nombre de soudures. C’est un point important.
Enfin, des progrès sensibles sur la composition moyenne du matériau de la cuve, notamment en soufre et en phosphore, ont été réalisés.
Ces innovations s’ajoutent à celles, plus générales, de l’EPR en matière de sûreté, précédemment évoquées par M. Pierre Franck Chevet.
La question de la concentration en carbone dans les calottes de cuve ne doit pas masquer ces avancées. La cuve de l’EPR participe pleinement au progrès de sûreté visé par ce réacteur.
Venons-en maintenant au cœur du sujet qui concerne les deux calottes, le fond et le couvercle de la cuve, sur lesquelles, en partie centrale et à l’extérieur, se trouvent des ségrégations positives, c’est-à-dire des concentrations en carbone supérieures à la moyenne et aux spécifications. L’existence de ségrégations positives ou négatives –quand il n’y a pas assez de carbone– est un phénomène connu dans les pièces forgées épaisses. Il a fait l’objet de nombreuses études. Il est pris en compte dans la conception des pièces. C’est un phénomène inhérent, en particulier, au procédé mis en œuvre pour forger ces deux pièces de la cuve de l’EPR. Nous pourrons revenir, à l’occasion du débat, sur la question des lingots, des procédés et des évolutions de procédés dans le temps….
Quels sont les enjeux de sûreté de la ségrégation ? L’augmentation de la concentration en carbone durcit le matériau qui aura une plus grande résistance mécanique. La pièce aura plus de résistance à la pression. En revanche, elle sera plus sensible à ce qui a été décrit, à la rupture fragile ou à la rupture brutale. Nous devons tenir compte de deux phénomènes dans la conception de ces pièces. Elles doivent, d’une part, résister à la pression, avec une bonne résistance mécanique de l’acier et une bonne épaisseur, et, d’autre part, être le moins possible susceptibles de ruptures brutales ou fragiles. Il faut avoir suffisamment de carbone mais pas trop. Il faut ajuster l’équilibre entre les différentes zones.
Comme cela a été indiqué, la rupture brutale n’intervient que si trois conditions sont simultanément réunies : l’existence d’un défaut à l’origine – typiquement une fissure –, une température basse, et un chargement mécanique important, au regard de la fissure et des caractéristiques du matériau. Pour ce qui est de la température, le risque de rupture brutale suppose qu’elle soit suffisamment basse pour que le matériau se situe dans son domaine fragile. Ces trois conditions sont indispensables….
Des contrôles à 100 % sont réalisés, par différents moyens, en fin de fabrication, dans toute l’épaisseur du métal et sur toute sa surface. Ils n’ont révélé aucun défaut. Il n’y a pas a priori de fissure venant de la fabrication. De plus, la partie externe correspond à des zones dans lesquelles nous n’attendons pas de créations ou de propagations de défauts en fonctionnement.
En application de l’arrêté ESPN, l’ASN nous a demandé de vérifier les valeurs en résilience dans l’ensemble de la pièce. La résilience est liée à la concentration en carbone. Ces contrôles ont montré des écarts par rapport aux 60 joules mentionnés par l’arrêté. La concentration en carbone atteignant 0,28 % dans la partie extérieure, se trouvait en excès par rapport à nos spécifications, puisque nous cherchons à rester entre 0,18 % et 0,22 %. À la suite de ces contrôles, nous avons proposé un programme d’essais complémentaires, en cours d’instruction par l’ASN. Nous espérons le lancer dans les prochaines semaines et dans les prochains mois, lorsque nous aurons obtenu le feu vert pour l’engager.
Ces essais consistent en une caractérisation métallurgique approfondie d’une pièce analogue, dans toute l’épaisseur et dans toute la zone centrale. À minima, une centaine d’éprouvettes seront réalisées pour mesurer en tous points la teneur en carbone, la résilience ainsi que la ténacité. La résilience est simple à mesurer pour les essais de recettes, ainsi que l’allongement à la rupture. Nous procédons toujours de cette manière. En revanche, la ténacité est la vraie grandeur physique exprimant la capacité du matériau à résister à la propagation d’une fissure sous température basse et sous un chargement important. Un grand nombre de mesures de ténacité seront réalisées lors de ces essais de caractérisation.
Ce programme complémentaire comportera également un volet d’étude de conception, incluant une analyse exhaustive de tous les chargements et des calculs de mécanique, prenant en compte les caractéristiques réelles du matériau, mesurées sur la pièce d’essai, afin de montrer l’aptitude à l’emploi de celle-ci. Ces calculs de mécanique sont effectués en faisant l’hypothèse de la présence d’un défaut : une fissure qui n’aurait pas été identifiée lors du contrôle, bien que tout ait été fait pour qu’il n’y en ait pas. Nous établirons un dossier d’aptitude à l’emploi sur la base de ce programme complémentaire, qui sera transmis à l’ASN en vue de sa décision.
M. Laurent Thieffry, directeur du projet de Flamanville 3.
L’ensemble des composants du circuit primaire est en place : cuve, générateurs de vapeur et pressuriseur. Les soudages des boucles primaires sont en cours d’achèvement. Les montages électromécaniques sont effectués à cadence industrielle, avec plus de 4 000 personnes présentes sur le site.
À ce stade, il me paraît important de préciser que, s’agissant du haut niveau d’exigence propre à l’industrie nucléaire, chaque opération réalisée sur ce projet donne lieu à des contrôles, dont certains exercés directement par l’Autorité de sûreté nucléaire ou les organismes notifiés par cette dernière.
Nous ne passons à l’étape suivante que si les résultats de l’étape précédente sont positifs, moyennant, le cas échéant, le traitement préalable de tout écart. Bien évidemment, l’ensemble de ce processus donne lieu à une traçabilité et à une transparence totale de chacun des événements….
Cette précision étant donnée, j’en viens à la fabrication de la cuve de l’EPR de Flamanville 3.
Elle est constituée d’un fond hémisphérique, de viroles cylindriques soudées entre elles et au fond, ainsi que d’un couvercle. L’ensemble mesure un peu moins de quatorze mètres de hauteur, pour un peu moins de six mètres de diamètre, et son poids total atteint environ 550 tonnes.
Nous sommes donc face à un ensemble de grande dimension.
EDF a confié la construction des chaudières nucléaires de l’EPR de Flamanville 3 à Areva, dans le cadre d’un marché notifié en 2005.
Les composants de la cuve ont été conçus et fabriqués conformément aux référentiels techniques en vigueur au moment de leur fabrication, à savoir le code de conception et de construction nucléaire dit RCC-M – élaboré par l’AFCEN sur la base des meilleures pratiques mondiales – notamment par l’application de son chapitre dit M140, consacré à la qualification.
Les approvisionnements des pièces forgées constitutives de cet équipement ont été lancés par Areva dès 2005.
Le fond et le couvercle sont issus de pièces de forge fabriquées dans l’usine du Creusot en 2006 et 2007. Dans ce cadre, les dossiers de synthèse et de qualification M140, la démonstration de la conformité finale de la pièce à son référentiel de conception de fabrication ont été établis, pour le couvercle et le fond de cuve, en 2010.
La fabrication du corps de la cuve s’est achevée à l’été 2013, à l’issue d’une épreuve hydraulique réalisée avec succès en usine.
Comme expliqué précédemment, au titre de sa responsabilité d’exploitant nucléaire, EDF a exercé, comme prévu par le code RCC-M, une surveillance de ces fabrications aux trois étapes clés du processus de qualification. Tout d’abord au stade du dossier technique initial élaboré par Areva, comprenant la description du programme de fabrication et du programme d’essais associés destiné à vérifier la conformité en finale ; ensuite, en phase de fabrication, pour vérifier en usine que les opérations de fabrication sont bien réalisées conformément au dossier technique –cette surveillance inclut aussi une composante documentaire afin de s’assurer de l’applicabilité et de la conformité des modes opératoires utilisés.
EDF a ainsi surveillé l’intégralité des opérations de forgeage et de chutage, ainsi que la totalité des essais mécaniques de recette des composants de la cuve de Flamanville 3. Enfin EDF a surveillé l’élaboration des rapports de qualification qui ont conclu, en phase finale du processus, à la conformité des composants de la cuve à leur référentiel technique de fabrication.
Passons maintenant à l’application de la réglementation ESPN. L’arrêté ESPN a été pris en 2005 mais les modalités de la qualification technique réglementaire associée n’ont pas été décrites dès sa mise en application. L’arrêté prévoyait d’ailleurs une période de transition.
Certaines de ces modalités d’application ont été formalisées en 2011, après la fin de la fabrication des composants de la cuve de Flamanville 3.
C’est en particulier le cas avec l’exigence que les normes quantifiées de l’arrêté ESPN soient désormais atteintes en tout point de la cuve.
Cela suppose donc des essais de recettes plus nombreux, sur plusieurs zones. Des caractéristiques mécaniques différentes restent acceptables, sous réserve de démonstration de l’absence de conséquences, comme c’était déjà le cas avec la réglementation antérieure. Le chapitre M140 du code RCC-M, référentiel technique utilisé pour la synthèse de la qualification au moment de la fabrication de la cuve de Flamanville 3, entre 2006 et 2010, n’intègre pas cette exigence nouvelle, car elle visait l’aptitude à l’emploi de la pièce, en vérifiant les propriétés uniquement dans les zones les plus sollicitées.
C’est d’ailleurs là une évolution significative et positive de la nouvelle réglementation ESPN.
L’ASN a donc demandé à Areva d’appliquer ces nouvelles modalités sur les composants de la cuve de Flamanville 3.
Pour y répondre, Areva a proposé, fin 2012, de réaliser des essais complémentaires sur la matière prélevée sur un couvercle similaire à celui de Flamanville 3, dans des zones non examinées en recette auparavant.
Les résultats de ces essais ont été obtenus au dernier trimestre 2014. C’est à l’occasion de ces essais complémentaires, au titre de la réglementation ESPN, qu’Areva a identifié un écart sur certaines caractéristiques métallurgiques, du fait de la ségrégation en carbone située au centre et en partie externe du couvercle.
Areva en a informé EDF et l’ASN et a proposé une analyse de la conception de la fabrication ainsi qu’un programme d’essais complémentaires pour démontrer – comme le prévoit la réglementation – l’importance des marges existantes face à tout risque pour la cuve. Ce programme d’essai fera, bien sûr, l’objet d’une vérification par l’Autorité de sûreté nucléaire avant toute réalisation.
M. Rémy Catteau, directeur des équipements sous pression, Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
…. La cuve fait l’objet d’une hypothèse particulière et majeure dans la démonstration de sûreté : l’hypothèse d’exclusion de rupture. Les conséquences de la défaillance de la cuve ne sont pas prises en compte dans la démonstration de sûreté. Pour être clair, la défaillance de la cuve n’est pas postulée.
Le dernier enjeu n’est pas, à proprement parler, lié à la sûreté : le corps de la cuve ne peut être remplacé une fois le réacteur mis en service ; du moins aucune cuve ne l’a été jusqu’à présent dans le monde. Une fois que le réacteur démarre avec une cuve, il s’arrêtera, très vraisemblablement, avec la même cuve.
Ces enjeux majeurs impliquent nécessairement le respect d’exigences fortes en matière de conception, de fabrication et de contrôle en service ; nous sommes là dans une démarche de défense en profondeur.
Nous voulons une excellente conception, avec de très fortes garanties, permettant de dégager des marges importantes. Il faut une très grande qualité de fabrication, permettant d’assurer que les hypothèses posées à la conception sont effectivement validées.
Cela permet de garantir que les défauts restants de la cuve sont négligeables et que la conception permet de vivre avec ces défauts. Il faut, enfin, un excellent contrôle en service, le but étant de vérifier que ce qui a été prévu à la conception et à la fabrication se déroule bien pendant toute la durée de vie de la cuve et qu’il n’y a pas d’autres phénomènes qui n’auraient pas été prévus.
J’en viens à l’anomalie. Il s’agit d’une anomalie technique : une ségrégation majeure positive de l’ordre de 50 %. C’est un niveau inattendu, très supérieur à ceux que nous avons rencontrés jusqu’à présent. Nous connaissons des ségrégations de ce type sur le parc en exploitation d’EDF qui sont de l’ordre de 20 % à 25 %. Les procédés de fabrication antérieurs ont permis de limiter ces ségrégations.
La demande d’essais complémentaires formulée par l’ASN s’inscrit dans la réglementation actuelle, datant de 2005. C’est elle qui a permis de détecter cette anomalie. À partir du moment où cette anomalie est détectée, c’est un sujet technique qui doit être traité, quelle que soit la réglementation, la précédente ou l’actuelle. C’est un problème qui aurait également été traité par les autres autorités de sûreté dans le monde. Il n’y a pas de doute là-dessus.
Nous attendons aujourd’hui qu’Areva justifie que les propriétés du matériau dans cette zone sont suffisantes pour un usage nucléaire, sur un équipement soumis à une présomption d’exclusion de rupture. …
Nous avons reçu un dossier en mai 2015 que nous instruisons avec l’IRSN. Nous n’en sommes encore qu’au début de l’instruction, celui des questions que nous avons formulées à Areva. Nous avons reçu une partie des réponses.
Je vous propose de détailler quelques-unes de nos grandes interrogations à ce stade.
La première concerne la caractérisation de la zone ayant une concentration de carbone plus importante qu’attendu, et, en particulier, de son positionnement. Nous voulons être certains qu’elle est bien localisée au centre, et en partie supérieure. Le sujet serait encore plus critique si elle se trouvait en partie inférieure.
Nous souhaitons avoir une connaissance, avec de fortes garanties, des propriétés mécaniques de la zone. Ce sont celles relatives au risque de rupture brutale, mais également toutes les autres. Je pense, par exemple, au vieillissement. Cette cuve a une durée de vie de soixante ans au minimum. Nous voulons être sûrs que, aujourd’hui, les propriétés mécaniques de ce matériau sont bien celles que nous imaginons pour dans soixante ans. C’est d’autant plus crucial, que ce matériau présente des ségrégations positives majeures s’écartant assez fortement des matériaux connus jusqu’à présent dans le parc nucléaire. Je confirme que nous étudions également tout ce qui est chargement, donc les sollicitations qui s’appliquent sur cette zone.
Nous souhaitons avoir une vue large des types de sollicitations qui sont déterminantes pour ce type de problème.
Areva va mener une campagne d’essais, majoritairement destructifs. Une fois ceux-ci réalisés, les pièces d’essai seront détruites. Sauf à les remplacer, ces essais ne peuvent être conduits sur les calottes de la cuve de Flamanville. Elles le seront donc sur des calottes initialement destinées à d’autres EPR.
Une question majeure porte sur la représentativité de ces pièces d’essai par rapport à celles du réacteur de Flamanville. Nous attendons une démonstration robuste qui nous apporte des garanties et une quasi-certitude.
M. Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
La cuve est évidemment un composant absolument essentiel. Sa conformité repose notamment sur le respect de critères relatifs à la réglementation des appareils à pression. Certains de ces critères ne sont pas satisfaits en certains points. Pour aller plus loin, nous devons démontrer que la cuve telle qu’elle est, avec ses zones plus fortement ségrégées, présente une résistance suffisante, avec des marges de sûreté suffisantes, en situation normale et accidentelle, les situations normales incluant aussi des essais à froid de l’appareil à pression que constitue la cuve.
Pour cela, il faut parvenir à déterminer précisément les caractéristiques mécaniques des zones ségrégées, et apprécier l’impact de cette ségrégation, au regard des exigences de la démonstration de sûreté.
Je ne parle plus des caractéristiques métallurgiques, mais de démonstration de sûreté.
C’est en ce sens qu’Areva s’est engagée, à la demande de l’Autorité de sûreté nucléaire, à définir un programme d’essai. Ce dernier doit être suffisamment complet et apporter assez d’éléments probants, en suffisamment de points de la cuve, pour permettre de déterminer finement les caractéristiques mécaniques de la zone ségrégée, en présumant que la cuve de Flamanville a été fabriquée exactement selon le même procédé que les pièces qui vont être détruites pour ces examens. Ces données seront donc représentatives. Cela permettra à Areva de proposer une évaluation de la ténacité minimum locale qui existe réellement au sein de cette pièce, ou de ces pièces, puisque nous allons tester les deux calottes de la cuve.
Cela ne suffit pas. Il faut pouvoir disposer, en complément de ces données, d’une démarche de justification, en termes de sûreté.
Areva doit donc également proposer un niveau minimum de ténacité, compte tenu de la conception de la cuve, de telle sorte que la rupture soit évitée en toutes circonstances, en supposant l’existence d’un défaut. Nous savons que ce dernier n’existe pas mais c’est le principe même de la démonstration.
Nous comparerons ensuite les résultats expérimentaux, qui ne sont pas encore connus, à ces valeurs qui devraient être déterminées de manière théorique, pour vérifier que les niveaux sont suffisants. L’IRSN est ensuite chargé de mener une contre-expertise de ce travail réalisé par Areva.
C’est l’objet de la saisine de l’ASN. Nous effectuerons nos propres calculs, de sorte que l’ASN, ainsi que les groupes permanents, puissent disposer, comme d’habitude, d’un avis du fabricant, sous le contrôle de l’exploitant nucléaire, et d’un avis fondé scientifiquement et techniquement sur les meilleures méthodes de calcul de l’IRSN.
Nous devons tenir compte, sur le fond de cette expertise, de la conception de cette cuve.
Comme indiqué, un certain nombre de caractéristiques propres à la cuve de l’EPR font que la calotte supérieure supporte plus de contraintes, notamment toutes les traversées pour les mesures et pour le contrôle de la réactivité dans le cœur.
Il y a ensuite des viroles, les parois verticales de la cuve, qui ne sont pas en cause dans notre analyse et sont moins irradiées sur la cuve de l’EPR que sur les cuves des réacteurs du parc.
Il y a enfin une calotte inférieure, libre de tout perçage, qui ne comporte pas de risque de fissuration lié à l’ajout de traversées. C’est un point favorable pour la cuve de l’EPR.
La fabrication de ces deux calottes a été réalisée par Areva avec un nouveau procédé de fabrication. C’est en ce sens que l’IRSN s’est exprimé en termes de régression. En effet, la fabrication des calottes des réacteurs du palier N4, voici un certain nombre d’années, utilisait une technologie dite de lingots à solidification dirigée, avec des lingots beaucoup plus petits, de l’ordre d’une cinquantaine de tonnes. Il était donc possible de mieux piloter le processus de refroidissement, de telle sorte qu’il n’y avait pas ou peu de ségrégation en carbone, du fait de la technologie employée.
Au contraire, dans le procédé utilisé pour les calottes EPR, le lingot est très gros, si bien que le processus de refroidissement progressif favorise l’apparition de fortes ségrégations.
La fabrication prend évidemment en compte cela, en n’utilisant pas les parties haute et basse du lingot qui sont les plus ségrégées.
La pièce est forgée à partir de la partie centrale. L’analyse vise à déterminer où se situe réellement – au centre ou en extérieur – le reste de ségrégation, non éliminé initialement. Il est très important de le savoir.
Concernant ce point, il faut noter un élément favorable : la calotte inférieure est moins épaisse que la calotte supérieure. Cela veut dire que davantage de matière, évidemment la plus ségrégée, a été enlevée. Nous pouvons présumer que cela aura un effet favorable sur la démonstration, d’autant qu’il n’y a pas de traversées, donc moins de contraintes sur cette pièce.
A contrario, le couvercle contient toutes les traversées et il est plus épais. Il supporte plus de risque. Mais il est remplaçable. Si la démonstration ne pouvait être réalisée, ce ne serait qu’un demi-mal. …
Si la calotte du bas est inapte à l’emploi, c’est toute la cuve qui se trouve condamnée. Un certain nombre d’essais, dont nous analyserons les résultats, vont être réalisés.
L’ASN attend que nous donnions un avis sur l’adéquation du programme d’essais, avant que ces essais ne soient effectués. Nous analyserons la démonstration réalisée par Areva à partir de ces essais et la suffisance des marges qui auront été évaluées par le constructeur de la cuve.
Nous pensons que le programme d’essais pourrait être approuvé à la fin du mois de septembre. Il faudra ensuite qu’il soit réalisé, que nous en analysions les résultats, que les groupes permanents se prononcent, etc.
Cela nous amènera probablement à l’été 2016.
EDF a choisi de ne pas interrompre la construction de l’EPR pendant cette phase. C’est son choix d’exploitant.
Je voudrais vous livrer trois éléments de conclusion. En premier lieu, les calottes de la cuve de Flamanville 3 présentent une anomalie de fabrication, au regard du haut niveau de qualité de fabrication attendu pour les cuves de réacteurs électronucléaires qui sont des équipements majeurs.
C’est un constat acquis, que personne ne peut contester.
En second lieu, l’impact de cette anomalie sur la démonstration de sûreté nécessite une analyse approfondie, sur la base de données complémentaires qu’il reste à acquérir, de mesures et ensuite de calculs. L’exécution de tout ce travail demandera plusieurs mois.
En troisième lieu, sans s’engager sur la conclusion qui sera tirée des données complémentaires et de l’analyse consécutive, l’IRSN note que la conception innovante de la cuve de l’EPR, par rapport au parc français, apporte des éléments favorables à une issue positive de ce dossier. Encore faut-il en apporter la preuve.
M. Patrick Dumaz, chef du programme de réacteurs de deuxième et troisième générations, direction de l’énergie nucléaire, Commission à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Sur la question de l’intégrité de la cuve, il est important de comprendre les chargements susceptibles de la menacer. Tels que nous les connaissons sur le parc actuel, il s’agit, comme évoqué précédemment par mon collègue de l’Université de Louvain, de chocs froids, liés à des situations accidentelles relativement hypothétiques : brèche ouverte dans le circuit primaire, dépressurisation, entrée en fonctionnement de l’injection de sécurité, etc.
Ces transitoires de choc froid sont vraiment les plus déterminants pour les réacteurs du parc actuel.
L’eau, arrivant par les branches primaires, refroidit d’abord les viroles cylindriques qui subissent un refroidissement maximal. C’est à ce niveau que nous devons vérifier l’intégrité de la cuve.
Dans le cas de l’EPR, le fond et le couvercle étant un peu plus éloignés de l’injection d’eau, le transitoire de température subi serait plutôt atténué. De plus, les viroles cylindriques sont très proches du cœur du réacteur. Un certain nombre de neutrons quitte le cœur et impacte le métal de la cuve. C’est ce que nous appelons le vieillissement sous irradiation, phénomène étudié depuis des décennies de façon très précise. Comme pour l’excès en concentration de carbone, l’irradiation neutronique provoque un durcissement du matériau, peu favorable pour les transitoires de choc froid.
Nous avons très peu évoqué la ténacité. Pour démontrer que la cuve va rester intègre, l'ingénieur a besoin d’une information sur la qualité du matériau et sa capacité à résister à la propagation des fissures. C’est ce que nous appelons la ténacité, un paramètre fondamental de la mécanique de la rupture. Ce sont ces paramètres qu’Areva va devoir mesurer de manière plus précise.
Les valeurs de résilience mentionnées dans la réglementation ESPN sont des indicateurs, non des valeurs utilisées par l’ingénieur pour ses calculs. La qualité de la démonstration de sûreté suppose de disposer des valeurs de ténacité et d’étudier l’ensemble des sollicitations mécaniques qui se produiront sur la cuve, afin de vérifier que le chargement reste inférieur à ces valeurs. La ténacité est un paramètre très dépendant de la composition du matériau, de l’irradiation neutronique et de la température, puisque plus la température est basse, plus la ténacité est basse. Le matériau tend alors vers un comportement fragile et des risques de rupture fragile, d’où l’importance des transitoires de choc froid…
Le dernier point porte sur la mécanique de la rupture. En complément de ceux de caractérisation de la ténacité des matériaux, des essais reproduisent vraiment la sollicitation bi-axiale subie par le matériau de cuve lors d’un transitoire mécanique. Lors de certains de ces essais mécaniques, réalisés sur des matériaux non-irradiés ou irradiés, il a été parfois observé des ruptures beaucoup plus tardives que prévu, ce même lorsque le chargement dépassait la courbe de ténacité.
Ces phénomènes mécaniques – pour les spécialistes, il s’agit de pré-chargements à chaud ou d’arrêts de fissures –, maintenant un peu mieux connus, ont montré que les approches d’ingénieurs utilisées jusque-là comportaient des marges ; elles sont en train d’être codifiées, par exemple dans le code RSE-M déjà mentionné.
Je n’ai pas parlé du fond et du couvercle de l’EPR. Si le CEA a fait beaucoup de recherches sur tous les aspects utiles à la démonstration que va faire Areva, il n’est pas partie prenante.
Je peux simplement partager l’avis qualitatif donné par l’IRSN : le fond et le couvercle de cuve étant assez éloignés des arrivées d’eau, nous nous attendons à ce que les transitoires de choc froid qui vont solliciter la cuve soient moins sévères que ce que nous constatons habituellement pour les viroles cylindriques. L’ASN en demandera évidemment des démonstrations.
Je voudrais terminer en soulignant que le fond et le couvercle étant assez loin du cœur, ils devraient être également peu soumis aux flux d’irradiations, donc au vieillissement sous irradiation. Nous ne nous attendons pas à ce que les propriétés du matériau évoluent à partir de l’état initial.
Cela doit être confirmé par des calculs détaillés mais, a priori, en termes de flux neutronique, plusieurs ordres de grandeur séparent le fond ou le couvercle, par rapport aux viroles cylindriques qui concentrent notre attention pour le parc actuel.
M. Yves Bréchet. Haut-Commissaire du CEA-Grand témoin de la table ronde
Il n’y a pas de vieillissement à l’endroit où il y a des ségrégations, et pas de ségrégation aux endroits où il y a un vieillissement. C’est important. Une vérité qui fait plaisir doit toujours être prouvée deux fois.
M. Yves Bréchet. Haut-Commissaire du CEA-Grand témoin de la table ronde
Avant de donner quelques éléments de conclusion, je voudrais répondre à une question posée par M. Jean-Yves Le Déaut concernant les mesures curatives envisageables contre les ségrégations. La métallurgie est bonne fille mais ce n’est pas une fille facile. S’il est, à la limite, possible d’essayer, par divers procédés, d’éviter des macro-ségrégations, ce n’est pas du tout trivial.
Les macro-ségrégations résultent d’un transport de liquide. Dès l’instant où elles interviennent, les distances sont assez grandes pour que nous ne puissions les guérir par un recuit. Si les ségrégations sont présentes à ces échelles-là, elles sont définitives.
Je suis désolé de vous décevoir.
Je voudrais apporter quelques éléments de conclusion. Pour moi, on décèle une table ronde réussie au caractère inutilisable de la conclusion préparée pour celle-ci. La mienne l’est en partie, mais pas entièrement.
Elle est utilisable sur les questions de long terme, moins sur celles de court terme.
Je pense qu’il faut revenir aux deux tables rondes, prévues dans sa sagesse par l’OPECST, parce qu’elles posent deux questions différentes : d’une part, une question importante mais ponctuelle, dont la presse parle beaucoup, relative à l’existence de cette anomalie et à sa nocivité, et, d’autre part, la question de l’évolution des règlements et de la manière dont ceux-ci peuvent être élaborés, évoluer et être mutuellement acceptés, au travers d’une réflexion conjointe entre opérateurs et autorité de sûreté.
Cette dernière question me semble également très importante, même si elle est peu évoquée.
Concernant les sujets techniques abordés aujourd’hui qui ont déjà fait couler beaucoup d’encre, je pourrais céder à la tentation de vous donner mon avis.
En tant que métallurgiste, ayant longtemps travaillé sur les aciers de cuve et plus généralement sur le vieillissement des matériaux dans des conditions d’irradiation, je pourrais ajouter un avis à ceux que vous avez entendus, aussi bien sur la réglementation des appareils sous pression que sur la cuve de Flamanville. Je vais résister à cette tentation, d’abord par respect pour l’OPECST et pour son mode de fonctionnement. Il m’est souvent arrivé de dire que l’OPECST est l’incarnation même de ce que doit être le lien entre mondes scientifique et politique. Ce lien ne saurait se satisfaire d’un avis d’autorité, donné par le titulaire d’une fonction, fût-il Haut-commissaire.
L’OPECST doit chercher l’expertise où elle se trouve, chez les praticiens de la science et de la technologie, car ce sont eux qui nourrissent sa réflexion. Le rôle que peuvent jouer des intervenants tels que moi, même au plus près de leurs compétences, ne peut remplacer l’audition d’experts de terrain.
Pour autant, cela ne signifie pas que je n’ai aucun avis technique sur la question.
Mon avis se nourrit d’une analyse comparative des différentes contributions qui vous ont été présentées, d’une vie consacrée à l’étude des matériaux de structures, et d’échanges avec les personnes en charge des études en cours.
Simplement, je ne veux pas préempter un résultat qui n’est pas encore acquis, même si, pour l’instant, ce qui a été présenté conduit à une vision plutôt optimiste, non pas sur la présence des ségrégations, mais sur leur caractère dommageable.
Nous ne pourrons trancher cette question qu’une fois l’ensemble des études réalisées. Je pense qu’il n’est pas bon de communiquer sur une étude à venir. Il faut communiquer sur des résultats acquis.
L’étude à venir suscite toujours une inquiétude et, une fois l’inquiétude créée, il devient ensuite très difficile, dans nos sociétés, de la dissiper, tant est devenue prégnante, sur ces questions, la culture du soupçon.
Je voudrais vous inviter à réfléchir, non pas simplement au sujet technique qui nous rassemble, mais à la raison qui en fait une question politique impliquant l’OPECST.
Nous faisons face à deux sujets : les appareils sous pression et la composition des aciers de cuve, relevant de l’application d’un règlement qui, dans les deux cas, a évolué dans des périodes récentes.
Il est normal que les règlements évoluent.
Nous avons, dans un cas, la question de l’application du règlement et, dans l’autre, celle de la nocivité d’une anomalie.
Ces questions portent sur un sujet d’importance : la sûreté nucléaire.
L’Autorité de sûreté nucléaire et son bras armé, l’IRSN, sont les garants de la sûreté. Les opérateurs doivent appliquer ces règlements…
Pour que l’application des règlements soit efficace, il est impératif que leur contenu soit non seulement rationnel, mais aussi reconnu comme tel par tous ceux qui vont devoir les appliquer, y compris ceux pour qui cela générera un surcroît de travail.
Les résultats des études sur lesquels s’appuie l’ASN sont publics.
Je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur les règlements eux-mêmes. Quand un règlement est modifié en vue d’accroître la sûreté nucléaire, il serait très utile de faire la démonstration scientifique que nous avons bien augmenté la sûreté et pas simplement son coût.
Il est impératif que les opérateurs soient convaincus de ce fait. Il serait très utile de démontrer que les exigences nouvelles sont technologiquement réalistes, et de donner un moyen de les mettre en œuvre. Je pense que ce travail est en cours.
Cela me rend extrêmement optimiste pour la suite des événements. Je voudrais expliciter pourquoi il est important de faire la démonstration qu’un règlement plus rigoureux conduit à accroître la sûreté, et pas simplement le coût de celle-ci. Vous allez me dire : Pourquoi nous compliquer l’existence ? Ne suffit-il pas de réglementer et d’appliquer ? À ne pas expliciter la raison d’un règlement, à ne pas prendre le temps de convaincre les opérateurs par une discussion approfondie, nous courrons le risque de dérives dommageables, en termes de sûreté et d’efficacité.
Pour l’efficacité, on imagine très bien qu’un règlement plus contraignant sera nécessairement plus coûteux. Pour la sûreté, c’est un peu plus subtil. Nous pourrions penser que des règles prudentes, au-delà de la démonstration rationnelle de leurs fondements, assurent une sûreté renforcée. Elles peuvent pourtant avoir l’effet inverse.
Si les opérateurs ne sont pas convaincus de la rationalité d’une règle, ils peuvent être tentés de la contourner. J’espère qu’ils ne le font pas.
Nous prenons à revers le principe de Pascal. Dès lors que l’on commence à désobéir à une loi qui semble infondée, il est aisé de se croire autorisé à la contourner.
Nous n’en sommes heureusement pas là, mais il faut être conscient des risques pour les éviter. Le manque de confiance dans la rationalité des règlements n’incite pas les opérateurs à la curiosité naturelle attendue des scientifiques.
Craindre qu’une autorité se saisisse d’une nouveauté pour durcir des règlements, rend relativement peu enclins à la découvrir.
Aussi, je plaide pour une discussion très approfondie sur les règlements, leurs évolutions et leur mise en œuvre entre les opérateurs et l’Autorité de sûreté nucléaire, dans le complet respect de l’indépendance de cette dernière qui, in fine, reste seule juge.
Il faut également que tout cela repose sur une compétence scientifique et technique au plus haut niveau.
C’est sur ce point que je souhaiterais conclure.
Voici quatre ans, dans un rapport sur la métallurgie, l’Académie des sciences a alerté sur la perte progressive de compétence résultant d’une désaffection pour une discipline passée de mode.
Il est urgent de se souvenir que la sûreté, avant même la question des règlements et de leur application, repose, aussi bien du point de vue du régulateur que de celui du concepteur, sur la nécessité d’une compétence sans faille dans les sciences de l’ingénieur qui ont fait de l’énergie nucléaire un joyau de notre industrie, une composante essentielle de nos ressources énergétiques ainsi qu’un modèle de sûreté industrielle.
C’est aussi cette question de la compétence qui transparaît dans ma demande, inspirée par des situations que nous avons examinées aujourd’hui, que l’évolution du règlement soit accompagnée de la preuve indubitable de sa pertinence scientifique et technique.
C’est une raison de plus de nous livrer à l’exercice exigeant de la démonstration. Nous devons nous assurer que les compétences sont au meilleur niveau, partout.
La sûreté et la transparence n’en seront que mieux assurées.
EXTRAITS DE LA REUNION DE L’OPECST DU 25 JUIN 2015
Le 25 juin 2015, l’OPECST a organisé une réunion sur le problème des ségrégations de carbone affectant le couvercle et le fonds de cuve de l’EPR de Flamanville 3.
Cette réunion a été organisée en 2 tables rondes.
PREMIÈRE TABLE RONDE : LES MODALITÉS DU CONTRÔLE DES ÉQUIPEMENTS SOUS PRESSION NUCLÉAIRES
Présidence : M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST.
Grand témoin : M. Yves Bréchet haut-commissaire à l’énergie atomique.
Au cours de cette table ronde se sont exprimés :
M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN)
M. Nicolas Chantrenne, sous-directeur des risques accidentels, direction générale de la prévention des risques, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
M. Dominique Delattre, chef de l’Unité des publications en matière de sûreté et de sécurité nucléaires, département de la sûreté et la sécurité nucléaires, Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)
Mme Cécile Laugier, présidente de l’Association française pour les règles de conception, de construction et de surveillance en exploitation des matériels des chaudières électronucléaires (AFCEN)
M. Jean-Philippe Longin, président de l’Association pour la qualité des appareils à pression (AQUAP).
Je retiens de l’intervention de Mme Laugier :
Le code RCC-M est aujourd’hui le seul code nucléaire codifiant la qualification technique de pièces… Le fait que le code français décrive la qualification est, encore aujourd’hui, sans équivalent dans les exigences posées par les autres codes nucléaires.
Cela veut dire qu’il y a plus d’exigence dans notre code français que dans la plupart des codes comparables.
Dès sa première édition de 1980, pour les pièces dont le processus de fabrication peut mener à des hétérogénéités, le RCC-M a fait le choix d’introduire un processus de qualification. Il s’agit de caractériser la pièce dans les zones où les propriétés du matériau doivent être suffisantes vis-à-vis des conditions d’emploi de la pièce. Ce principe n’est pas repris et n’est pas décrit de cette manière dans d’autres codes, nous pensons en particulier à ceux de l’ASME ou au CODAP (programme de l’OCDE/NEA), ni dans le cadre de l’industrie conventionnelle, ni même dans les normes européennes citées.
La qualification a pour but de vérifier l’efficacité d’une gamme de fabrication donnée, de satisfaire le niveau de qualité requis et d’apporter les éléments qui permettent de confirmer que le processus de fabrication est bien maîtrisé par le fournisseur de matériaux…
Une caractéristique importante du code est de rester évolutif.
Actuellement, nous travaillons en lien étroit avec l’ASN pour compléter le code RCC-M afin que ses prochaines versions s’approchent, vers 2016-2018, d’une complète conformité avec la réglementation.
Depuis 2007, l’AFCEN a introduit dans le RCC-M des annexes qui améliorent sa correspondance avec les exigences essentielles fixées par la réglementation française. Nous avons également fait un effort en publiant récemment un document, appelé Criteria, qui les explique.
Ce sont les difficultés rencontrées par les fabricants pour l’obtention des premières attestations de conformité pour les équipements de niveau 1, les plus importants, qui ont conduit l’AFCEN à mettre en place ce programme technique approfondi.
Il est destiné à conforter l’aptitude du code à traduire les exigences réglementaires, à l’adapter pour les utilisateurs français quand cela apparaît nécessaire à la « justification » de leurs opérations, et à établir, le cas échéant, des documents complémentaires, lorsque les prescriptions ne sont pas assez précises.
Nous avons prévu un programme de travail pour fixer la liste des pièces nécessitant une qualification technique au cas par cas.
Ce travail sera réalisé conjointement avec l’ASN.
Nous ferons également évoluer le contenu de notre code, notamment pour fixer la démarche qui permettra d’apporter la justification « en tous points », qui est celle que les utilisateurs français doivent maintenant respecter.
Je terminerai mon propos en rappelant que notre association édite ces règles techniques depuis plus de trente ans, qu’elle a été initialement fondée par Areva et EDF, mais s’est largement ouverte à l’international.
Notre code reste au meilleur niveau.
Il comprend des exigences, notamment autour de la qualification des pièces les plus complexes, sans équivalent dans d’autres codes.
Nous sommes engagés aujourd’hui, en lien étroit avec l’ASN, dans un important travail technique pour le compléter et nous approcher de l’adéquation à la réglementation.
Mme Laugier, dans son exposé, fait très bien ressortir que les exigences françaises sont sans équivalent dans les autres codes mondiaux et notamment l’ASME, qui est sans contexte le code le plus fréquemment utilisé.
Le grand témoin, Mr Yves Bréchet, Haut-Commissaire du CEA intervient à la suite de ces auditions.
M. Yves Bréchet.
J’ai l’impression, en entendant Mme Cécile Laugier, que nous sommes dans une configuration où nous pouvons à la fois respecter l’indépendance indispensable de l’autorité de sûreté, et prendre en compte les aspects techniques qui font qu’un règlement peut être plus ou moins difficile à examiner et à mettre en œuvre. Comment le faire en pratique ? Comment l’interaction entre l’AFCEN et l’Autorité de sûreté nucléaire se déroule-t-elle ?
Mme Cécile Laugier.
Le lien entre les codes et la réglementation est effectivement important. L’association professionnelle qu’est l’AFCEN rédige des recueils de règles techniques qui sont conçus pour être utiles aux utilisateurs. Ils doivent reproduire un certain nombre d’exigences mises en commun et également les aider le plus possible à s’approcher de ce qu’ils doivent respecter sur le plan réglementaire. C’est l'une des raisons pour lesquelles nous avons des échanges avec l’ASN et son appui technique (l’IRSN) qui sont des invités permanents à nos groupes de travail d’experts.
Il arrive notamment aux représentants de l’IRSN de venir en observateur, même s’ils ne participent pas directement aux travaux. Ils sont des observateurs attentifs, avisés et souvent très intéressés par ces débats techniques entre experts qui donnent des informations utiles sur l’évolution de l’état de l’art.
Nos codes sont très formellement référencés dans les dossiers déposés par l’exploitant nucléaire. L’Autorité de sûreté nucléaire a, bien sûr, un droit de regard. Il arrive très régulièrement qu’elle formule des demandes de modification. Nous les prenons en compte. Cela explique pourquoi le code évolue, même s’il n’est pas un équivalent de la réglementation.
M. Yves Bréchet.
Quel est le point de vue de l’Autorité de sûreté nucléaire sur cette question ?
M. Pierre-Franck Chevet.
Nous avons un certain nombre d’échanges pour que le code évolue. Il inclut des références très anciennes alors que la nouvelle réglementation impose un certain nombre d’exigences supplémentaires.
Nous discutons actuellement pour qu’il y ait le plus de cohérence possible entre la réglementation et les pratiques industrielles, celles-ci ne pouvant rester durablement en l’état.
M. Jean-Yves Le Déaut. Président de l’OPECST.
Pour compléter les propos de M. Pierre-Franck Chevet qui a indiqué, ce qui semble clair, que l’anomalie n’était pas réglementaire, pourriez-vous préciser si la réglementation applicable aux ESPN est la même en France et dans d’autres pays dotés du même type de réacteur, par exemple en Chine ?
M. Pierre-Franck Chevet.
Je ne saurais vous répondre sur la Chine. J’obtiendrai peut-être l’information plus tard. Je peux simplement dire que nous avons averti nos homologues chinois, lorsque l’anomalie a été confirmée. Avec quelques spécialistes, j’ai eu l’occasion, durant une ou deux heures, de la leur présenter en détail. Pour eux, le problème semblait clair. L’idée générale de notre réglementation, tout comme des différents codes dans le monde, est de viser les meilleures caractéristiques possibles pour un certain nombre de matériaux, a fortiori pour les composants dont la rupture est exclue…
Néanmoins, cette capacité des matériaux à résister à la rupture brutale se retrouve, avec quelques variantes, dans toutes les codifications.
M. Yves Bréchet.
Sans aborder le problème spécifique de l’anomalie de la cuve EPR, je suis tout à fait d’accord avec les propos de M. Pierre-Franck Chevet : il faut que les difficultés soient mises sur la table. Nous ne pouvons pas ne pas parler des problèmes. Si tout allait bien, nous n’aurions pas aujourd’hui ce débat sur la réglementation relative aux EPSN. Un certain nombre de réticences existent, de la part des industriels, vis-à- vis de l’application de ces règlements.
Nous n’allons pas faire semblant de l’ignorer. J’aimerais que ce soit explicité.
Pardonnez-moi d’insister, mais j’aimerais que soient mis clairement sur la table les reproches qui sont faits concernant les modalités du contrôle des équipements sous pression nucléaires.
J’en connais qui sont justifiés, et d’autres qui le sont beaucoup moins.
Nous venons d’entendre tout ce qui se déroule bien. Il se trouve que, pour les opérateurs, c’est un sujet qui pose problème en termes de mise en œuvre réelle sur le parc.
Nous ne résoudrons peut- être pas la question aujourd’hui mais il faut au moins qu’elle soit posée dans cette instance.
Je n’ai jamais vu un problème se résoudre sans qu’il soit explicité.
SECONDE TABLE RONDE : LE CAS DE LA CUVE DU RÉACTEUR EPR
Présidence : M. Christian Bataille, député, vice-président de l’OPECST
Grand témoin : M. Yves Bréchet haut-commissaire à l’énergie atomique
M. Thomas Pardoen, professeur, Université catholique de Louvain
M. Bertrand de l’Epinois, directeur des normes de sûreté d’Areva
M. Laurent Thieffry, directeur du projet de Flamanville 3
M. Rémy Catteau, directeur des équipements sous pression, Autorité de sûreté nucléaire (ASN)
M. Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)
M. Patrick Dumaz, chef du programme de réacteurs de deuxième et troisième générations, direction de l'énergie nucléaire, Commission à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)
M. Thomas Pardoen, professeur, Université catholique de Louvain
Sur la première planche, la courbe présentée montre l’évolution de l’énergie d’impact, l’énergie qu’il a fallu dissiper dans le matériau – ici un acier ferritique de cuve – pour réussir à le déchirer, en fonction de la température. À basse température, bien en-dessous des températures d’utilisation d’une cuve, l’énergie de rupture est très faible. Cela correspond au régime de la rupture fragile, qu’il faut chercher à éviter. Au-dessus d’une certaine température, le matériau passe par une transition et arrive dans un régime dit ductile où l’énergie d’impact est nettement supérieure, dans certains cas de plusieurs centaines de joules.
La deuxième planche comporte plusieurs courbes, correspondant à des compositions en carbone différentes, de 0,01 %, 0,11 % et 0,22 %. Plus il y a de carbone, plus la résistance à la rupture et l’énergie d’impact diminuent dans la partie ductile. De plus, la température à laquelle se produit le basculement dans le régime fragile est de plus en plus haute. La valeur réglementaire de 60 joules évoquée est également indiquée. Ce graphe ne correspond toutefois pas à l’acier spécifique de la cuve de Flamanville.
Pour obtenir l’énergie de rupture, une petite entaille est pratiquée sur des échantillons de matière afin de créer des conditions très sévères. Celle-ci va concentrer le chargement produit par un mouton-pendule. Il suffit ensuite de mesurer l’énergie qui aura été dissipée pour briser la pièce. Dans le cas d’une cuve de réacteur, cette énergie doit être supérieure à 60 joules….
Pour conclure, le taux de carbone est représentatif d’une chute de la ductilité et de la résilience dans le régime ductile. Avoir plus de carbone a de multiples implications. N’ayant vu aucun document technique détaillé sur la cuve de l’EPR, je ne suis pas capable, à ce stade, de déterminer ce que ce carbone modifie de la structure de la matière ni donc ce qui pourrait expliquer précisément pourquoi nous pourrions avoir cette perte de ténacité.
Nous n’avons évoqué qu’un seul aspect du problème : la force de résistance du matériau. Il faut aussi prendre en compte le chargement nécessaire pour que des fissures apparaissent et se propagent. C’est uniquement si ce chargement est supérieur à la résilience du matériau considéré que cela se produira. Le caractère conservatif de l’analyse résulte de la distance entre le chargement réellement appliqué et la valeur de la propriété du matériau. Dans le cas qui nous occupe, pour la pièce spécifique du fond de cuve, les propriétés semblent effectivement basses, mais quel est le niveau exact de chargement nécessaire pour faire apparaître des fissures, et éventuellement les propager ?
M. Bertrand de l’Epinois, directeur des normes de sûreté d’Areva.
Avant d’aborder le sujet de la concentration en carbone, il semble utile de rappeler que, sur un certain nombre de sujets importants en matière de sûreté, la cuve de l’EPR réalise des progrès substantiels.
D’abord, il n’existe aucune traversée en fond de cuve, les tubes d’instrumentation passant par le couvercle.
Ensuite, le flux de neutrons sur les viroles de cuve baisse significativement, grâce à une plus grande épaisseur d’eau et à un réflecteur lourd de neutrons.
Nous avons aussi réduit le nombre de soudures. C’est un point important.
Enfin, des progrès sensibles sur la composition moyenne du matériau de la cuve, notamment en soufre et en phosphore, ont été réalisés.
Ces innovations s’ajoutent à celles, plus générales, de l’EPR en matière de sûreté, précédemment évoquées par M. Pierre Franck Chevet.
La question de la concentration en carbone dans les calottes de cuve ne doit pas masquer ces avancées. La cuve de l’EPR participe pleinement au progrès de sûreté visé par ce réacteur.
Venons-en maintenant au cœur du sujet qui concerne les deux calottes, le fond et le couvercle de la cuve, sur lesquelles, en partie centrale et à l’extérieur, se trouvent des ségrégations positives, c’est-à-dire des concentrations en carbone supérieures à la moyenne et aux spécifications. L’existence de ségrégations positives ou négatives –quand il n’y a pas assez de carbone– est un phénomène connu dans les pièces forgées épaisses. Il a fait l’objet de nombreuses études. Il est pris en compte dans la conception des pièces. C’est un phénomène inhérent, en particulier, au procédé mis en œuvre pour forger ces deux pièces de la cuve de l’EPR. Nous pourrons revenir, à l’occasion du débat, sur la question des lingots, des procédés et des évolutions de procédés dans le temps….
Quels sont les enjeux de sûreté de la ségrégation ? L’augmentation de la concentration en carbone durcit le matériau qui aura une plus grande résistance mécanique. La pièce aura plus de résistance à la pression. En revanche, elle sera plus sensible à ce qui a été décrit, à la rupture fragile ou à la rupture brutale. Nous devons tenir compte de deux phénomènes dans la conception de ces pièces. Elles doivent, d’une part, résister à la pression, avec une bonne résistance mécanique de l’acier et une bonne épaisseur, et, d’autre part, être le moins possible susceptibles de ruptures brutales ou fragiles. Il faut avoir suffisamment de carbone mais pas trop. Il faut ajuster l’équilibre entre les différentes zones.
Comme cela a été indiqué, la rupture brutale n’intervient que si trois conditions sont simultanément réunies : l’existence d’un défaut à l’origine – typiquement une fissure –, une température basse, et un chargement mécanique important, au regard de la fissure et des caractéristiques du matériau. Pour ce qui est de la température, le risque de rupture brutale suppose qu’elle soit suffisamment basse pour que le matériau se situe dans son domaine fragile. Ces trois conditions sont indispensables….
Des contrôles à 100 % sont réalisés, par différents moyens, en fin de fabrication, dans toute l’épaisseur du métal et sur toute sa surface. Ils n’ont révélé aucun défaut. Il n’y a pas a priori de fissure venant de la fabrication. De plus, la partie externe correspond à des zones dans lesquelles nous n’attendons pas de créations ou de propagations de défauts en fonctionnement.
En application de l’arrêté ESPN, l’ASN nous a demandé de vérifier les valeurs en résilience dans l’ensemble de la pièce. La résilience est liée à la concentration en carbone. Ces contrôles ont montré des écarts par rapport aux 60 joules mentionnés par l’arrêté. La concentration en carbone atteignant 0,28 % dans la partie extérieure, se trouvait en excès par rapport à nos spécifications, puisque nous cherchons à rester entre 0,18 % et 0,22 %. À la suite de ces contrôles, nous avons proposé un programme d’essais complémentaires, en cours d’instruction par l’ASN. Nous espérons le lancer dans les prochaines semaines et dans les prochains mois, lorsque nous aurons obtenu le feu vert pour l’engager.
Ces essais consistent en une caractérisation métallurgique approfondie d’une pièce analogue, dans toute l’épaisseur et dans toute la zone centrale. À minima, une centaine d’éprouvettes seront réalisées pour mesurer en tous points la teneur en carbone, la résilience ainsi que la ténacité. La résilience est simple à mesurer pour les essais de recettes, ainsi que l’allongement à la rupture. Nous procédons toujours de cette manière. En revanche, la ténacité est la vraie grandeur physique exprimant la capacité du matériau à résister à la propagation d’une fissure sous température basse et sous un chargement important. Un grand nombre de mesures de ténacité seront réalisées lors de ces essais de caractérisation.
Ce programme complémentaire comportera également un volet d’étude de conception, incluant une analyse exhaustive de tous les chargements et des calculs de mécanique, prenant en compte les caractéristiques réelles du matériau, mesurées sur la pièce d’essai, afin de montrer l’aptitude à l’emploi de celle-ci. Ces calculs de mécanique sont effectués en faisant l’hypothèse de la présence d’un défaut : une fissure qui n’aurait pas été identifiée lors du contrôle, bien que tout ait été fait pour qu’il n’y en ait pas. Nous établirons un dossier d’aptitude à l’emploi sur la base de ce programme complémentaire, qui sera transmis à l’ASN en vue de sa décision.
M. Laurent Thieffry, directeur du projet de Flamanville 3.
L’ensemble des composants du circuit primaire est en place : cuve, générateurs de vapeur et pressuriseur. Les soudages des boucles primaires sont en cours d’achèvement. Les montages électromécaniques sont effectués à cadence industrielle, avec plus de 4 000 personnes présentes sur le site.
À ce stade, il me paraît important de préciser que, s’agissant du haut niveau d’exigence propre à l’industrie nucléaire, chaque opération réalisée sur ce projet donne lieu à des contrôles, dont certains exercés directement par l’Autorité de sûreté nucléaire ou les organismes notifiés par cette dernière.
Nous ne passons à l’étape suivante que si les résultats de l’étape précédente sont positifs, moyennant, le cas échéant, le traitement préalable de tout écart. Bien évidemment, l’ensemble de ce processus donne lieu à une traçabilité et à une transparence totale de chacun des événements….
Cette précision étant donnée, j’en viens à la fabrication de la cuve de l’EPR de Flamanville 3.
Elle est constituée d’un fond hémisphérique, de viroles cylindriques soudées entre elles et au fond, ainsi que d’un couvercle. L’ensemble mesure un peu moins de quatorze mètres de hauteur, pour un peu moins de six mètres de diamètre, et son poids total atteint environ 550 tonnes.
Nous sommes donc face à un ensemble de grande dimension.
EDF a confié la construction des chaudières nucléaires de l’EPR de Flamanville 3 à Areva, dans le cadre d’un marché notifié en 2005.
Les composants de la cuve ont été conçus et fabriqués conformément aux référentiels techniques en vigueur au moment de leur fabrication, à savoir le code de conception et de construction nucléaire dit RCC-M – élaboré par l’AFCEN sur la base des meilleures pratiques mondiales – notamment par l’application de son chapitre dit M140, consacré à la qualification.
Les approvisionnements des pièces forgées constitutives de cet équipement ont été lancés par Areva dès 2005.
Le fond et le couvercle sont issus de pièces de forge fabriquées dans l’usine du Creusot en 2006 et 2007. Dans ce cadre, les dossiers de synthèse et de qualification M140, la démonstration de la conformité finale de la pièce à son référentiel de conception de fabrication ont été établis, pour le couvercle et le fond de cuve, en 2010.
La fabrication du corps de la cuve s’est achevée à l’été 2013, à l’issue d’une épreuve hydraulique réalisée avec succès en usine.
Comme expliqué précédemment, au titre de sa responsabilité d’exploitant nucléaire, EDF a exercé, comme prévu par le code RCC-M, une surveillance de ces fabrications aux trois étapes clés du processus de qualification. Tout d’abord au stade du dossier technique initial élaboré par Areva, comprenant la description du programme de fabrication et du programme d’essais associés destiné à vérifier la conformité en finale ; ensuite, en phase de fabrication, pour vérifier en usine que les opérations de fabrication sont bien réalisées conformément au dossier technique –cette surveillance inclut aussi une composante documentaire afin de s’assurer de l’applicabilité et de la conformité des modes opératoires utilisés.
EDF a ainsi surveillé l’intégralité des opérations de forgeage et de chutage, ainsi que la totalité des essais mécaniques de recette des composants de la cuve de Flamanville 3. Enfin EDF a surveillé l’élaboration des rapports de qualification qui ont conclu, en phase finale du processus, à la conformité des composants de la cuve à leur référentiel technique de fabrication.
Passons maintenant à l’application de la réglementation ESPN. L’arrêté ESPN a été pris en 2005 mais les modalités de la qualification technique réglementaire associée n’ont pas été décrites dès sa mise en application. L’arrêté prévoyait d’ailleurs une période de transition.
Certaines de ces modalités d’application ont été formalisées en 2011, après la fin de la fabrication des composants de la cuve de Flamanville 3.
C’est en particulier le cas avec l’exigence que les normes quantifiées de l’arrêté ESPN soient désormais atteintes en tout point de la cuve.
Cela suppose donc des essais de recettes plus nombreux, sur plusieurs zones. Des caractéristiques mécaniques différentes restent acceptables, sous réserve de démonstration de l’absence de conséquences, comme c’était déjà le cas avec la réglementation antérieure. Le chapitre M140 du code RCC-M, référentiel technique utilisé pour la synthèse de la qualification au moment de la fabrication de la cuve de Flamanville 3, entre 2006 et 2010, n’intègre pas cette exigence nouvelle, car elle visait l’aptitude à l’emploi de la pièce, en vérifiant les propriétés uniquement dans les zones les plus sollicitées.
C’est d’ailleurs là une évolution significative et positive de la nouvelle réglementation ESPN.
L’ASN a donc demandé à Areva d’appliquer ces nouvelles modalités sur les composants de la cuve de Flamanville 3.
Pour y répondre, Areva a proposé, fin 2012, de réaliser des essais complémentaires sur la matière prélevée sur un couvercle similaire à celui de Flamanville 3, dans des zones non examinées en recette auparavant.
Les résultats de ces essais ont été obtenus au dernier trimestre 2014. C’est à l’occasion de ces essais complémentaires, au titre de la réglementation ESPN, qu’Areva a identifié un écart sur certaines caractéristiques métallurgiques, du fait de la ségrégation en carbone située au centre et en partie externe du couvercle.
Areva en a informé EDF et l’ASN et a proposé une analyse de la conception de la fabrication ainsi qu’un programme d’essais complémentaires pour démontrer – comme le prévoit la réglementation – l’importance des marges existantes face à tout risque pour la cuve. Ce programme d’essai fera, bien sûr, l’objet d’une vérification par l’Autorité de sûreté nucléaire avant toute réalisation.
M. Rémy Catteau, directeur des équipements sous pression, Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
…. La cuve fait l’objet d’une hypothèse particulière et majeure dans la démonstration de sûreté : l’hypothèse d’exclusion de rupture. Les conséquences de la défaillance de la cuve ne sont pas prises en compte dans la démonstration de sûreté. Pour être clair, la défaillance de la cuve n’est pas postulée.
Le dernier enjeu n’est pas, à proprement parler, lié à la sûreté : le corps de la cuve ne peut être remplacé une fois le réacteur mis en service ; du moins aucune cuve ne l’a été jusqu’à présent dans le monde. Une fois que le réacteur démarre avec une cuve, il s’arrêtera, très vraisemblablement, avec la même cuve.
Ces enjeux majeurs impliquent nécessairement le respect d’exigences fortes en matière de conception, de fabrication et de contrôle en service ; nous sommes là dans une démarche de défense en profondeur.
Nous voulons une excellente conception, avec de très fortes garanties, permettant de dégager des marges importantes. Il faut une très grande qualité de fabrication, permettant d’assurer que les hypothèses posées à la conception sont effectivement validées.
Cela permet de garantir que les défauts restants de la cuve sont négligeables et que la conception permet de vivre avec ces défauts. Il faut, enfin, un excellent contrôle en service, le but étant de vérifier que ce qui a été prévu à la conception et à la fabrication se déroule bien pendant toute la durée de vie de la cuve et qu’il n’y a pas d’autres phénomènes qui n’auraient pas été prévus.
J’en viens à l’anomalie. Il s’agit d’une anomalie technique : une ségrégation majeure positive de l’ordre de 50 %. C’est un niveau inattendu, très supérieur à ceux que nous avons rencontrés jusqu’à présent. Nous connaissons des ségrégations de ce type sur le parc en exploitation d’EDF qui sont de l’ordre de 20 % à 25 %. Les procédés de fabrication antérieurs ont permis de limiter ces ségrégations.
La demande d’essais complémentaires formulée par l’ASN s’inscrit dans la réglementation actuelle, datant de 2005. C’est elle qui a permis de détecter cette anomalie. À partir du moment où cette anomalie est détectée, c’est un sujet technique qui doit être traité, quelle que soit la réglementation, la précédente ou l’actuelle. C’est un problème qui aurait également été traité par les autres autorités de sûreté dans le monde. Il n’y a pas de doute là-dessus.
Nous attendons aujourd’hui qu’Areva justifie que les propriétés du matériau dans cette zone sont suffisantes pour un usage nucléaire, sur un équipement soumis à une présomption d’exclusion de rupture. …
Nous avons reçu un dossier en mai 2015 que nous instruisons avec l’IRSN. Nous n’en sommes encore qu’au début de l’instruction, celui des questions que nous avons formulées à Areva. Nous avons reçu une partie des réponses.
Je vous propose de détailler quelques-unes de nos grandes interrogations à ce stade.
La première concerne la caractérisation de la zone ayant une concentration de carbone plus importante qu’attendu, et, en particulier, de son positionnement. Nous voulons être certains qu’elle est bien localisée au centre, et en partie supérieure. Le sujet serait encore plus critique si elle se trouvait en partie inférieure.
Nous souhaitons avoir une connaissance, avec de fortes garanties, des propriétés mécaniques de la zone. Ce sont celles relatives au risque de rupture brutale, mais également toutes les autres. Je pense, par exemple, au vieillissement. Cette cuve a une durée de vie de soixante ans au minimum. Nous voulons être sûrs que, aujourd’hui, les propriétés mécaniques de ce matériau sont bien celles que nous imaginons pour dans soixante ans. C’est d’autant plus crucial, que ce matériau présente des ségrégations positives majeures s’écartant assez fortement des matériaux connus jusqu’à présent dans le parc nucléaire. Je confirme que nous étudions également tout ce qui est chargement, donc les sollicitations qui s’appliquent sur cette zone.
Nous souhaitons avoir une vue large des types de sollicitations qui sont déterminantes pour ce type de problème.
Areva va mener une campagne d’essais, majoritairement destructifs. Une fois ceux-ci réalisés, les pièces d’essai seront détruites. Sauf à les remplacer, ces essais ne peuvent être conduits sur les calottes de la cuve de Flamanville. Elles le seront donc sur des calottes initialement destinées à d’autres EPR.
Une question majeure porte sur la représentativité de ces pièces d’essai par rapport à celles du réacteur de Flamanville. Nous attendons une démonstration robuste qui nous apporte des garanties et une quasi-certitude.
M. Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
La cuve est évidemment un composant absolument essentiel. Sa conformité repose notamment sur le respect de critères relatifs à la réglementation des appareils à pression. Certains de ces critères ne sont pas satisfaits en certains points. Pour aller plus loin, nous devons démontrer que la cuve telle qu’elle est, avec ses zones plus fortement ségrégées, présente une résistance suffisante, avec des marges de sûreté suffisantes, en situation normale et accidentelle, les situations normales incluant aussi des essais à froid de l’appareil à pression que constitue la cuve.
Pour cela, il faut parvenir à déterminer précisément les caractéristiques mécaniques des zones ségrégées, et apprécier l’impact de cette ségrégation, au regard des exigences de la démonstration de sûreté.
Je ne parle plus des caractéristiques métallurgiques, mais de démonstration de sûreté.
C’est en ce sens qu’Areva s’est engagée, à la demande de l’Autorité de sûreté nucléaire, à définir un programme d’essai. Ce dernier doit être suffisamment complet et apporter assez d’éléments probants, en suffisamment de points de la cuve, pour permettre de déterminer finement les caractéristiques mécaniques de la zone ségrégée, en présumant que la cuve de Flamanville a été fabriquée exactement selon le même procédé que les pièces qui vont être détruites pour ces examens. Ces données seront donc représentatives. Cela permettra à Areva de proposer une évaluation de la ténacité minimum locale qui existe réellement au sein de cette pièce, ou de ces pièces, puisque nous allons tester les deux calottes de la cuve.
Cela ne suffit pas. Il faut pouvoir disposer, en complément de ces données, d’une démarche de justification, en termes de sûreté.
Areva doit donc également proposer un niveau minimum de ténacité, compte tenu de la conception de la cuve, de telle sorte que la rupture soit évitée en toutes circonstances, en supposant l’existence d’un défaut. Nous savons que ce dernier n’existe pas mais c’est le principe même de la démonstration.
Nous comparerons ensuite les résultats expérimentaux, qui ne sont pas encore connus, à ces valeurs qui devraient être déterminées de manière théorique, pour vérifier que les niveaux sont suffisants. L’IRSN est ensuite chargé de mener une contre-expertise de ce travail réalisé par Areva.
C’est l’objet de la saisine de l’ASN. Nous effectuerons nos propres calculs, de sorte que l’ASN, ainsi que les groupes permanents, puissent disposer, comme d’habitude, d’un avis du fabricant, sous le contrôle de l’exploitant nucléaire, et d’un avis fondé scientifiquement et techniquement sur les meilleures méthodes de calcul de l’IRSN.
Nous devons tenir compte, sur le fond de cette expertise, de la conception de cette cuve.
Comme indiqué, un certain nombre de caractéristiques propres à la cuve de l’EPR font que la calotte supérieure supporte plus de contraintes, notamment toutes les traversées pour les mesures et pour le contrôle de la réactivité dans le cœur.
Il y a ensuite des viroles, les parois verticales de la cuve, qui ne sont pas en cause dans notre analyse et sont moins irradiées sur la cuve de l’EPR que sur les cuves des réacteurs du parc.
Il y a enfin une calotte inférieure, libre de tout perçage, qui ne comporte pas de risque de fissuration lié à l’ajout de traversées. C’est un point favorable pour la cuve de l’EPR.
La fabrication de ces deux calottes a été réalisée par Areva avec un nouveau procédé de fabrication. C’est en ce sens que l’IRSN s’est exprimé en termes de régression. En effet, la fabrication des calottes des réacteurs du palier N4, voici un certain nombre d’années, utilisait une technologie dite de lingots à solidification dirigée, avec des lingots beaucoup plus petits, de l’ordre d’une cinquantaine de tonnes. Il était donc possible de mieux piloter le processus de refroidissement, de telle sorte qu’il n’y avait pas ou peu de ségrégation en carbone, du fait de la technologie employée.
Au contraire, dans le procédé utilisé pour les calottes EPR, le lingot est très gros, si bien que le processus de refroidissement progressif favorise l’apparition de fortes ségrégations.
La fabrication prend évidemment en compte cela, en n’utilisant pas les parties haute et basse du lingot qui sont les plus ségrégées.
La pièce est forgée à partir de la partie centrale. L’analyse vise à déterminer où se situe réellement – au centre ou en extérieur – le reste de ségrégation, non éliminé initialement. Il est très important de le savoir.
Concernant ce point, il faut noter un élément favorable : la calotte inférieure est moins épaisse que la calotte supérieure. Cela veut dire que davantage de matière, évidemment la plus ségrégée, a été enlevée. Nous pouvons présumer que cela aura un effet favorable sur la démonstration, d’autant qu’il n’y a pas de traversées, donc moins de contraintes sur cette pièce.
A contrario, le couvercle contient toutes les traversées et il est plus épais. Il supporte plus de risque. Mais il est remplaçable. Si la démonstration ne pouvait être réalisée, ce ne serait qu’un demi-mal. …
Si la calotte du bas est inapte à l’emploi, c’est toute la cuve qui se trouve condamnée. Un certain nombre d’essais, dont nous analyserons les résultats, vont être réalisés.
L’ASN attend que nous donnions un avis sur l’adéquation du programme d’essais, avant que ces essais ne soient effectués. Nous analyserons la démonstration réalisée par Areva à partir de ces essais et la suffisance des marges qui auront été évaluées par le constructeur de la cuve.
Nous pensons que le programme d’essais pourrait être approuvé à la fin du mois de septembre. Il faudra ensuite qu’il soit réalisé, que nous en analysions les résultats, que les groupes permanents se prononcent, etc.
Cela nous amènera probablement à l’été 2016.
EDF a choisi de ne pas interrompre la construction de l’EPR pendant cette phase. C’est son choix d’exploitant.
Je voudrais vous livrer trois éléments de conclusion. En premier lieu, les calottes de la cuve de Flamanville 3 présentent une anomalie de fabrication, au regard du haut niveau de qualité de fabrication attendu pour les cuves de réacteurs électronucléaires qui sont des équipements majeurs.
C’est un constat acquis, que personne ne peut contester.
En second lieu, l’impact de cette anomalie sur la démonstration de sûreté nécessite une analyse approfondie, sur la base de données complémentaires qu’il reste à acquérir, de mesures et ensuite de calculs. L’exécution de tout ce travail demandera plusieurs mois.
En troisième lieu, sans s’engager sur la conclusion qui sera tirée des données complémentaires et de l’analyse consécutive, l’IRSN note que la conception innovante de la cuve de l’EPR, par rapport au parc français, apporte des éléments favorables à une issue positive de ce dossier. Encore faut-il en apporter la preuve.
M. Patrick Dumaz, chef du programme de réacteurs de deuxième et troisième générations, direction de l’énergie nucléaire, Commission à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Sur la question de l’intégrité de la cuve, il est important de comprendre les chargements susceptibles de la menacer. Tels que nous les connaissons sur le parc actuel, il s’agit, comme évoqué précédemment par mon collègue de l’Université de Louvain, de chocs froids, liés à des situations accidentelles relativement hypothétiques : brèche ouverte dans le circuit primaire, dépressurisation, entrée en fonctionnement de l’injection de sécurité, etc.
Ces transitoires de choc froid sont vraiment les plus déterminants pour les réacteurs du parc actuel.
L’eau, arrivant par les branches primaires, refroidit d’abord les viroles cylindriques qui subissent un refroidissement maximal. C’est à ce niveau que nous devons vérifier l’intégrité de la cuve.
Dans le cas de l’EPR, le fond et le couvercle étant un peu plus éloignés de l’injection d’eau, le transitoire de température subi serait plutôt atténué. De plus, les viroles cylindriques sont très proches du cœur du réacteur. Un certain nombre de neutrons quitte le cœur et impacte le métal de la cuve. C’est ce que nous appelons le vieillissement sous irradiation, phénomène étudié depuis des décennies de façon très précise. Comme pour l’excès en concentration de carbone, l’irradiation neutronique provoque un durcissement du matériau, peu favorable pour les transitoires de choc froid.
Nous avons très peu évoqué la ténacité. Pour démontrer que la cuve va rester intègre, l'ingénieur a besoin d’une information sur la qualité du matériau et sa capacité à résister à la propagation des fissures. C’est ce que nous appelons la ténacité, un paramètre fondamental de la mécanique de la rupture. Ce sont ces paramètres qu’Areva va devoir mesurer de manière plus précise.
Les valeurs de résilience mentionnées dans la réglementation ESPN sont des indicateurs, non des valeurs utilisées par l’ingénieur pour ses calculs. La qualité de la démonstration de sûreté suppose de disposer des valeurs de ténacité et d’étudier l’ensemble des sollicitations mécaniques qui se produiront sur la cuve, afin de vérifier que le chargement reste inférieur à ces valeurs. La ténacité est un paramètre très dépendant de la composition du matériau, de l’irradiation neutronique et de la température, puisque plus la température est basse, plus la ténacité est basse. Le matériau tend alors vers un comportement fragile et des risques de rupture fragile, d’où l’importance des transitoires de choc froid…
Le dernier point porte sur la mécanique de la rupture. En complément de ceux de caractérisation de la ténacité des matériaux, des essais reproduisent vraiment la sollicitation bi-axiale subie par le matériau de cuve lors d’un transitoire mécanique. Lors de certains de ces essais mécaniques, réalisés sur des matériaux non-irradiés ou irradiés, il a été parfois observé des ruptures beaucoup plus tardives que prévu, ce même lorsque le chargement dépassait la courbe de ténacité.
Ces phénomènes mécaniques – pour les spécialistes, il s’agit de pré-chargements à chaud ou d’arrêts de fissures –, maintenant un peu mieux connus, ont montré que les approches d’ingénieurs utilisées jusque-là comportaient des marges ; elles sont en train d’être codifiées, par exemple dans le code RSE-M déjà mentionné.
Je n’ai pas parlé du fond et du couvercle de l’EPR. Si le CEA a fait beaucoup de recherches sur tous les aspects utiles à la démonstration que va faire Areva, il n’est pas partie prenante.
Je peux simplement partager l’avis qualitatif donné par l’IRSN : le fond et le couvercle de cuve étant assez éloignés des arrivées d’eau, nous nous attendons à ce que les transitoires de choc froid qui vont solliciter la cuve soient moins sévères que ce que nous constatons habituellement pour les viroles cylindriques. L’ASN en demandera évidemment des démonstrations.
Je voudrais terminer en soulignant que le fond et le couvercle étant assez loin du cœur, ils devraient être également peu soumis aux flux d’irradiations, donc au vieillissement sous irradiation. Nous ne nous attendons pas à ce que les propriétés du matériau évoluent à partir de l’état initial.
Cela doit être confirmé par des calculs détaillés mais, a priori, en termes de flux neutronique, plusieurs ordres de grandeur séparent le fond ou le couvercle, par rapport aux viroles cylindriques qui concentrent notre attention pour le parc actuel.
M. Yves Bréchet. Haut-Commissaire du CEA-Grand témoin de la table ronde
Il n’y a pas de vieillissement à l’endroit où il y a des ségrégations, et pas de ségrégation aux endroits où il y a un vieillissement. C’est important. Une vérité qui fait plaisir doit toujours être prouvée deux fois.
M. Yves Bréchet. Haut-Commissaire du CEA-Grand témoin de la table ronde
Avant de donner quelques éléments de conclusion, je voudrais répondre à une question posée par M. Jean-Yves Le Déaut concernant les mesures curatives envisageables contre les ségrégations. La métallurgie est bonne fille mais ce n’est pas une fille facile. S’il est, à la limite, possible d’essayer, par divers procédés, d’éviter des macro-ségrégations, ce n’est pas du tout trivial.
Les macro-ségrégations résultent d’un transport de liquide. Dès l’instant où elles interviennent, les distances sont assez grandes pour que nous ne puissions les guérir par un recuit. Si les ségrégations sont présentes à ces échelles-là, elles sont définitives.
Je suis désolé de vous décevoir.
Je voudrais apporter quelques éléments de conclusion. Pour moi, on décèle une table ronde réussie au caractère inutilisable de la conclusion préparée pour celle-ci. La mienne l’est en partie, mais pas entièrement.
Elle est utilisable sur les questions de long terme, moins sur celles de court terme.
Je pense qu’il faut revenir aux deux tables rondes, prévues dans sa sagesse par l’OPECST, parce qu’elles posent deux questions différentes : d’une part, une question importante mais ponctuelle, dont la presse parle beaucoup, relative à l’existence de cette anomalie et à sa nocivité, et, d’autre part, la question de l’évolution des règlements et de la manière dont ceux-ci peuvent être élaborés, évoluer et être mutuellement acceptés, au travers d’une réflexion conjointe entre opérateurs et autorité de sûreté.
Cette dernière question me semble également très importante, même si elle est peu évoquée.
Concernant les sujets techniques abordés aujourd’hui qui ont déjà fait couler beaucoup d’encre, je pourrais céder à la tentation de vous donner mon avis.
En tant que métallurgiste, ayant longtemps travaillé sur les aciers de cuve et plus généralement sur le vieillissement des matériaux dans des conditions d’irradiation, je pourrais ajouter un avis à ceux que vous avez entendus, aussi bien sur la réglementation des appareils sous pression que sur la cuve de Flamanville. Je vais résister à cette tentation, d’abord par respect pour l’OPECST et pour son mode de fonctionnement. Il m’est souvent arrivé de dire que l’OPECST est l’incarnation même de ce que doit être le lien entre mondes scientifique et politique. Ce lien ne saurait se satisfaire d’un avis d’autorité, donné par le titulaire d’une fonction, fût-il Haut-commissaire.
L’OPECST doit chercher l’expertise où elle se trouve, chez les praticiens de la science et de la technologie, car ce sont eux qui nourrissent sa réflexion. Le rôle que peuvent jouer des intervenants tels que moi, même au plus près de leurs compétences, ne peut remplacer l’audition d’experts de terrain.
Pour autant, cela ne signifie pas que je n’ai aucun avis technique sur la question.
Mon avis se nourrit d’une analyse comparative des différentes contributions qui vous ont été présentées, d’une vie consacrée à l’étude des matériaux de structures, et d’échanges avec les personnes en charge des études en cours.
Simplement, je ne veux pas préempter un résultat qui n’est pas encore acquis, même si, pour l’instant, ce qui a été présenté conduit à une vision plutôt optimiste, non pas sur la présence des ségrégations, mais sur leur caractère dommageable.
Nous ne pourrons trancher cette question qu’une fois l’ensemble des études réalisées. Je pense qu’il n’est pas bon de communiquer sur une étude à venir. Il faut communiquer sur des résultats acquis.
L’étude à venir suscite toujours une inquiétude et, une fois l’inquiétude créée, il devient ensuite très difficile, dans nos sociétés, de la dissiper, tant est devenue prégnante, sur ces questions, la culture du soupçon.
Je voudrais vous inviter à réfléchir, non pas simplement au sujet technique qui nous rassemble, mais à la raison qui en fait une question politique impliquant l’OPECST.
Nous faisons face à deux sujets : les appareils sous pression et la composition des aciers de cuve, relevant de l’application d’un règlement qui, dans les deux cas, a évolué dans des périodes récentes.
Il est normal que les règlements évoluent.
Nous avons, dans un cas, la question de l’application du règlement et, dans l’autre, celle de la nocivité d’une anomalie.
Ces questions portent sur un sujet d’importance : la sûreté nucléaire.
L’Autorité de sûreté nucléaire et son bras armé, l’IRSN, sont les garants de la sûreté. Les opérateurs doivent appliquer ces règlements…
Pour que l’application des règlements soit efficace, il est impératif que leur contenu soit non seulement rationnel, mais aussi reconnu comme tel par tous ceux qui vont devoir les appliquer, y compris ceux pour qui cela générera un surcroît de travail.
Les résultats des études sur lesquels s’appuie l’ASN sont publics.
Je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur les règlements eux-mêmes. Quand un règlement est modifié en vue d’accroître la sûreté nucléaire, il serait très utile de faire la démonstration scientifique que nous avons bien augmenté la sûreté et pas simplement son coût.
Il est impératif que les opérateurs soient convaincus de ce fait. Il serait très utile de démontrer que les exigences nouvelles sont technologiquement réalistes, et de donner un moyen de les mettre en œuvre. Je pense que ce travail est en cours.
Cela me rend extrêmement optimiste pour la suite des événements. Je voudrais expliciter pourquoi il est important de faire la démonstration qu’un règlement plus rigoureux conduit à accroître la sûreté, et pas simplement le coût de celle-ci. Vous allez me dire : Pourquoi nous compliquer l’existence ? Ne suffit-il pas de réglementer et d’appliquer ? À ne pas expliciter la raison d’un règlement, à ne pas prendre le temps de convaincre les opérateurs par une discussion approfondie, nous courrons le risque de dérives dommageables, en termes de sûreté et d’efficacité.
Pour l’efficacité, on imagine très bien qu’un règlement plus contraignant sera nécessairement plus coûteux. Pour la sûreté, c’est un peu plus subtil. Nous pourrions penser que des règles prudentes, au-delà de la démonstration rationnelle de leurs fondements, assurent une sûreté renforcée. Elles peuvent pourtant avoir l’effet inverse.
Si les opérateurs ne sont pas convaincus de la rationalité d’une règle, ils peuvent être tentés de la contourner. J’espère qu’ils ne le font pas.
Nous prenons à revers le principe de Pascal. Dès lors que l’on commence à désobéir à une loi qui semble infondée, il est aisé de se croire autorisé à la contourner.
Nous n’en sommes heureusement pas là, mais il faut être conscient des risques pour les éviter. Le manque de confiance dans la rationalité des règlements n’incite pas les opérateurs à la curiosité naturelle attendue des scientifiques.
Craindre qu’une autorité se saisisse d’une nouveauté pour durcir des règlements, rend relativement peu enclins à la découvrir.
Aussi, je plaide pour une discussion très approfondie sur les règlements, leurs évolutions et leur mise en œuvre entre les opérateurs et l’Autorité de sûreté nucléaire, dans le complet respect de l’indépendance de cette dernière qui, in fine, reste seule juge.
Il faut également que tout cela repose sur une compétence scientifique et technique au plus haut niveau.
C’est sur ce point que je souhaiterais conclure.
Voici quatre ans, dans un rapport sur la métallurgie, l’Académie des sciences a alerté sur la perte progressive de compétence résultant d’une désaffection pour une discipline passée de mode.
Il est urgent de se souvenir que la sûreté, avant même la question des règlements et de leur application, repose, aussi bien du point de vue du régulateur que de celui du concepteur, sur la nécessité d’une compétence sans faille dans les sciences de l’ingénieur qui ont fait de l’énergie nucléaire un joyau de notre industrie, une composante essentielle de nos ressources énergétiques ainsi qu’un modèle de sûreté industrielle.
C’est aussi cette question de la compétence qui transparaît dans ma demande, inspirée par des situations que nous avons examinées aujourd’hui, que l’évolution du règlement soit accompagnée de la preuve indubitable de sa pertinence scientifique et technique.
C’est une raison de plus de nous livrer à l’exercice exigeant de la démonstration. Nous devons nous assurer que les compétences sont au meilleur niveau, partout.
La sûreté et la transparence n’en seront que mieux assurées.
EXTRAITS DE LA REUNION DE L’OPECST DU 25 JUIN 2015
Le 25 juin 2015, l’OPECST a organisé une réunion sur le problème des ségrégations de carbone affectant le couvercle et le fonds de cuve de l’EPR de Flamanville 3.
Cette réunion a été organisée en 2 tables rondes.
PREMIÈRE TABLE RONDE : LES MODALITÉS DU CONTRÔLE DES ÉQUIPEMENTS SOUS PRESSION NUCLÉAIRES
Présidence : M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST.
Grand témoin : M. Yves Bréchet haut-commissaire à l’énergie atomique.
Au cours de cette table ronde se sont exprimés :
M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN)
M. Nicolas Chantrenne, sous-directeur des risques accidentels, direction générale de la prévention des risques, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
M. Dominique Delattre, chef de l’Unité des publications en matière de sûreté et de sécurité nucléaires, département de la sûreté et la sécurité nucléaires, Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)
Mme Cécile Laugier, présidente de l’Association française pour les règles de conception, de construction et de surveillance en exploitation des matériels des chaudières électronucléaires (AFCEN)
M. Jean-Philippe Longin, président de l’Association pour la qualité des appareils à pression (AQUAP).
Je retiens de l’intervention de Mme Laugier :
Le code RCC-M est aujourd’hui le seul code nucléaire codifiant la qualification technique de pièces… Le fait que le code français décrive la qualification est, encore aujourd’hui, sans équivalent dans les exigences posées par les autres codes nucléaires.
Cela veut dire qu’il y a plus d’exigence dans notre code français que dans la plupart des codes comparables.
Dès sa première édition de 1980, pour les pièces dont le processus de fabrication peut mener à des hétérogénéités, le RCC-M a fait le choix d’introduire un processus de qualification. Il s’agit de caractériser la pièce dans les zones où les propriétés du matériau doivent être suffisantes vis-à-vis des conditions d’emploi de la pièce. Ce principe n’est pas repris et n’est pas décrit de cette manière dans d’autres codes, nous pensons en particulier à ceux de l’ASME ou au CODAP (programme de l’OCDE/NEA), ni dans le cadre de l’industrie conventionnelle, ni même dans les normes européennes citées.
La qualification a pour but de vérifier l’efficacité d’une gamme de fabrication donnée, de satisfaire le niveau de qualité requis et d’apporter les éléments qui permettent de confirmer que le processus de fabrication est bien maîtrisé par le fournisseur de matériaux…
Une caractéristique importante du code est de rester évolutif.
Actuellement, nous travaillons en lien étroit avec l’ASN pour compléter le code RCC-M afin que ses prochaines versions s’approchent, vers 2016-2018, d’une complète conformité avec la réglementation.
Depuis 2007, l’AFCEN a introduit dans le RCC-M des annexes qui améliorent sa correspondance avec les exigences essentielles fixées par la réglementation française. Nous avons également fait un effort en publiant récemment un document, appelé Criteria, qui les explique.
Ce sont les difficultés rencontrées par les fabricants pour l’obtention des premières attestations de conformité pour les équipements de niveau 1, les plus importants, qui ont conduit l’AFCEN à mettre en place ce programme technique approfondi.
Il est destiné à conforter l’aptitude du code à traduire les exigences réglementaires, à l’adapter pour les utilisateurs français quand cela apparaît nécessaire à la « justification » de leurs opérations, et à établir, le cas échéant, des documents complémentaires, lorsque les prescriptions ne sont pas assez précises.
Nous avons prévu un programme de travail pour fixer la liste des pièces nécessitant une qualification technique au cas par cas.
Ce travail sera réalisé conjointement avec l’ASN.
Nous ferons également évoluer le contenu de notre code, notamment pour fixer la démarche qui permettra d’apporter la justification « en tous points », qui est celle que les utilisateurs français doivent maintenant respecter.
Je terminerai mon propos en rappelant que notre association édite ces règles techniques depuis plus de trente ans, qu’elle a été initialement fondée par Areva et EDF, mais s’est largement ouverte à l’international.
Notre code reste au meilleur niveau.
Il comprend des exigences, notamment autour de la qualification des pièces les plus complexes, sans équivalent dans d’autres codes.
Nous sommes engagés aujourd’hui, en lien étroit avec l’ASN, dans un important travail technique pour le compléter et nous approcher de l’adéquation à la réglementation.
Mme Laugier, dans son exposé, fait très bien ressortir que les exigences françaises sont sans équivalent dans les autres codes mondiaux et notamment l’ASME, qui est sans contexte le code le plus fréquemment utilisé.
Le grand témoin, Mr Yves Bréchet, Haut-Commissaire du CEA intervient à la suite de ces auditions.
M. Yves Bréchet.
J’ai l’impression, en entendant Mme Cécile Laugier, que nous sommes dans une configuration où nous pouvons à la fois respecter l’indépendance indispensable de l’autorité de sûreté, et prendre en compte les aspects techniques qui font qu’un règlement peut être plus ou moins difficile à examiner et à mettre en œuvre. Comment le faire en pratique ? Comment l’interaction entre l’AFCEN et l’Autorité de sûreté nucléaire se déroule-t-elle ?
Mme Cécile Laugier.
Le lien entre les codes et la réglementation est effectivement important. L’association professionnelle qu’est l’AFCEN rédige des recueils de règles techniques qui sont conçus pour être utiles aux utilisateurs. Ils doivent reproduire un certain nombre d’exigences mises en commun et également les aider le plus possible à s’approcher de ce qu’ils doivent respecter sur le plan réglementaire. C’est l'une des raisons pour lesquelles nous avons des échanges avec l’ASN et son appui technique (l’IRSN) qui sont des invités permanents à nos groupes de travail d’experts.
Il arrive notamment aux représentants de l’IRSN de venir en observateur, même s’ils ne participent pas directement aux travaux. Ils sont des observateurs attentifs, avisés et souvent très intéressés par ces débats techniques entre experts qui donnent des informations utiles sur l’évolution de l’état de l’art.
Nos codes sont très formellement référencés dans les dossiers déposés par l’exploitant nucléaire. L’Autorité de sûreté nucléaire a, bien sûr, un droit de regard. Il arrive très régulièrement qu’elle formule des demandes de modification. Nous les prenons en compte. Cela explique pourquoi le code évolue, même s’il n’est pas un équivalent de la réglementation.
M. Yves Bréchet.
Quel est le point de vue de l’Autorité de sûreté nucléaire sur cette question ?
M. Pierre-Franck Chevet.
Nous avons un certain nombre d’échanges pour que le code évolue. Il inclut des références très anciennes alors que la nouvelle réglementation impose un certain nombre d’exigences supplémentaires.
Nous discutons actuellement pour qu’il y ait le plus de cohérence possible entre la réglementation et les pratiques industrielles, celles-ci ne pouvant rester durablement en l’état.
M. Jean-Yves Le Déaut. Président de l’OPECST.
Pour compléter les propos de M. Pierre-Franck Chevet qui a indiqué, ce qui semble clair, que l’anomalie n’était pas réglementaire, pourriez-vous préciser si la réglementation applicable aux ESPN est la même en France et dans d’autres pays dotés du même type de réacteur, par exemple en Chine ?
M. Pierre-Franck Chevet.
Je ne saurais vous répondre sur la Chine. J’obtiendrai peut-être l’information plus tard. Je peux simplement dire que nous avons averti nos homologues chinois, lorsque l’anomalie a été confirmée. Avec quelques spécialistes, j’ai eu l’occasion, durant une ou deux heures, de la leur présenter en détail. Pour eux, le problème semblait clair. L’idée générale de notre réglementation, tout comme des différents codes dans le monde, est de viser les meilleures caractéristiques possibles pour un certain nombre de matériaux, a fortiori pour les composants dont la rupture est exclue…
Néanmoins, cette capacité des matériaux à résister à la rupture brutale se retrouve, avec quelques variantes, dans toutes les codifications.
M. Yves Bréchet.
Sans aborder le problème spécifique de l’anomalie de la cuve EPR, je suis tout à fait d’accord avec les propos de M. Pierre-Franck Chevet : il faut que les difficultés soient mises sur la table. Nous ne pouvons pas ne pas parler des problèmes. Si tout allait bien, nous n’aurions pas aujourd’hui ce débat sur la réglementation relative aux EPSN. Un certain nombre de réticences existent, de la part des industriels, vis-à- vis de l’application de ces règlements.
Nous n’allons pas faire semblant de l’ignorer. J’aimerais que ce soit explicité.
Pardonnez-moi d’insister, mais j’aimerais que soient mis clairement sur la table les reproches qui sont faits concernant les modalités du contrôle des équipements sous pression nucléaires.
J’en connais qui sont justifiés, et d’autres qui le sont beaucoup moins.
Nous venons d’entendre tout ce qui se déroule bien. Il se trouve que, pour les opérateurs, c’est un sujet qui pose problème en termes de mise en œuvre réelle sur le parc.
Nous ne résoudrons peut- être pas la question aujourd’hui mais il faut au moins qu’elle soit posée dans cette instance.
Je n’ai jamais vu un problème se résoudre sans qu’il soit explicité.
SECONDE TABLE RONDE : LE CAS DE LA CUVE DU RÉACTEUR EPR
Présidence : M. Christian Bataille, député, vice-président de l’OPECST
Grand témoin : M. Yves Bréchet haut-commissaire à l’énergie atomique
M. Thomas Pardoen, professeur, Université catholique de Louvain
M. Bertrand de l’Epinois, directeur des normes de sûreté d’Areva
M. Laurent Thieffry, directeur du projet de Flamanville 3
M. Rémy Catteau, directeur des équipements sous pression, Autorité de sûreté nucléaire (ASN)
M. Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)
M. Patrick Dumaz, chef du programme de réacteurs de deuxième et troisième générations, direction de l'énergie nucléaire, Commission à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)
M. Thomas Pardoen, professeur, Université catholique de Louvain
Sur la première planche, la courbe présentée montre l’évolution de l’énergie d’impact, l’énergie qu’il a fallu dissiper dans le matériau – ici un acier ferritique de cuve – pour réussir à le déchirer, en fonction de la température. À basse température, bien en-dessous des températures d’utilisation d’une cuve, l’énergie de rupture est très faible. Cela correspond au régime de la rupture fragile, qu’il faut chercher à éviter. Au-dessus d’une certaine température, le matériau passe par une transition et arrive dans un régime dit ductile où l’énergie d’impact est nettement supérieure, dans certains cas de plusieurs centaines de joules.
La deuxième planche comporte plusieurs courbes, correspondant à des compositions en carbone différentes, de 0,01 %, 0,11 % et 0,22 %. Plus il y a de carbone, plus la résistance à la rupture et l’énergie d’impact diminuent dans la partie ductile. De plus, la température à laquelle se produit le basculement dans le régime fragile est de plus en plus haute. La valeur réglementaire de 60 joules évoquée est également indiquée. Ce graphe ne correspond toutefois pas à l’acier spécifique de la cuve de Flamanville.
Pour obtenir l’énergie de rupture, une petite entaille est pratiquée sur des échantillons de matière afin de créer des conditions très sévères. Celle-ci va concentrer le chargement produit par un mouton-pendule. Il suffit ensuite de mesurer l’énergie qui aura été dissipée pour briser la pièce. Dans le cas d’une cuve de réacteur, cette énergie doit être supérieure à 60 joules….
Pour conclure, le taux de carbone est représentatif d’une chute de la ductilité et de la résilience dans le régime ductile. Avoir plus de carbone a de multiples implications. N’ayant vu aucun document technique détaillé sur la cuve de l’EPR, je ne suis pas capable, à ce stade, de déterminer ce que ce carbone modifie de la structure de la matière ni donc ce qui pourrait expliquer précisément pourquoi nous pourrions avoir cette perte de ténacité.
Nous n’avons évoqué qu’un seul aspect du problème : la force de résistance du matériau. Il faut aussi prendre en compte le chargement nécessaire pour que des fissures apparaissent et se propagent. C’est uniquement si ce chargement est supérieur à la résilience du matériau considéré que cela se produira. Le caractère conservatif de l’analyse résulte de la distance entre le chargement réellement appliqué et la valeur de la propriété du matériau. Dans le cas qui nous occupe, pour la pièce spécifique du fond de cuve, les propriétés semblent effectivement basses, mais quel est le niveau exact de chargement nécessaire pour faire apparaître des fissures, et éventuellement les propager ?
M. Bertrand de l’Epinois, directeur des normes de sûreté d’Areva.
Avant d’aborder le sujet de la concentration en carbone, il semble utile de rappeler que, sur un certain nombre de sujets importants en matière de sûreté, la cuve de l’EPR réalise des progrès substantiels.
D’abord, il n’existe aucune traversée en fond de cuve, les tubes d’instrumentation passant par le couvercle.
Ensuite, le flux de neutrons sur les viroles de cuve baisse significativement, grâce à une plus grande épaisseur d’eau et à un réflecteur lourd de neutrons.
Nous avons aussi réduit le nombre de soudures. C’est un point important.
Enfin, des progrès sensibles sur la composition moyenne du matériau de la cuve, notamment en soufre et en phosphore, ont été réalisés.
Ces innovations s’ajoutent à celles, plus générales, de l’EPR en matière de sûreté, précédemment évoquées par M. Pierre Franck Chevet.
La question de la concentration en carbone dans les calottes de cuve ne doit pas masquer ces avancées. La cuve de l’EPR participe pleinement au progrès de sûreté visé par ce réacteur.
Venons-en maintenant au cœur du sujet qui concerne les deux calottes, le fond et le couvercle de la cuve, sur lesquelles, en partie centrale et à l’extérieur, se trouvent des ségrégations positives, c’est-à-dire des concentrations en carbone supérieures à la moyenne et aux spécifications. L’existence de ségrégations positives ou négatives –quand il n’y a pas assez de carbone– est un phénomène connu dans les pièces forgées épaisses. Il a fait l’objet de nombreuses études. Il est pris en compte dans la conception des pièces. C’est un phénomène inhérent, en particulier, au procédé mis en œuvre pour forger ces deux pièces de la cuve de l’EPR. Nous pourrons revenir, à l’occasion du débat, sur la question des lingots, des procédés et des évolutions de procédés dans le temps….
Quels sont les enjeux de sûreté de la ségrégation ? L’augmentation de la concentration en carbone durcit le matériau qui aura une plus grande résistance mécanique. La pièce aura plus de résistance à la pression. En revanche, elle sera plus sensible à ce qui a été décrit, à la rupture fragile ou à la rupture brutale. Nous devons tenir compte de deux phénomènes dans la conception de ces pièces. Elles doivent, d’une part, résister à la pression, avec une bonne résistance mécanique de l’acier et une bonne épaisseur, et, d’autre part, être le moins possible susceptibles de ruptures brutales ou fragiles. Il faut avoir suffisamment de carbone mais pas trop. Il faut ajuster l’équilibre entre les différentes zones.
Comme cela a été indiqué, la rupture brutale n’intervient que si trois conditions sont simultanément réunies : l’existence d’un défaut à l’origine – typiquement une fissure –, une température basse, et un chargement mécanique important, au regard de la fissure et des caractéristiques du matériau. Pour ce qui est de la température, le risque de rupture brutale suppose qu’elle soit suffisamment basse pour que le matériau se situe dans son domaine fragile. Ces trois conditions sont indispensables….
Des contrôles à 100 % sont réalisés, par différents moyens, en fin de fabrication, dans toute l’épaisseur du métal et sur toute sa surface. Ils n’ont révélé aucun défaut. Il n’y a pas a priori de fissure venant de la fabrication. De plus, la partie externe correspond à des zones dans lesquelles nous n’attendons pas de créations ou de propagations de défauts en fonctionnement.
En application de l’arrêté ESPN, l’ASN nous a demandé de vérifier les valeurs en résilience dans l’ensemble de la pièce. La résilience est liée à la concentration en carbone. Ces contrôles ont montré des écarts par rapport aux 60 joules mentionnés par l’arrêté. La concentration en carbone atteignant 0,28 % dans la partie extérieure, se trouvait en excès par rapport à nos spécifications, puisque nous cherchons à rester entre 0,18 % et 0,22 %. À la suite de ces contrôles, nous avons proposé un programme d’essais complémentaires, en cours d’instruction par l’ASN. Nous espérons le lancer dans les prochaines semaines et dans les prochains mois, lorsque nous aurons obtenu le feu vert pour l’engager.
Ces essais consistent en une caractérisation métallurgique approfondie d’une pièce analogue, dans toute l’épaisseur et dans toute la zone centrale. À minima, une centaine d’éprouvettes seront réalisées pour mesurer en tous points la teneur en carbone, la résilience ainsi que la ténacité. La résilience est simple à mesurer pour les essais de recettes, ainsi que l’allongement à la rupture. Nous procédons toujours de cette manière. En revanche, la ténacité est la vraie grandeur physique exprimant la capacité du matériau à résister à la propagation d’une fissure sous température basse et sous un chargement important. Un grand nombre de mesures de ténacité seront réalisées lors de ces essais de caractérisation.
Ce programme complémentaire comportera également un volet d’étude de conception, incluant une analyse exhaustive de tous les chargements et des calculs de mécanique, prenant en compte les caractéristiques réelles du matériau, mesurées sur la pièce d’essai, afin de montrer l’aptitude à l’emploi de celle-ci. Ces calculs de mécanique sont effectués en faisant l’hypothèse de la présence d’un défaut : une fissure qui n’aurait pas été identifiée lors du contrôle, bien que tout ait été fait pour qu’il n’y en ait pas. Nous établirons un dossier d’aptitude à l’emploi sur la base de ce programme complémentaire, qui sera transmis à l’ASN en vue de sa décision.
M. Laurent Thieffry, directeur du projet de Flamanville 3.
L’ensemble des composants du circuit primaire est en place : cuve, générateurs de vapeur et pressuriseur. Les soudages des boucles primaires sont en cours d’achèvement. Les montages électromécaniques sont effectués à cadence industrielle, avec plus de 4 000 personnes présentes sur le site.
À ce stade, il me paraît important de préciser que, s’agissant du haut niveau d’exigence propre à l’industrie nucléaire, chaque opération réalisée sur ce projet donne lieu à des contrôles, dont certains exercés directement par l’Autorité de sûreté nucléaire ou les organismes notifiés par cette dernière.
Nous ne passons à l’étape suivante que si les résultats de l’étape précédente sont positifs, moyennant, le cas échéant, le traitement préalable de tout écart. Bien évidemment, l’ensemble de ce processus donne lieu à une traçabilité et à une transparence totale de chacun des événements….
Cette précision étant donnée, j’en viens à la fabrication de la cuve de l’EPR de Flamanville 3.
Elle est constituée d’un fond hémisphérique, de viroles cylindriques soudées entre elles et au fond, ainsi que d’un couvercle. L’ensemble mesure un peu moins de quatorze mètres de hauteur, pour un peu moins de six mètres de diamètre, et son poids total atteint environ 550 tonnes.
Nous sommes donc face à un ensemble de grande dimension.
EDF a confié la construction des chaudières nucléaires de l’EPR de Flamanville 3 à Areva, dans le cadre d’un marché notifié en 2005.
Les composants de la cuve ont été conçus et fabriqués conformément aux référentiels techniques en vigueur au moment de leur fabrication, à savoir le code de conception et de construction nucléaire dit RCC-M – élaboré par l’AFCEN sur la base des meilleures pratiques mondiales – notamment par l’application de son chapitre dit M140, consacré à la qualification.
Les approvisionnements des pièces forgées constitutives de cet équipement ont été lancés par Areva dès 2005.
Le fond et le couvercle sont issus de pièces de forge fabriquées dans l’usine du Creusot en 2006 et 2007. Dans ce cadre, les dossiers de synthèse et de qualification M140, la démonstration de la conformité finale de la pièce à son référentiel de conception de fabrication ont été établis, pour le couvercle et le fond de cuve, en 2010.
La fabrication du corps de la cuve s’est achevée à l’été 2013, à l’issue d’une épreuve hydraulique réalisée avec succès en usine.
Comme expliqué précédemment, au titre de sa responsabilité d’exploitant nucléaire, EDF a exercé, comme prévu par le code RCC-M, une surveillance de ces fabrications aux trois étapes clés du processus de qualification. Tout d’abord au stade du dossier technique initial élaboré par Areva, comprenant la description du programme de fabrication et du programme d’essais associés destiné à vérifier la conformité en finale ; ensuite, en phase de fabrication, pour vérifier en usine que les opérations de fabrication sont bien réalisées conformément au dossier technique –cette surveillance inclut aussi une composante documentaire afin de s’assurer de l’applicabilité et de la conformité des modes opératoires utilisés.
EDF a ainsi surveillé l’intégralité des opérations de forgeage et de chutage, ainsi que la totalité des essais mécaniques de recette des composants de la cuve de Flamanville 3. Enfin EDF a surveillé l’élaboration des rapports de qualification qui ont conclu, en phase finale du processus, à la conformité des composants de la cuve à leur référentiel technique de fabrication.
Passons maintenant à l’application de la réglementation ESPN. L’arrêté ESPN a été pris en 2005 mais les modalités de la qualification technique réglementaire associée n’ont pas été décrites dès sa mise en application. L’arrêté prévoyait d’ailleurs une période de transition.
Certaines de ces modalités d’application ont été formalisées en 2011, après la fin de la fabrication des composants de la cuve de Flamanville 3.
C’est en particulier le cas avec l’exigence que les normes quantifiées de l’arrêté ESPN soient désormais atteintes en tout point de la cuve.
Cela suppose donc des essais de recettes plus nombreux, sur plusieurs zones. Des caractéristiques mécaniques différentes restent acceptables, sous réserve de démonstration de l’absence de conséquences, comme c’était déjà le cas avec la réglementation antérieure. Le chapitre M140 du code RCC-M, référentiel technique utilisé pour la synthèse de la qualification au moment de la fabrication de la cuve de Flamanville 3, entre 2006 et 2010, n’intègre pas cette exigence nouvelle, car elle visait l’aptitude à l’emploi de la pièce, en vérifiant les propriétés uniquement dans les zones les plus sollicitées.
C’est d’ailleurs là une évolution significative et positive de la nouvelle réglementation ESPN.
L’ASN a donc demandé à Areva d’appliquer ces nouvelles modalités sur les composants de la cuve de Flamanville 3.
Pour y répondre, Areva a proposé, fin 2012, de réaliser des essais complémentaires sur la matière prélevée sur un couvercle similaire à celui de Flamanville 3, dans des zones non examinées en recette auparavant.
Les résultats de ces essais ont été obtenus au dernier trimestre 2014. C’est à l’occasion de ces essais complémentaires, au titre de la réglementation ESPN, qu’Areva a identifié un écart sur certaines caractéristiques métallurgiques, du fait de la ségrégation en carbone située au centre et en partie externe du couvercle.
Areva en a informé EDF et l’ASN et a proposé une analyse de la conception de la fabrication ainsi qu’un programme d’essais complémentaires pour démontrer – comme le prévoit la réglementation – l’importance des marges existantes face à tout risque pour la cuve. Ce programme d’essai fera, bien sûr, l’objet d’une vérification par l’Autorité de sûreté nucléaire avant toute réalisation.
M. Rémy Catteau, directeur des équipements sous pression, Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
…. La cuve fait l’objet d’une hypothèse particulière et majeure dans la démonstration de sûreté : l’hypothèse d’exclusion de rupture. Les conséquences de la défaillance de la cuve ne sont pas prises en compte dans la démonstration de sûreté. Pour être clair, la défaillance de la cuve n’est pas postulée.
Le dernier enjeu n’est pas, à proprement parler, lié à la sûreté : le corps de la cuve ne peut être remplacé une fois le réacteur mis en service ; du moins aucune cuve ne l’a été jusqu’à présent dans le monde. Une fois que le réacteur démarre avec une cuve, il s’arrêtera, très vraisemblablement, avec la même cuve.
Ces enjeux majeurs impliquent nécessairement le respect d’exigences fortes en matière de conception, de fabrication et de contrôle en service ; nous sommes là dans une démarche de défense en profondeur.
Nous voulons une excellente conception, avec de très fortes garanties, permettant de dégager des marges importantes. Il faut une très grande qualité de fabrication, permettant d’assurer que les hypothèses posées à la conception sont effectivement validées.
Cela permet de garantir que les défauts restants de la cuve sont négligeables et que la conception permet de vivre avec ces défauts. Il faut, enfin, un excellent contrôle en service, le but étant de vérifier que ce qui a été prévu à la conception et à la fabrication se déroule bien pendant toute la durée de vie de la cuve et qu’il n’y a pas d’autres phénomènes qui n’auraient pas été prévus.
J’en viens à l’anomalie. Il s’agit d’une anomalie technique : une ségrégation majeure positive de l’ordre de 50 %. C’est un niveau inattendu, très supérieur à ceux que nous avons rencontrés jusqu’à présent. Nous connaissons des ségrégations de ce type sur le parc en exploitation d’EDF qui sont de l’ordre de 20 % à 25 %. Les procédés de fabrication antérieurs ont permis de limiter ces ségrégations.
La demande d’essais complémentaires formulée par l’ASN s’inscrit dans la réglementation actuelle, datant de 2005. C’est elle qui a permis de détecter cette anomalie. À partir du moment où cette anomalie est détectée, c’est un sujet technique qui doit être traité, quelle que soit la réglementation, la précédente ou l’actuelle. C’est un problème qui aurait également été traité par les autres autorités de sûreté dans le monde. Il n’y a pas de doute là-dessus.
Nous attendons aujourd’hui qu’Areva justifie que les propriétés du matériau dans cette zone sont suffisantes pour un usage nucléaire, sur un équipement soumis à une présomption d’exclusion de rupture. …
Nous avons reçu un dossier en mai 2015 que nous instruisons avec l’IRSN. Nous n’en sommes encore qu’au début de l’instruction, celui des questions que nous avons formulées à Areva. Nous avons reçu une partie des réponses.
Je vous propose de détailler quelques-unes de nos grandes interrogations à ce stade.
La première concerne la caractérisation de la zone ayant une concentration de carbone plus importante qu’attendu, et, en particulier, de son positionnement. Nous voulons être certains qu’elle est bien localisée au centre, et en partie supérieure. Le sujet serait encore plus critique si elle se trouvait en partie inférieure.
Nous souhaitons avoir une connaissance, avec de fortes garanties, des propriétés mécaniques de la zone. Ce sont celles relatives au risque de rupture brutale, mais également toutes les autres. Je pense, par exemple, au vieillissement. Cette cuve a une durée de vie de soixante ans au minimum. Nous voulons être sûrs que, aujourd’hui, les propriétés mécaniques de ce matériau sont bien celles que nous imaginons pour dans soixante ans. C’est d’autant plus crucial, que ce matériau présente des ségrégations positives majeures s’écartant assez fortement des matériaux connus jusqu’à présent dans le parc nucléaire. Je confirme que nous étudions également tout ce qui est chargement, donc les sollicitations qui s’appliquent sur cette zone.
Nous souhaitons avoir une vue large des types de sollicitations qui sont déterminantes pour ce type de problème.
Areva va mener une campagne d’essais, majoritairement destructifs. Une fois ceux-ci réalisés, les pièces d’essai seront détruites. Sauf à les remplacer, ces essais ne peuvent être conduits sur les calottes de la cuve de Flamanville. Elles le seront donc sur des calottes initialement destinées à d’autres EPR.
Une question majeure porte sur la représentativité de ces pièces d’essai par rapport à celles du réacteur de Flamanville. Nous attendons une démonstration robuste qui nous apporte des garanties et une quasi-certitude.
M. Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
La cuve est évidemment un composant absolument essentiel. Sa conformité repose notamment sur le respect de critères relatifs à la réglementation des appareils à pression. Certains de ces critères ne sont pas satisfaits en certains points. Pour aller plus loin, nous devons démontrer que la cuve telle qu’elle est, avec ses zones plus fortement ségrégées, présente une résistance suffisante, avec des marges de sûreté suffisantes, en situation normale et accidentelle, les situations normales incluant aussi des essais à froid de l’appareil à pression que constitue la cuve.
Pour cela, il faut parvenir à déterminer précisément les caractéristiques mécaniques des zones ségrégées, et apprécier l’impact de cette ségrégation, au regard des exigences de la démonstration de sûreté.
Je ne parle plus des caractéristiques métallurgiques, mais de démonstration de sûreté.
C’est en ce sens qu’Areva s’est engagée, à la demande de l’Autorité de sûreté nucléaire, à définir un programme d’essai. Ce dernier doit être suffisamment complet et apporter assez d’éléments probants, en suffisamment de points de la cuve, pour permettre de déterminer finement les caractéristiques mécaniques de la zone ségrégée, en présumant que la cuve de Flamanville a été fabriquée exactement selon le même procédé que les pièces qui vont être détruites pour ces examens. Ces données seront donc représentatives. Cela permettra à Areva de proposer une évaluation de la ténacité minimum locale qui existe réellement au sein de cette pièce, ou de ces pièces, puisque nous allons tester les deux calottes de la cuve.
Cela ne suffit pas. Il faut pouvoir disposer, en complément de ces données, d’une démarche de justification, en termes de sûreté.
Areva doit donc également proposer un niveau minimum de ténacité, compte tenu de la conception de la cuve, de telle sorte que la rupture soit évitée en toutes circonstances, en supposant l’existence d’un défaut. Nous savons que ce dernier n’existe pas mais c’est le principe même de la démonstration.
Nous comparerons ensuite les résultats expérimentaux, qui ne sont pas encore connus, à ces valeurs qui devraient être déterminées de manière théorique, pour vérifier que les niveaux sont suffisants. L’IRSN est ensuite chargé de mener une contre-expertise de ce travail réalisé par Areva.
C’est l’objet de la saisine de l’ASN. Nous effectuerons nos propres calculs, de sorte que l’ASN, ainsi que les groupes permanents, puissent disposer, comme d’habitude, d’un avis du fabricant, sous le contrôle de l’exploitant nucléaire, et d’un avis fondé scientifiquement et techniquement sur les meilleures méthodes de calcul de l’IRSN.
Nous devons tenir compte, sur le fond de cette expertise, de la conception de cette cuve.
Comme indiqué, un certain nombre de caractéristiques propres à la cuve de l’EPR font que la calotte supérieure supporte plus de contraintes, notamment toutes les traversées pour les mesures et pour le contrôle de la réactivité dans le cœur.
Il y a ensuite des viroles, les parois verticales de la cuve, qui ne sont pas en cause dans notre analyse et sont moins irradiées sur la cuve de l’EPR que sur les cuves des réacteurs du parc.
Il y a enfin une calotte inférieure, libre de tout perçage, qui ne comporte pas de risque de fissuration lié à l’ajout de traversées. C’est un point favorable pour la cuve de l’EPR.
La fabrication de ces deux calottes a été réalisée par Areva avec un nouveau procédé de fabrication. C’est en ce sens que l’IRSN s’est exprimé en termes de régression. En effet, la fabrication des calottes des réacteurs du palier N4, voici un certain nombre d’années, utilisait une technologie dite de lingots à solidification dirigée, avec des lingots beaucoup plus petits, de l’ordre d’une cinquantaine de tonnes. Il était donc possible de mieux piloter le processus de refroidissement, de telle sorte qu’il n’y avait pas ou peu de ségrégation en carbone, du fait de la technologie employée.
Au contraire, dans le procédé utilisé pour les calottes EPR, le lingot est très gros, si bien que le processus de refroidissement progressif favorise l’apparition de fortes ségrégations.
La fabrication prend évidemment en compte cela, en n’utilisant pas les parties haute et basse du lingot qui sont les plus ségrégées.
La pièce est forgée à partir de la partie centrale. L’analyse vise à déterminer où se situe réellement – au centre ou en extérieur – le reste de ségrégation, non éliminé initialement. Il est très important de le savoir.
Concernant ce point, il faut noter un élément favorable : la calotte inférieure est moins épaisse que la calotte supérieure. Cela veut dire que davantage de matière, évidemment la plus ségrégée, a été enlevée. Nous pouvons présumer que cela aura un effet favorable sur la démonstration, d’autant qu’il n’y a pas de traversées, donc moins de contraintes sur cette pièce.
A contrario, le couvercle contient toutes les traversées et il est plus épais. Il supporte plus de risque. Mais il est remplaçable. Si la démonstration ne pouvait être réalisée, ce ne serait qu’un demi-mal. …
Si la calotte du bas est inapte à l’emploi, c’est toute la cuve qui se trouve condamnée. Un certain nombre d’essais, dont nous analyserons les résultats, vont être réalisés.
L’ASN attend que nous donnions un avis sur l’adéquation du programme d’essais, avant que ces essais ne soient effectués. Nous analyserons la démonstration réalisée par Areva à partir de ces essais et la suffisance des marges qui auront été évaluées par le constructeur de la cuve.
Nous pensons que le programme d’essais pourrait être approuvé à la fin du mois de septembre. Il faudra ensuite qu’il soit réalisé, que nous en analysions les résultats, que les groupes permanents se prononcent, etc.
Cela nous amènera probablement à l’été 2016.
EDF a choisi de ne pas interrompre la construction de l’EPR pendant cette phase. C’est son choix d’exploitant.
Je voudrais vous livrer trois éléments de conclusion. En premier lieu, les calottes de la cuve de Flamanville 3 présentent une anomalie de fabrication, au regard du haut niveau de qualité de fabrication attendu pour les cuves de réacteurs électronucléaires qui sont des équipements majeurs.
C’est un constat acquis, que personne ne peut contester.
En second lieu, l’impact de cette anomalie sur la démonstration de sûreté nécessite une analyse approfondie, sur la base de données complémentaires qu’il reste à acquérir, de mesures et ensuite de calculs. L’exécution de tout ce travail demandera plusieurs mois.
En troisième lieu, sans s’engager sur la conclusion qui sera tirée des données complémentaires et de l’analyse consécutive, l’IRSN note que la conception innovante de la cuve de l’EPR, par rapport au parc français, apporte des éléments favorables à une issue positive de ce dossier. Encore faut-il en apporter la preuve.
M. Patrick Dumaz, chef du programme de réacteurs de deuxième et troisième générations, direction de l’énergie nucléaire, Commission à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Sur la question de l’intégrité de la cuve, il est important de comprendre les chargements susceptibles de la menacer. Tels que nous les connaissons sur le parc actuel, il s’agit, comme évoqué précédemment par mon collègue de l’Université de Louvain, de chocs froids, liés à des situations accidentelles relativement hypothétiques : brèche ouverte dans le circuit primaire, dépressurisation, entrée en fonctionnement de l’injection de sécurité, etc.
Ces transitoires de choc froid sont vraiment les plus déterminants pour les réacteurs du parc actuel.
L’eau, arrivant par les branches primaires, refroidit d’abord les viroles cylindriques qui subissent un refroidissement maximal. C’est à ce niveau que nous devons vérifier l’intégrité de la cuve.
Dans le cas de l’EPR, le fond et le couvercle étant un peu plus éloignés de l’injection d’eau, le transitoire de température subi serait plutôt atténué. De plus, les viroles cylindriques sont très proches du cœur du réacteur. Un certain nombre de neutrons quitte le cœur et impacte le métal de la cuve. C’est ce que nous appelons le vieillissement sous irradiation, phénomène étudié depuis des décennies de façon très précise. Comme pour l’excès en concentration de carbone, l’irradiation neutronique provoque un durcissement du matériau, peu favorable pour les transitoires de choc froid.
Nous avons très peu évoqué la ténacité. Pour démontrer que la cuve va rester intègre, l'ingénieur a besoin d’une information sur la qualité du matériau et sa capacité à résister à la propagation des fissures. C’est ce que nous appelons la ténacité, un paramètre fondamental de la mécanique de la rupture. Ce sont ces paramètres qu’Areva va devoir mesurer de manière plus précise.
Les valeurs de résilience mentionnées dans la réglementation ESPN sont des indicateurs, non des valeurs utilisées par l’ingénieur pour ses calculs. La qualité de la démonstration de sûreté suppose de disposer des valeurs de ténacité et d’étudier l’ensemble des sollicitations mécaniques qui se produiront sur la cuve, afin de vérifier que le chargement reste inférieur à ces valeurs. La ténacité est un paramètre très dépendant de la composition du matériau, de l’irradiation neutronique et de la température, puisque plus la température est basse, plus la ténacité est basse. Le matériau tend alors vers un comportement fragile et des risques de rupture fragile, d’où l’importance des transitoires de choc froid…
Le dernier point porte sur la mécanique de la rupture. En complément de ceux de caractérisation de la ténacité des matériaux, des essais reproduisent vraiment la sollicitation bi-axiale subie par le matériau de cuve lors d’un transitoire mécanique. Lors de certains de ces essais mécaniques, réalisés sur des matériaux non-irradiés ou irradiés, il a été parfois observé des ruptures beaucoup plus tardives que prévu, ce même lorsque le chargement dépassait la courbe de ténacité.
Ces phénomènes mécaniques – pour les spécialistes, il s’agit de pré-chargements à chaud ou d’arrêts de fissures –, maintenant un peu mieux connus, ont montré que les approches d’ingénieurs utilisées jusque-là comportaient des marges ; elles sont en train d’être codifiées, par exemple dans le code RSE-M déjà mentionné.
Je n’ai pas parlé du fond et du couvercle de l’EPR. Si le CEA a fait beaucoup de recherches sur tous les aspects utiles à la démonstration que va faire Areva, il n’est pas partie prenante.
Je peux simplement partager l’avis qualitatif donné par l’IRSN : le fond et le couvercle de cuve étant assez éloignés des arrivées d’eau, nous nous attendons à ce que les transitoires de choc froid qui vont solliciter la cuve soient moins sévères que ce que nous constatons habituellement pour les viroles cylindriques. L’ASN en demandera évidemment des démonstrations.
Je voudrais terminer en soulignant que le fond et le couvercle étant assez loin du cœur, ils devraient être également peu soumis aux flux d’irradiations, donc au vieillissement sous irradiation. Nous ne nous attendons pas à ce que les propriétés du matériau évoluent à partir de l’état initial.
Cela doit être confirmé par des calculs détaillés mais, a priori, en termes de flux neutronique, plusieurs ordres de grandeur séparent le fond ou le couvercle, par rapport aux viroles cylindriques qui concentrent notre attention pour le parc actuel.
M. Yves Bréchet. Haut-Commissaire du CEA-Grand témoin de la table ronde
Il n’y a pas de vieillissement à l’endroit où il y a des ségrégations, et pas de ségrégation aux endroits où il y a un vieillissement. C’est important. Une vérité qui fait plaisir doit toujours être prouvée deux fois.
M. Yves Bréchet. Haut-Commissaire du CEA-Grand témoin de la table ronde
Avant de donner quelques éléments de conclusion, je voudrais répondre à une question posée par M. Jean-Yves Le Déaut concernant les mesures curatives envisageables contre les ségrégations. La métallurgie est bonne fille mais ce n’est pas une fille facile. S’il est, à la limite, possible d’essayer, par divers procédés, d’éviter des macro-ségrégations, ce n’est pas du tout trivial.
Les macro-ségrégations résultent d’un transport de liquide. Dès l’instant où elles interviennent, les distances sont assez grandes pour que nous ne puissions les guérir par un recuit. Si les ségrégations sont présentes à ces échelles-là, elles sont définitives.
Je suis désolé de vous décevoir.
Je voudrais apporter quelques éléments de conclusion. Pour moi, on décèle une table ronde réussie au caractère inutilisable de la conclusion préparée pour celle-ci. La mienne l’est en partie, mais pas entièrement.
Elle est utilisable sur les questions de long terme, moins sur celles de court terme.
Je pense qu’il faut revenir aux deux tables rondes, prévues dans sa sagesse par l’OPECST, parce qu’elles posent deux questions différentes : d’une part, une question importante mais ponctuelle, dont la presse parle beaucoup, relative à l’existence de cette anomalie et à sa nocivité, et, d’autre part, la question de l’évolution des règlements et de la manière dont ceux-ci peuvent être élaborés, évoluer et être mutuellement acceptés, au travers d’une réflexion conjointe entre opérateurs et autorité de sûreté.
Cette dernière question me semble également très importante, même si elle est peu évoquée.
Concernant les sujets techniques abordés aujourd’hui qui ont déjà fait couler beaucoup d’encre, je pourrais céder à la tentation de vous donner mon avis.
En tant que métallurgiste, ayant longtemps travaillé sur les aciers de cuve et plus généralement sur le vieillissement des matériaux dans des conditions d’irradiation, je pourrais ajouter un avis à ceux que vous avez entendus, aussi bien sur la réglementation des appareils sous pression que sur la cuve de Flamanville. Je vais résister à cette tentation, d’abord par respect pour l’OPECST et pour son mode de fonctionnement. Il m’est souvent arrivé de dire que l’OPECST est l’incarnation même de ce que doit être le lien entre mondes scientifique et politique. Ce lien ne saurait se satisfaire d’un avis d’autorité, donné par le titulaire d’une fonction, fût-il Haut-commissaire.
L’OPECST doit chercher l’expertise où elle se trouve, chez les praticiens de la science et de la technologie, car ce sont eux qui nourrissent sa réflexion. Le rôle que peuvent jouer des intervenants tels que moi, même au plus près de leurs compétences, ne peut remplacer l’audition d’experts de terrain.
Pour autant, cela ne signifie pas que je n’ai aucun avis technique sur la question.
Mon avis se nourrit d’une analyse comparative des différentes contributions qui vous ont été présentées, d’une vie consacrée à l’étude des matériaux de structures, et d’échanges avec les personnes en charge des études en cours.
Simplement, je ne veux pas préempter un résultat qui n’est pas encore acquis, même si, pour l’instant, ce qui a été présenté conduit à une vision plutôt optimiste, non pas sur la présence des ségrégations, mais sur leur caractère dommageable.
Nous ne pourrons trancher cette question qu’une fois l’ensemble des études réalisées. Je pense qu’il n’est pas bon de communiquer sur une étude à venir. Il faut communiquer sur des résultats acquis.
L’étude à venir suscite toujours une inquiétude et, une fois l’inquiétude créée, il devient ensuite très difficile, dans nos sociétés, de la dissiper, tant est devenue prégnante, sur ces questions, la culture du soupçon.
Je voudrais vous inviter à réfléchir, non pas simplement au sujet technique qui nous rassemble, mais à la raison qui en fait une question politique impliquant l’OPECST.
Nous faisons face à deux sujets : les appareils sous pression et la composition des aciers de cuve, relevant de l’application d’un règlement qui, dans les deux cas, a évolué dans des périodes récentes.
Il est normal que les règlements évoluent.
Nous avons, dans un cas, la question de l’application du règlement et, dans l’autre, celle de la nocivité d’une anomalie.
Ces questions portent sur un sujet d’importance : la sûreté nucléaire.
L’Autorité de sûreté nucléaire et son bras armé, l’IRSN, sont les garants de la sûreté. Les opérateurs doivent appliquer ces règlements…
Pour que l’application des règlements soit efficace, il est impératif que leur contenu soit non seulement rationnel, mais aussi reconnu comme tel par tous ceux qui vont devoir les appliquer, y compris ceux pour qui cela générera un surcroît de travail.
Les résultats des études sur lesquels s’appuie l’ASN sont publics.
Je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur les règlements eux-mêmes. Quand un règlement est modifié en vue d’accroître la sûreté nucléaire, il serait très utile de faire la démonstration scientifique que nous avons bien augmenté la sûreté et pas simplement son coût.
Il est impératif que les opérateurs soient convaincus de ce fait. Il serait très utile de démontrer que les exigences nouvelles sont technologiquement réalistes, et de donner un moyen de les mettre en œuvre. Je pense que ce travail est en cours.
Cela me rend extrêmement optimiste pour la suite des événements. Je voudrais expliciter pourquoi il est important de faire la démonstration qu’un règlement plus rigoureux conduit à accroître la sûreté, et pas simplement le coût de celle-ci. Vous allez me dire : Pourquoi nous compliquer l’existence ? Ne suffit-il pas de réglementer et d’appliquer ? À ne pas expliciter la raison d’un règlement, à ne pas prendre le temps de convaincre les opérateurs par une discussion approfondie, nous courrons le risque de dérives dommageables, en termes de sûreté et d’efficacité.
Pour l’efficacité, on imagine très bien qu’un règlement plus contraignant sera nécessairement plus coûteux. Pour la sûreté, c’est un peu plus subtil. Nous pourrions penser que des règles prudentes, au-delà de la démonstration rationnelle de leurs fondements, assurent une sûreté renforcée. Elles peuvent pourtant avoir l’effet inverse.
Si les opérateurs ne sont pas convaincus de la rationalité d’une règle, ils peuvent être tentés de la contourner. J’espère qu’ils ne le font pas.
Nous prenons à revers le principe de Pascal. Dès lors que l’on commence à désobéir à une loi qui semble infondée, il est aisé de se croire autorisé à la contourner.
Nous n’en sommes heureusement pas là, mais il faut être conscient des risques pour les éviter. Le manque de confiance dans la rationalité des règlements n’incite pas les opérateurs à la curiosité naturelle attendue des scientifiques.
Craindre qu’une autorité se saisisse d’une nouveauté pour durcir des règlements, rend relativement peu enclins à la découvrir.
Aussi, je plaide pour une discussion très approfondie sur les règlements, leurs évolutions et leur mise en œuvre entre les opérateurs et l’Autorité de sûreté nucléaire, dans le complet respect de l’indépendance de cette dernière qui, in fine, reste seule juge.
Il faut également que tout cela repose sur une compétence scientifique et technique au plus haut niveau.
C’est sur ce point que je souhaiterais conclure.
Voici quatre ans, dans un rapport sur la métallurgie, l’Académie des sciences a alerté sur la perte progressive de compétence résultant d’une désaffection pour une discipline passée de mode.
Il est urgent de se souvenir que la sûreté, avant même la question des règlements et de leur application, repose, aussi bien du point de vue du régulateur que de celui du concepteur, sur la nécessité d’une compétence sans faille dans les sciences de l’ingénieur qui ont fait de l’énergie nucléaire un joyau de notre industrie, une composante essentielle de nos ressources énergétiques ainsi qu’un modèle de sûreté industrielle.
C’est aussi cette question de la compétence qui transparaît dans ma demande, inspirée par des situations que nous avons examinées aujourd’hui, que l’évolution du règlement soit accompagnée de la preuve indubitable de sa pertinence scientifique et technique.
C’est une raison de plus de nous livrer à l’exercice exigeant de la démonstration. Nous devons nous assurer que les compétences sont au meilleur niveau, partout.
La sûreté et la transparence n’en seront que mieux assurées.
EXTRAITS DE LA REUNION DE L’OPECST DU 25 JUIN 2015
Le 25 juin 2015, l’OPECST a organisé une réunion sur le problème des ségrégations de carbone affectant le couvercle et le fonds de cuve de l’EPR de Flamanville 3.
Cette réunion a été organisée en 2 tables rondes.
PREMIÈRE TABLE RONDE : LES MODALITÉS DU CONTRÔLE DES ÉQUIPEMENTS SOUS PRESSION NUCLÉAIRES
Présidence : M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST.
Grand témoin : M. Yves Bréchet haut-commissaire à l’énergie atomique.
Au cours de cette table ronde se sont exprimés :
M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN)
M. Nicolas Chantrenne, sous-directeur des risques accidentels, direction générale de la prévention des risques, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
M. Dominique Delattre, chef de l’Unité des publications en matière de sûreté et de sécurité nucléaires, département de la sûreté et la sécurité nucléaires, Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)
Mme Cécile Laugier, présidente de l’Association française pour les règles de conception, de construction et de surveillance en exploitation des matériels des chaudières électronucléaires (AFCEN)
M. Jean-Philippe Longin, président de l’Association pour la qualité des appareils à pression (AQUAP).
Je retiens de l’intervention de Mme Laugier :
Le code RCC-M est aujourd’hui le seul code nucléaire codifiant la qualification technique de pièces… Le fait que le code français décrive la qualification est, encore aujourd’hui, sans équivalent dans les exigences posées par les autres codes nucléaires.
Cela veut dire qu’il y a plus d’exigence dans notre code français que dans la plupart des codes comparables.
Dès sa première édition de 1980, pour les pièces dont le processus de fabrication peut mener à des hétérogénéités, le RCC-M a fait le choix d’introduire un processus de qualification. Il s’agit de caractériser la pièce dans les zones où les propriétés du matériau doivent être suffisantes vis-à-vis des conditions d’emploi de la pièce. Ce principe n’est pas repris et n’est pas décrit de cette manière dans d’autres codes, nous pensons en particulier à ceux de l’ASME ou au CODAP (programme de l’OCDE/NEA), ni dans le cadre de l’industrie conventionnelle, ni même dans les normes européennes citées.
La qualification a pour but de vérifier l’efficacité d’une gamme de fabrication donnée, de satisfaire le niveau de qualité requis et d’apporter les éléments qui permettent de confirmer que le processus de fabrication est bien maîtrisé par le fournisseur de matériaux…
Une caractéristique importante du code est de rester évolutif.
Actuellement, nous travaillons en lien étroit avec l’ASN pour compléter le code RCC-M afin que ses prochaines versions s’approchent, vers 2016-2018, d’une complète conformité avec la réglementation.
Depuis 2007, l’AFCEN a introduit dans le RCC-M des annexes qui améliorent sa correspondance avec les exigences essentielles fixées par la réglementation française. Nous avons également fait un effort en publiant récemment un document, appelé Criteria, qui les explique.
Ce sont les difficultés rencontrées par les fabricants pour l’obtention des premières attestations de conformité pour les équipements de niveau 1, les plus importants, qui ont conduit l’AFCEN à mettre en place ce programme technique approfondi.
Il est destiné à conforter l’aptitude du code à traduire les exigences réglementaires, à l’adapter pour les utilisateurs français quand cela apparaît nécessaire à la « justification » de leurs opérations, et à établir, le cas échéant, des documents complémentaires, lorsque les prescriptions ne sont pas assez précises.
Nous avons prévu un programme de travail pour fixer la liste des pièces nécessitant une qualification technique au cas par cas.
Ce travail sera réalisé conjointement avec l’ASN.
Nous ferons également évoluer le contenu de notre code, notamment pour fixer la démarche qui permettra d’apporter la justification « en tous points », qui est celle que les utilisateurs français doivent maintenant respecter.
Je terminerai mon propos en rappelant que notre association édite ces règles techniques depuis plus de trente ans, qu’elle a été initialement fondée par Areva et EDF, mais s’est largement ouverte à l’international.
Notre code reste au meilleur niveau.
Il comprend des exigences, notamment autour de la qualification des pièces les plus complexes, sans équivalent dans d’autres codes.
Nous sommes engagés aujourd’hui, en lien étroit avec l’ASN, dans un important travail technique pour le compléter et nous approcher de l’adéquation à la réglementation.
Mme Laugier, dans son exposé, fait très bien ressortir que les exigences françaises sont sans équivalent dans les autres codes mondiaux et notamment l’ASME, qui est sans contexte le code le plus fréquemment utilisé.
Le grand témoin, Mr Yves Bréchet, Haut-Commissaire du CEA intervient à la suite de ces auditions.
M. Yves Bréchet.
J’ai l’impression, en entendant Mme Cécile Laugier, que nous sommes dans une configuration où nous pouvons à la fois respecter l’indépendance indispensable de l’autorité de sûreté, et prendre en compte les aspects techniques qui font qu’un règlement peut être plus ou moins difficile à examiner et à mettre en œuvre. Comment le faire en pratique ? Comment l’interaction entre l’AFCEN et l’Autorité de sûreté nucléaire se déroule-t-elle ?
Mme Cécile Laugier.
Le lien entre les codes et la réglementation est effectivement important. L’association professionnelle qu’est l’AFCEN rédige des recueils de règles techniques qui sont conçus pour être utiles aux utilisateurs. Ils doivent reproduire un certain nombre d’exigences mises en commun et également les aider le plus possible à s’approcher de ce qu’ils doivent respecter sur le plan réglementaire. C’est l'une des raisons pour lesquelles nous avons des échanges avec l’ASN et son appui technique (l’IRSN) qui sont des invités permanents à nos groupes de travail d’experts.
Il arrive notamment aux représentants de l’IRSN de venir en observateur, même s’ils ne participent pas directement aux travaux. Ils sont des observateurs attentifs, avisés et souvent très intéressés par ces débats techniques entre experts qui donnent des informations utiles sur l’évolution de l’état de l’art.
Nos codes sont très formellement référencés dans les dossiers déposés par l’exploitant nucléaire. L’Autorité de sûreté nucléaire a, bien sûr, un droit de regard. Il arrive très régulièrement qu’elle formule des demandes de modification. Nous les prenons en compte. Cela explique pourquoi le code évolue, même s’il n’est pas un équivalent de la réglementation.
M. Yves Bréchet.
Quel est le point de vue de l’Autorité de sûreté nucléaire sur cette question ?
M. Pierre-Franck Chevet.
Nous avons un certain nombre d’échanges pour que le code évolue. Il inclut des références très anciennes alors que la nouvelle réglementation impose un certain nombre d’exigences supplémentaires.
Nous discutons actuellement pour qu’il y ait le plus de cohérence possible entre la réglementation et les pratiques industrielles, celles-ci ne pouvant rester durablement en l’état.
M. Jean-Yves Le Déaut. Président de l’OPECST.
Pour compléter les propos de M. Pierre-Franck Chevet qui a indiqué, ce qui semble clair, que l’anomalie n’était pas réglementaire, pourriez-vous préciser si la réglementation applicable aux ESPN est la même en France et dans d’autres pays dotés du même type de réacteur, par exemple en Chine ?
M. Pierre-Franck Chevet.
Je ne saurais vous répondre sur la Chine. J’obtiendrai peut-être l’information plus tard. Je peux simplement dire que nous avons averti nos homologues chinois, lorsque l’anomalie a été confirmée. Avec quelques spécialistes, j’ai eu l’occasion, durant une ou deux heures, de la leur présenter en détail. Pour eux, le problème semblait clair. L’idée générale de notre réglementation, tout comme des différents codes dans le monde, est de viser les meilleures caractéristiques possibles pour un certain nombre de matériaux, a fortiori pour les composants dont la rupture est exclue…
Néanmoins, cette capacité des matériaux à résister à la rupture brutale se retrouve, avec quelques variantes, dans toutes les codifications.
M. Yves Bréchet.
Sans aborder le problème spécifique de l’anomalie de la cuve EPR, je suis tout à fait d’accord avec les propos de M. Pierre-Franck Chevet : il faut que les difficultés soient mises sur la table. Nous ne pouvons pas ne pas parler des problèmes. Si tout allait bien, nous n’aurions pas aujourd’hui ce débat sur la réglementation relative aux EPSN. Un certain nombre de réticences existent, de la part des industriels, vis-à- vis de l’application de ces règlements.
Nous n’allons pas faire semblant de l’ignorer. J’aimerais que ce soit explicité.
Pardonnez-moi d’insister, mais j’aimerais que soient mis clairement sur la table les reproches qui sont faits concernant les modalités du contrôle des équipements sous pression nucléaires.
J’en connais qui sont justifiés, et d’autres qui le sont beaucoup moins.
Nous venons d’entendre tout ce qui se déroule bien. Il se trouve que, pour les opérateurs, c’est un sujet qui pose problème en termes de mise en œuvre réelle sur le parc.
Nous ne résoudrons peut- être pas la question aujourd’hui mais il faut au moins qu’elle soit posée dans cette instance.
Je n’ai jamais vu un problème se résoudre sans qu’il soit explicité.
SECONDE TABLE RONDE : LE CAS DE LA CUVE DU RÉACTEUR EPR
Présidence : M. Christian Bataille, député, vice-président de l’OPECST
Grand témoin : M. Yves Bréchet haut-commissaire à l’énergie atomique
M. Thomas Pardoen, professeur, Université catholique de Louvain
M. Bertrand de l’Epinois, directeur des normes de sûreté d’Areva
M. Laurent Thieffry, directeur du projet de Flamanville 3
M. Rémy Catteau, directeur des équipements sous pression, Autorité de sûreté nucléaire (ASN)
M. Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)
M. Patrick Dumaz, chef du programme de réacteurs de deuxième et troisième générations, direction de l'énergie nucléaire, Commission à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)
M. Thomas Pardoen, professeur, Université catholique de Louvain
Sur la première planche, la courbe présentée montre l’évolution de l’énergie d’impact, l’énergie qu’il a fallu dissiper dans le matériau – ici un acier ferritique de cuve – pour réussir à le déchirer, en fonction de la température. À basse température, bien en-dessous des températures d’utilisation d’une cuve, l’énergie de rupture est très faible. Cela correspond au régime de la rupture fragile, qu’il faut chercher à éviter. Au-dessus d’une certaine température, le matériau passe par une transition et arrive dans un régime dit ductile où l’énergie d’impact est nettement supérieure, dans certains cas de plusieurs centaines de joules.
La deuxième planche comporte plusieurs courbes, correspondant à des compositions en carbone différentes, de 0,01 %, 0,11 % et 0,22 %. Plus il y a de carbone, plus la résistance à la rupture et l’énergie d’impact diminuent dans la partie ductile. De plus, la température à laquelle se produit le basculement dans le régime fragile est de plus en plus haute. La valeur réglementaire de 60 joules évoquée est également indiquée. Ce graphe ne correspond toutefois pas à l’acier spécifique de la cuve de Flamanville.
Pour obtenir l’énergie de rupture, une petite entaille est pratiquée sur des échantillons de matière afin de créer des conditions très sévères. Celle-ci va concentrer le chargement produit par un mouton-pendule. Il suffit ensuite de mesurer l’énergie qui aura été dissipée pour briser la pièce. Dans le cas d’une cuve de réacteur, cette énergie doit être supérieure à 60 joules….
Pour conclure, le taux de carbone est représentatif d’une chute de la ductilité et de la résilience dans le régime ductile. Avoir plus de carbone a de multiples implications. N’ayant vu aucun document technique détaillé sur la cuve de l’EPR, je ne suis pas capable, à ce stade, de déterminer ce que ce carbone modifie de la structure de la matière ni donc ce qui pourrait expliquer précisément pourquoi nous pourrions avoir cette perte de ténacité.
Nous n’avons évoqué qu’un seul aspect du problème : la force de résistance du matériau. Il faut aussi prendre en compte le chargement nécessaire pour que des fissures apparaissent et se propagent. C’est uniquement si ce chargement est supérieur à la résilience du matériau considéré que cela se produira. Le caractère conservatif de l’analyse résulte de la distance entre le chargement réellement appliqué et la valeur de la propriété du matériau. Dans le cas qui nous occupe, pour la pièce spécifique du fond de cuve, les propriétés semblent effectivement basses, mais quel est le niveau exact de chargement nécessaire pour faire apparaître des fissures, et éventuellement les propager ?
M. Bertrand de l’Epinois, directeur des normes de sûreté d’Areva.
Avant d’aborder le sujet de la concentration en carbone, il semble utile de rappeler que, sur un certain nombre de sujets importants en matière de sûreté, la cuve de l’EPR réalise des progrès substantiels.
D’abord, il n’existe aucune traversée en fond de cuve, les tubes d’instrumentation passant par le couvercle.
Ensuite, le flux de neutrons sur les viroles de cuve baisse significativement, grâce à une plus grande épaisseur d’eau et à un réflecteur lourd de neutrons.
Nous avons aussi réduit le nombre de soudures. C’est un point important.
Enfin, des progrès sensibles sur la composition moyenne du matériau de la cuve, notamment en soufre et en phosphore, ont été réalisés.
Ces innovations s’ajoutent à celles, plus générales, de l’EPR en matière de sûreté, précédemment évoquées par M. Pierre Franck Chevet.
La question de la concentration en carbone dans les calottes de cuve ne doit pas masquer ces avancées. La cuve de l’EPR participe pleinement au progrès de sûreté visé par ce réacteur.
Venons-en maintenant au cœur du sujet qui concerne les deux calottes, le fond et le couvercle de la cuve, sur lesquelles, en partie centrale et à l’extérieur, se trouvent des ségrégations positives, c’est-à-dire des concentrations en carbone supérieures à la moyenne et aux spécifications. L’existence de ségrégations positives ou négatives –quand il n’y a pas assez de carbone– est un phénomène connu dans les pièces forgées épaisses. Il a fait l’objet de nombreuses études. Il est pris en compte dans la conception des pièces. C’est un phénomène inhérent, en particulier, au procédé mis en œuvre pour forger ces deux pièces de la cuve de l’EPR. Nous pourrons revenir, à l’occasion du débat, sur la question des lingots, des procédés et des évolutions de procédés dans le temps….
Quels sont les enjeux de sûreté de la ségrégation ? L’augmentation de la concentration en carbone durcit le matériau qui aura une plus grande résistance mécanique. La pièce aura plus de résistance à la pression. En revanche, elle sera plus sensible à ce qui a été décrit, à la rupture fragile ou à la rupture brutale. Nous devons tenir compte de deux phénomènes dans la conception de ces pièces. Elles doivent, d’une part, résister à la pression, avec une bonne résistance mécanique de l’acier et une bonne épaisseur, et, d’autre part, être le moins possible susceptibles de ruptures brutales ou fragiles. Il faut avoir suffisamment de carbone mais pas trop. Il faut ajuster l’équilibre entre les différentes zones.
Comme cela a été indiqué, la rupture brutale n’intervient que si trois conditions sont simultanément réunies : l’existence d’un défaut à l’origine – typiquement une fissure –, une température basse, et un chargement mécanique important, au regard de la fissure et des caractéristiques du matériau. Pour ce qui est de la température, le risque de rupture brutale suppose qu’elle soit suffisamment basse pour que le matériau se situe dans son domaine fragile. Ces trois conditions sont indispensables….
Des contrôles à 100 % sont réalisés, par différents moyens, en fin de fabrication, dans toute l’épaisseur du métal et sur toute sa surface. Ils n’ont révélé aucun défaut. Il n’y a pas a priori de fissure venant de la fabrication. De plus, la partie externe correspond à des zones dans lesquelles nous n’attendons pas de créations ou de propagations de défauts en fonctionnement.
En application de l’arrêté ESPN, l’ASN nous a demandé de vérifier les valeurs en résilience dans l’ensemble de la pièce. La résilience est liée à la concentration en carbone. Ces contrôles ont montré des écarts par rapport aux 60 joules mentionnés par l’arrêté. La concentration en carbone atteignant 0,28 % dans la partie extérieure, se trouvait en excès par rapport à nos spécifications, puisque nous cherchons à rester entre 0,18 % et 0,22 %. À la suite de ces contrôles, nous avons proposé un programme d’essais complémentaires, en cours d’instruction par l’ASN. Nous espérons le lancer dans les prochaines semaines et dans les prochains mois, lorsque nous aurons obtenu le feu vert pour l’engager.
Ces essais consistent en une caractérisation métallurgique approfondie d’une pièce analogue, dans toute l’épaisseur et dans toute la zone centrale. À minima, une centaine d’éprouvettes seront réalisées pour mesurer en tous points la teneur en carbone, la résilience ainsi que la ténacité. La résilience est simple à mesurer pour les essais de recettes, ainsi que l’allongement à la rupture. Nous procédons toujours de cette manière. En revanche, la ténacité est la vraie grandeur physique exprimant la capacité du matériau à résister à la propagation d’une fissure sous température basse et sous un chargement important. Un grand nombre de mesures de ténacité seront réalisées lors de ces essais de caractérisation.
Ce programme complémentaire comportera également un volet d’étude de conception, incluant une analyse exhaustive de tous les chargements et des calculs de mécanique, prenant en compte les caractéristiques réelles du matériau, mesurées sur la pièce d’essai, afin de montrer l’aptitude à l’emploi de celle-ci. Ces calculs de mécanique sont effectués en faisant l’hypothèse de la présence d’un défaut : une fissure qui n’aurait pas été identifiée lors du contrôle, bien que tout ait été fait pour qu’il n’y en ait pas. Nous établirons un dossier d’aptitude à l’emploi sur la base de ce programme complémentaire, qui sera transmis à l’ASN en vue de sa décision.
M. Laurent Thieffry, directeur du projet de Flamanville 3.
L’ensemble des composants du circuit primaire est en place : cuve, générateurs de vapeur et pressuriseur. Les soudages des boucles primaires sont en cours d’achèvement. Les montages électromécaniques sont effectués à cadence industrielle, avec plus de 4 000 personnes présentes sur le site.
À ce stade, il me paraît important de préciser que, s’agissant du haut niveau d’exigence propre à l’industrie nucléaire, chaque opération réalisée sur ce projet donne lieu à des contrôles, dont certains exercés directement par l’Autorité de sûreté nucléaire ou les organismes notifiés par cette dernière.
Nous ne passons à l’étape suivante que si les résultats de l’étape précédente sont positifs, moyennant, le cas échéant, le traitement préalable de tout écart. Bien évidemment, l’ensemble de ce processus donne lieu à une traçabilité et à une transparence totale de chacun des événements….
Cette précision étant donnée, j’en viens à la fabrication de la cuve de l’EPR de Flamanville 3.
Elle est constituée d’un fond hémisphérique, de viroles cylindriques soudées entre elles et au fond, ainsi que d’un couvercle. L’ensemble mesure un peu moins de quatorze mètres de hauteur, pour un peu moins de six mètres de diamètre, et son poids total atteint environ 550 tonnes.
Nous sommes donc face à un ensemble de grande dimension.
EDF a confié la construction des chaudières nucléaires de l’EPR de Flamanville 3 à Areva, dans le cadre d’un marché notifié en 2005.
Les composants de la cuve ont été conçus et fabriqués conformément aux référentiels techniques en vigueur au moment de leur fabrication, à savoir le code de conception et de construction nucléaire dit RCC-M – élaboré par l’AFCEN sur la base des meilleures pratiques mondiales – notamment par l’application de son chapitre dit M140, consacré à la qualification.
Les approvisionnements des pièces forgées constitutives de cet équipement ont été lancés par Areva dès 2005.
Le fond et le couvercle sont issus de pièces de forge fabriquées dans l’usine du Creusot en 2006 et 2007. Dans ce cadre, les dossiers de synthèse et de qualification M140, la démonstration de la conformité finale de la pièce à son référentiel de conception de fabrication ont été établis, pour le couvercle et le fond de cuve, en 2010.
La fabrication du corps de la cuve s’est achevée à l’été 2013, à l’issue d’une épreuve hydraulique réalisée avec succès en usine.
Comme expliqué précédemment, au titre de sa responsabilité d’exploitant nucléaire, EDF a exercé, comme prévu par le code RCC-M, une surveillance de ces fabrications aux trois étapes clés du processus de qualification. Tout d’abord au stade du dossier technique initial élaboré par Areva, comprenant la description du programme de fabrication et du programme d’essais associés destiné à vérifier la conformité en finale ; ensuite, en phase de fabrication, pour vérifier en usine que les opérations de fabrication sont bien réalisées conformément au dossier technique –cette surveillance inclut aussi une composante documentaire afin de s’assurer de l’applicabilité et de la conformité des modes opératoires utilisés.
EDF a ainsi surveillé l’intégralité des opérations de forgeage et de chutage, ainsi que la totalité des essais mécaniques de recette des composants de la cuve de Flamanville 3. Enfin EDF a surveillé l’élaboration des rapports de qualification qui ont conclu, en phase finale du processus, à la conformité des composants de la cuve à leur référentiel technique de fabrication.
Passons maintenant à l’application de la réglementation ESPN. L’arrêté ESPN a été pris en 2005 mais les modalités de la qualification technique réglementaire associée n’ont pas été décrites dès sa mise en application. L’arrêté prévoyait d’ailleurs une période de transition.
Certaines de ces modalités d’application ont été formalisées en 2011, après la fin de la fabrication des composants de la cuve de Flamanville 3.
C’est en particulier le cas avec l’exigence que les normes quantifiées de l’arrêté ESPN soient désormais atteintes en tout point de la cuve.
Cela suppose donc des essais de recettes plus nombreux, sur plusieurs zones. Des caractéristiques mécaniques différentes restent acceptables, sous réserve de démonstration de l’absence de conséquences, comme c’était déjà le cas avec la réglementation antérieure. Le chapitre M140 du code RCC-M, référentiel technique utilisé pour la synthèse de la qualification au moment de la fabrication de la cuve de Flamanville 3, entre 2006 et 2010, n’intègre pas cette exigence nouvelle, car elle visait l’aptitude à l’emploi de la pièce, en vérifiant les propriétés uniquement dans les zones les plus sollicitées.
C’est d’ailleurs là une évolution significative et positive de la nouvelle réglementation ESPN.
L’ASN a donc demandé à Areva d’appliquer ces nouvelles modalités sur les composants de la cuve de Flamanville 3.
Pour y répondre, Areva a proposé, fin 2012, de réaliser des essais complémentaires sur la matière prélevée sur un couvercle similaire à celui de Flamanville 3, dans des zones non examinées en recette auparavant.
Les résultats de ces essais ont été obtenus au dernier trimestre 2014. C’est à l’occasion de ces essais complémentaires, au titre de la réglementation ESPN, qu’Areva a identifié un écart sur certaines caractéristiques métallurgiques, du fait de la ségrégation en carbone située au centre et en partie externe du couvercle.
Areva en a informé EDF et l’ASN et a proposé une analyse de la conception de la fabrication ainsi qu’un programme d’essais complémentaires pour démontrer – comme le prévoit la réglementation – l’importance des marges existantes face à tout risque pour la cuve. Ce programme d’essai fera, bien sûr, l’objet d’une vérification par l’Autorité de sûreté nucléaire avant toute réalisation.
M. Rémy Catteau, directeur des équipements sous pression, Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
…. La cuve fait l’objet d’une hypothèse particulière et majeure dans la démonstration de sûreté : l’hypothèse d’exclusion de rupture. Les conséquences de la défaillance de la cuve ne sont pas prises en compte dans la démonstration de sûreté. Pour être clair, la défaillance de la cuve n’est pas postulée.
Le dernier enjeu n’est pas, à proprement parler, lié à la sûreté : le corps de la cuve ne peut être remplacé une fois le réacteur mis en service ; du moins aucune cuve ne l’a été jusqu’à présent dans le monde. Une fois que le réacteur démarre avec une cuve, il s’arrêtera, très vraisemblablement, avec la même cuve.
Ces enjeux majeurs impliquent nécessairement le respect d’exigences fortes en matière de conception, de fabrication et de contrôle en service ; nous sommes là dans une démarche de défense en profondeur.
Nous voulons une excellente conception, avec de très fortes garanties, permettant de dégager des marges importantes. Il faut une très grande qualité de fabrication, permettant d’assurer que les hypothèses posées à la conception sont effectivement validées.
Cela permet de garantir que les défauts restants de la cuve sont négligeables et que la conception permet de vivre avec ces défauts. Il faut, enfin, un excellent contrôle en service, le but étant de vérifier que ce qui a été prévu à la conception et à la fabrication se déroule bien pendant toute la durée de vie de la cuve et qu’il n’y a pas d’autres phénomènes qui n’auraient pas été prévus.
J’en viens à l’anomalie. Il s’agit d’une anomalie technique : une ségrégation majeure positive de l’ordre de 50 %. C’est un niveau inattendu, très supérieur à ceux que nous avons rencontrés jusqu’à présent. Nous connaissons des ségrégations de ce type sur le parc en exploitation d’EDF qui sont de l’ordre de 20 % à 25 %. Les procédés de fabrication antérieurs ont permis de limiter ces ségrégations.
La demande d’essais complémentaires formulée par l’ASN s’inscrit dans la réglementation actuelle, datant de 2005. C’est elle qui a permis de détecter cette anomalie. À partir du moment où cette anomalie est détectée, c’est un sujet technique qui doit être traité, quelle que soit la réglementation, la précédente ou l’actuelle. C’est un problème qui aurait également été traité par les autres autorités de sûreté dans le monde. Il n’y a pas de doute là-dessus.
Nous attendons aujourd’hui qu’Areva justifie que les propriétés du matériau dans cette zone sont suffisantes pour un usage nucléaire, sur un équipement soumis à une présomption d’exclusion de rupture. …
Nous avons reçu un dossier en mai 2015 que nous instruisons avec l’IRSN. Nous n’en sommes encore qu’au début de l’instruction, celui des questions que nous avons formulées à Areva. Nous avons reçu une partie des réponses.
Je vous propose de détailler quelques-unes de nos grandes interrogations à ce stade.
La première concerne la caractérisation de la zone ayant une concentration de carbone plus importante qu’attendu, et, en particulier, de son positionnement. Nous voulons être certains qu’elle est bien localisée au centre, et en partie supérieure. Le sujet serait encore plus critique si elle se trouvait en partie inférieure.
Nous souhaitons avoir une connaissance, avec de fortes garanties, des propriétés mécaniques de la zone. Ce sont celles relatives au risque de rupture brutale, mais également toutes les autres. Je pense, par exemple, au vieillissement. Cette cuve a une durée de vie de soixante ans au minimum. Nous voulons être sûrs que, aujourd’hui, les propriétés mécaniques de ce matériau sont bien celles que nous imaginons pour dans soixante ans. C’est d’autant plus crucial, que ce matériau présente des ségrégations positives majeures s’écartant assez fortement des matériaux connus jusqu’à présent dans le parc nucléaire. Je confirme que nous étudions également tout ce qui est chargement, donc les sollicitations qui s’appliquent sur cette zone.
Nous souhaitons avoir une vue large des types de sollicitations qui sont déterminantes pour ce type de problème.
Areva va mener une campagne d’essais, majoritairement destructifs. Une fois ceux-ci réalisés, les pièces d’essai seront détruites. Sauf à les remplacer, ces essais ne peuvent être conduits sur les calottes de la cuve de Flamanville. Elles le seront donc sur des calottes initialement destinées à d’autres EPR.
Une question majeure porte sur la représentativité de ces pièces d’essai par rapport à celles du réacteur de Flamanville. Nous attendons une démonstration robuste qui nous apporte des garanties et une quasi-certitude.
M. Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
La cuve est évidemment un composant absolument essentiel. Sa conformité repose notamment sur le respect de critères relatifs à la réglementation des appareils à pression. Certains de ces critères ne sont pas satisfaits en certains points. Pour aller plus loin, nous devons démontrer que la cuve telle qu’elle est, avec ses zones plus fortement ségrégées, présente une résistance suffisante, avec des marges de sûreté suffisantes, en situation normale et accidentelle, les situations normales incluant aussi des essais à froid de l’appareil à pression que constitue la cuve.
Pour cela, il faut parvenir à déterminer précisément les caractéristiques mécaniques des zones ségrégées, et apprécier l’impact de cette ségrégation, au regard des exigences de la démonstration de sûreté.
Je ne parle plus des caractéristiques métallurgiques, mais de démonstration de sûreté.
C’est en ce sens qu’Areva s’est engagée, à la demande de l’Autorité de sûreté nucléaire, à définir un programme d’essai. Ce dernier doit être suffisamment complet et apporter assez d’éléments probants, en suffisamment de points de la cuve, pour permettre de déterminer finement les caractéristiques mécaniques de la zone ségrégée, en présumant que la cuve de Flamanville a été fabriquée exactement selon le même procédé que les pièces qui vont être détruites pour ces examens. Ces données seront donc représentatives. Cela permettra à Areva de proposer une évaluation de la ténacité minimum locale qui existe réellement au sein de cette pièce, ou de ces pièces, puisque nous allons tester les deux calottes de la cuve.
Cela ne suffit pas. Il faut pouvoir disposer, en complément de ces données, d’une démarche de justification, en termes de sûreté.
Areva doit donc également proposer un niveau minimum de ténacité, compte tenu de la conception de la cuve, de telle sorte que la rupture soit évitée en toutes circonstances, en supposant l’existence d’un défaut. Nous savons que ce dernier n’existe pas mais c’est le principe même de la démonstration.
Nous comparerons ensuite les résultats expérimentaux, qui ne sont pas encore connus, à ces valeurs qui devraient être déterminées de manière théorique, pour vérifier que les niveaux sont suffisants. L’IRSN est ensuite chargé de mener une contre-expertise de ce travail réalisé par Areva.
C’est l’objet de la saisine de l’ASN. Nous effectuerons nos propres calculs, de sorte que l’ASN, ainsi que les groupes permanents, puissent disposer, comme d’habitude, d’un avis du fabricant, sous le contrôle de l’exploitant nucléaire, et d’un avis fondé scientifiquement et techniquement sur les meilleures méthodes de calcul de l’IRSN.
Nous devons tenir compte, sur le fond de cette expertise, de la conception de cette cuve.
Comme indiqué, un certain nombre de caractéristiques propres à la cuve de l’EPR font que la calotte supérieure supporte plus de contraintes, notamment toutes les traversées pour les mesures et pour le contrôle de la réactivité dans le cœur.
Il y a ensuite des viroles, les parois verticales de la cuve, qui ne sont pas en cause dans notre analyse et sont moins irradiées sur la cuve de l’EPR que sur les cuves des réacteurs du parc.
Il y a enfin une calotte inférieure, libre de tout perçage, qui ne comporte pas de risque de fissuration lié à l’ajout de traversées. C’est un point favorable pour la cuve de l’EPR.
La fabrication de ces deux calottes a été réalisée par Areva avec un nouveau procédé de fabrication. C’est en ce sens que l’IRSN s’est exprimé en termes de régression. En effet, la fabrication des calottes des réacteurs du palier N4, voici un certain nombre d’années, utilisait une technologie dite de lingots à solidification dirigée, avec des lingots beaucoup plus petits, de l’ordre d’une cinquantaine de tonnes. Il était donc possible de mieux piloter le processus de refroidissement, de telle sorte qu’il n’y avait pas ou peu de ségrégation en carbone, du fait de la technologie employée.
Au contraire, dans le procédé utilisé pour les calottes EPR, le lingot est très gros, si bien que le processus de refroidissement progressif favorise l’apparition de fortes ségrégations.
La fabrication prend évidemment en compte cela, en n’utilisant pas les parties haute et basse du lingot qui sont les plus ségrégées.
La pièce est forgée à partir de la partie centrale. L’analyse vise à déterminer où se situe réellement – au centre ou en extérieur – le reste de ségrégation, non éliminé initialement. Il est très important de le savoir.
Concernant ce point, il faut noter un élément favorable : la calotte inférieure est moins épaisse que la calotte supérieure. Cela veut dire que davantage de matière, évidemment la plus ségrégée, a été enlevée. Nous pouvons présumer que cela aura un effet favorable sur la démonstration, d’autant qu’il n’y a pas de traversées, donc moins de contraintes sur cette pièce.
A contrario, le couvercle contient toutes les traversées et il est plus épais. Il supporte plus de risque. Mais il est remplaçable. Si la démonstration ne pouvait être réalisée, ce ne serait qu’un demi-mal. …
Si la calotte du bas est inapte à l’emploi, c’est toute la cuve qui se trouve condamnée. Un certain nombre d’essais, dont nous analyserons les résultats, vont être réalisés.
L’ASN attend que nous donnions un avis sur l’adéquation du programme d’essais, avant que ces essais ne soient effectués. Nous analyserons la démonstration réalisée par Areva à partir de ces essais et la suffisance des marges qui auront été évaluées par le constructeur de la cuve.
Nous pensons que le programme d’essais pourrait être approuvé à la fin du mois de septembre. Il faudra ensuite qu’il soit réalisé, que nous en analysions les résultats, que les groupes permanents se prononcent, etc.
Cela nous amènera probablement à l’été 2016.
EDF a choisi de ne pas interrompre la construction de l’EPR pendant cette phase. C’est son choix d’exploitant.
Je voudrais vous livrer trois éléments de conclusion. En premier lieu, les calottes de la cuve de Flamanville 3 présentent une anomalie de fabrication, au regard du haut niveau de qualité de fabrication attendu pour les cuves de réacteurs électronucléaires qui sont des équipements majeurs.
C’est un constat acquis, que personne ne peut contester.
En second lieu, l’impact de cette anomalie sur la démonstration de sûreté nécessite une analyse approfondie, sur la base de données complémentaires qu’il reste à acquérir, de mesures et ensuite de calculs. L’exécution de tout ce travail demandera plusieurs mois.
En troisième lieu, sans s’engager sur la conclusion qui sera tirée des données complémentaires et de l’analyse consécutive, l’IRSN note que la conception innovante de la cuve de l’EPR, par rapport au parc français, apporte des éléments favorables à une issue positive de ce dossier. Encore faut-il en apporter la preuve.
M. Patrick Dumaz, chef du programme de réacteurs de deuxième et troisième générations, direction de l’énergie nucléaire, Commission à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Sur la question de l’intégrité de la cuve, il est important de comprendre les chargements susceptibles de la menacer. Tels que nous les connaissons sur le parc actuel, il s’agit, comme évoqué précédemment par mon collègue de l’Université de Louvain, de chocs froids, liés à des situations accidentelles relativement hypothétiques : brèche ouverte dans le circuit primaire, dépressurisation, entrée en fonctionnement de l’injection de sécurité, etc.
Ces transitoires de choc froid sont vraiment les plus déterminants pour les réacteurs du parc actuel.
L’eau, arrivant par les branches primaires, refroidit d’abord les viroles cylindriques qui subissent un refroidissement maximal. C’est à ce niveau que nous devons vérifier l’intégrité de la cuve.
Dans le cas de l’EPR, le fond et le couvercle étant un peu plus éloignés de l’injection d’eau, le transitoire de température subi serait plutôt atténué. De plus, les viroles cylindriques sont très proches du cœur du réacteur. Un certain nombre de neutrons quitte le cœur et impacte le métal de la cuve. C’est ce que nous appelons le vieillissement sous irradiation, phénomène étudié depuis des décennies de façon très précise. Comme pour l’excès en concentration de carbone, l’irradiation neutronique provoque un durcissement du matériau, peu favorable pour les transitoires de choc froid.
Nous avons très peu évoqué la ténacité. Pour démontrer que la cuve va rester intègre, l'ingénieur a besoin d’une information sur la qualité du matériau et sa capacité à résister à la propagation des fissures. C’est ce que nous appelons la ténacité, un paramètre fondamental de la mécanique de la rupture. Ce sont ces paramètres qu’Areva va devoir mesurer de manière plus précise.
Les valeurs de résilience mentionnées dans la réglementation ESPN sont des indicateurs, non des valeurs utilisées par l’ingénieur pour ses calculs. La qualité de la démonstration de sûreté suppose de disposer des valeurs de ténacité et d’étudier l’ensemble des sollicitations mécaniques qui se produiront sur la cuve, afin de vérifier que le chargement reste inférieur à ces valeurs. La ténacité est un paramètre très dépendant de la composition du matériau, de l’irradiation neutronique et de la température, puisque plus la température est basse, plus la ténacité est basse. Le matériau tend alors vers un comportement fragile et des risques de rupture fragile, d’où l’importance des transitoires de choc froid…
Le dernier point porte sur la mécanique de la rupture. En complément de ceux de caractérisation de la ténacité des matériaux, des essais reproduisent vraiment la sollicitation bi-axiale subie par le matériau de cuve lors d’un transitoire mécanique. Lors de certains de ces essais mécaniques, réalisés sur des matériaux non-irradiés ou irradiés, il a été parfois observé des ruptures beaucoup plus tardives que prévu, ce même lorsque le chargement dépassait la courbe de ténacité.
Ces phénomènes mécaniques – pour les spécialistes, il s’agit de pré-chargements à chaud ou d’arrêts de fissures –, maintenant un peu mieux connus, ont montré que les approches d’ingénieurs utilisées jusque-là comportaient des marges ; elles sont en train d’être codifiées, par exemple dans le code RSE-M déjà mentionné.
Je n’ai pas parlé du fond et du couvercle de l’EPR. Si le CEA a fait beaucoup de recherches sur tous les aspects utiles à la démonstration que va faire Areva, il n’est pas partie prenante.
Je peux simplement partager l’avis qualitatif donné par l’IRSN : le fond et le couvercle de cuve étant assez éloignés des arrivées d’eau, nous nous attendons à ce que les transitoires de choc froid qui vont solliciter la cuve soient moins sévères que ce que nous constatons habituellement pour les viroles cylindriques. L’ASN en demandera évidemment des démonstrations.
Je voudrais terminer en soulignant que le fond et le couvercle étant assez loin du cœur, ils devraient être également peu soumis aux flux d’irradiations, donc au vieillissement sous irradiation. Nous ne nous attendons pas à ce que les propriétés du matériau évoluent à partir de l’état initial.
Cela doit être confirmé par des calculs détaillés mais, a priori, en termes de flux neutronique, plusieurs ordres de grandeur séparent le fond ou le couvercle, par rapport aux viroles cylindriques qui concentrent notre attention pour le parc actuel.
M. Yves Bréchet. Haut-Commissaire du CEA-Grand témoin de la table ronde
Il n’y a pas de vieillissement à l’endroit où il y a des ségrégations, et pas de ségrégation aux endroits où il y a un vieillissement. C’est important. Une vérité qui fait plaisir doit toujours être prouvée deux fois.
M. Yves Bréchet. Haut-Commissaire du CEA-Grand témoin de la table ronde
Avant de donner quelques éléments de conclusion, je voudrais répondre à une question posée par M. Jean-Yves Le Déaut concernant les mesures curatives envisageables contre les ségrégations. La métallurgie est bonne fille mais ce n’est pas une fille facile. S’il est, à la limite, possible d’essayer, par divers procédés, d’éviter des macro-ségrégations, ce n’est pas du tout trivial.
Les macro-ségrégations résultent d’un transport de liquide. Dès l’instant où elles interviennent, les distances sont assez grandes pour que nous ne puissions les guérir par un recuit. Si les ségrégations sont présentes à ces échelles-là, elles sont définitives.
Je suis désolé de vous décevoir.
Je voudrais apporter quelques éléments de conclusion. Pour moi, on décèle une table ronde réussie au caractère inutilisable de la conclusion préparée pour celle-ci. La mienne l’est en partie, mais pas entièrement.
Elle est utilisable sur les questions de long terme, moins sur celles de court terme.
Je pense qu’il faut revenir aux deux tables rondes, prévues dans sa sagesse par l’OPECST, parce qu’elles posent deux questions différentes : d’une part, une question importante mais ponctuelle, dont la presse parle beaucoup, relative à l’existence de cette anomalie et à sa nocivité, et, d’autre part, la question de l’évolution des règlements et de la manière dont ceux-ci peuvent être élaborés, évoluer et être mutuellement acceptés, au travers d’une réflexion conjointe entre opérateurs et autorité de sûreté.
Cette dernière question me semble également très importante, même si elle est peu évoquée.
Concernant les sujets techniques abordés aujourd’hui qui ont déjà fait couler beaucoup d’encre, je pourrais céder à la tentation de vous donner mon avis.
En tant que métallurgiste, ayant longtemps travaillé sur les aciers de cuve et plus généralement sur le vieillissement des matériaux dans des conditions d’irradiation, je pourrais ajouter un avis à ceux que vous avez entendus, aussi bien sur la réglementation des appareils sous pression que sur la cuve de Flamanville. Je vais résister à cette tentation, d’abord par respect pour l’OPECST et pour son mode de fonctionnement. Il m’est souvent arrivé de dire que l’OPECST est l’incarnation même de ce que doit être le lien entre mondes scientifique et politique. Ce lien ne saurait se satisfaire d’un avis d’autorité, donné par le titulaire d’une fonction, fût-il Haut-commissaire.
L’OPECST doit chercher l’expertise où elle se trouve, chez les praticiens de la science et de la technologie, car ce sont eux qui nourrissent sa réflexion. Le rôle que peuvent jouer des intervenants tels que moi, même au plus près de leurs compétences, ne peut remplacer l’audition d’experts de terrain.
Pour autant, cela ne signifie pas que je n’ai aucun avis technique sur la question.
Mon avis se nourrit d’une analyse comparative des différentes contributions qui vous ont été présentées, d’une vie consacrée à l’étude des matériaux de structures, et d’échanges avec les personnes en charge des études en cours.
Simplement, je ne veux pas préempter un résultat qui n’est pas encore acquis, même si, pour l’instant, ce qui a été présenté conduit à une vision plutôt optimiste, non pas sur la présence des ségrégations, mais sur leur caractère dommageable.
Nous ne pourrons trancher cette question qu’une fois l’ensemble des études réalisées. Je pense qu’il n’est pas bon de communiquer sur une étude à venir. Il faut communiquer sur des résultats acquis.
L’étude à venir suscite toujours une inquiétude et, une fois l’inquiétude créée, il devient ensuite très difficile, dans nos sociétés, de la dissiper, tant est devenue prégnante, sur ces questions, la culture du soupçon.
Je voudrais vous inviter à réfléchir, non pas simplement au sujet technique qui nous rassemble, mais à la raison qui en fait une question politique impliquant l’OPECST.
Nous faisons face à deux sujets : les appareils sous pression et la composition des aciers de cuve, relevant de l’application d’un règlement qui, dans les deux cas, a évolué dans des périodes récentes.
Il est normal que les règlements évoluent.
Nous avons, dans un cas, la question de l’application du règlement et, dans l’autre, celle de la nocivité d’une anomalie.
Ces questions portent sur un sujet d’importance : la sûreté nucléaire.
L’Autorité de sûreté nucléaire et son bras armé, l’IRSN, sont les garants de la sûreté. Les opérateurs doivent appliquer ces règlements…
Pour que l’application des règlements soit efficace, il est impératif que leur contenu soit non seulement rationnel, mais aussi reconnu comme tel par tous ceux qui vont devoir les appliquer, y compris ceux pour qui cela générera un surcroît de travail.
Les résultats des études sur lesquels s’appuie l’ASN sont publics.
Je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur les règlements eux-mêmes. Quand un règlement est modifié en vue d’accroître la sûreté nucléaire, il serait très utile de faire la démonstration scientifique que nous avons bien augmenté la sûreté et pas simplement son coût.
Il est impératif que les opérateurs soient convaincus de ce fait. Il serait très utile de démontrer que les exigences nouvelles sont technologiquement réalistes, et de donner un moyen de les mettre en œuvre. Je pense que ce travail est en cours.
Cela me rend extrêmement optimiste pour la suite des événements. Je voudrais expliciter pourquoi il est important de faire la démonstration qu’un règlement plus rigoureux conduit à accroître la sûreté, et pas simplement le coût de celle-ci. Vous allez me dire : Pourquoi nous compliquer l’existence ? Ne suffit-il pas de réglementer et d’appliquer ? À ne pas expliciter la raison d’un règlement, à ne pas prendre le temps de convaincre les opérateurs par une discussion approfondie, nous courrons le risque de dérives dommageables, en termes de sûreté et d’efficacité.
Pour l’efficacité, on imagine très bien qu’un règlement plus contraignant sera nécessairement plus coûteux. Pour la sûreté, c’est un peu plus subtil. Nous pourrions penser que des règles prudentes, au-delà de la démonstration rationnelle de leurs fondements, assurent une sûreté renforcée. Elles peuvent pourtant avoir l’effet inverse.
Si les opérateurs ne sont pas convaincus de la rationalité d’une règle, ils peuvent être tentés de la contourner. J’espère qu’ils ne le font pas.
Nous prenons à revers le principe de Pascal. Dès lors que l’on commence à désobéir à une loi qui semble infondée, il est aisé de se croire autorisé à la contourner.
Nous n’en sommes heureusement pas là, mais il faut être conscient des risques pour les éviter. Le manque de confiance dans la rationalité des règlements n’incite pas les opérateurs à la curiosité naturelle attendue des scientifiques.
Craindre qu’une autorité se saisisse d’une nouveauté pour durcir des règlements, rend relativement peu enclins à la découvrir.
Aussi, je plaide pour une discussion très approfondie sur les règlements, leurs évolutions et leur mise en œuvre entre les opérateurs et l’Autorité de sûreté nucléaire, dans le complet respect de l’indépendance de cette dernière qui, in fine, reste seule juge.
Il faut également que tout cela repose sur une compétence scientifique et technique au plus haut niveau.
C’est sur ce point que je souhaiterais conclure.
Voici quatre ans, dans un rapport sur la métallurgie, l’Académie des sciences a alerté sur la perte progressive de compétence résultant d’une désaffection pour une discipline passée de mode.
Il est urgent de se souvenir que la sûreté, avant même la question des règlements et de leur application, repose, aussi bien du point de vue du régulateur que de celui du concepteur, sur la nécessité d’une compétence sans faille dans les sciences de l’ingénieur qui ont fait de l’énergie nucléaire un joyau de notre industrie, une composante essentielle de nos ressources énergétiques ainsi qu’un modèle de sûreté industrielle.
C’est aussi cette question de la compétence qui transparaît dans ma demande, inspirée par des situations que nous avons examinées aujourd’hui, que l’évolution du règlement soit accompagnée de la preuve indubitable de sa pertinence scientifique et technique.
C’est une raison de plus de nous livrer à l’exercice exigeant de la démonstration. Nous devons nous assurer que les compétences sont au meilleur niveau, partout.
La sûreté et la transparence n’en seront que mieux assurées.
26/07/2017 18:07
Consultation sur l'anomalie de la composition de l'acier du fond et du couvercle de la cuve de l'EPR de Flamanville
• La cuve n’a pas les caractéristiques requises : Les pièces de l’EPR ont été fabriquée par l’usine Creusot Forge d’AREVA , alors qu’AREVA et EDF sont au courant depuis 2005 que cette usine n’a pas la capacité de produire des pièces conformes aux normes de sûreté. La cuve ne doit pas être qualifiée avec son acier actuel car le niveau de sûreté n’est pas satisfaisant.. Je n’accepte pas, comme de nombreux français, la prise de risque que constitue l’utilisation de pièces comportant des anomalies. Le chantier doit être arrêté.
26/07/2017 18:07
EPR de Flamanville
Moi, citoyen français, consommateur d'énergie électrique et conscient de l'interêt que représente la filière nucléaire pour la France, m'oppose à la mise en service de la centrale de Flamanville pour d'évidentes raisons de sécurité. L'Agence de Sûreté Nucléaire a toujours su nous protéger des dérives de cette industrie (pas d'accident en France jusqu'à maintenant) en étant toujours d'une exigence remarquable et je lui souhaite tout le courage dont elle aura besoin pour s'opposer à ce qui est de toute façon déjà un fiasco...
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Date de la dernière mise à jour : 09/11/2021