Contrôle n°201

CONTRÔLE | N° 201 | DÉCEMBRE 2016 32 © DR Contrôle : à quoi sert la prise de comprimé d’iode en cas d’accident nucléaire ? Martin Schlumberger : normalement, l’iode stable apporté par l’alimentation est concentré par la thyroïde où il est indispensable à la synthèse des hor- mones thyroïdiennes. Cette concentra- tion est d’autant plus importante que l’apport alimentaire en iode est faible et dans ces conditions particulières, l’iode radioactif sera aussi concentré en grande quantité par la thyroïde qu’il va irradier. La thyroïde ne fera pas la différence avec l’iode naturel. À l’in- verse, un apport d’iode stable adminis- tré en grande quantité sature la glande thyroïde qui devient alors incapable de concentrer l’iode radioactif. Dans ce cas, si la personne entre en contact avec de l’iode radioactif par inhalation ou inges- tion, la thyroïde sera protégée et ne sera pas irradiée. Sur quels retours d’expérience s’appuie cette disposition ? L’ étude des conséquences sanitaires de l’accident de Tchernobyl a montré que la thyroïde est l’organe à risque en cas de contamination atmosphérique par acci- dent de réacteur nucléaire. L’ irradiation de la thyroïde a été importante en raison du niveau élevé de contamination, à la fois dans l’atmosphère et dans les denrées produites sur place, de l’absence de confi- nement et de restriction alimentaire et à l’évacuation tardive des populations les plus contaminées. De plus, il existait en 1986 une profonde carence alimentaire en iode dans ces régions contaminées et aucune prophylaxie par l’iode stable n’a été effectuée. Depuis 1990, plus de 7 000 cancers de la thyroïde attribués à l’accident sont sur- venus chez les deux millions d’enfants et d’adolescents fortement contaminés qui vivaient en Biélorussie, en Ukraine et dans le sud de la Russie lors de l’ac- cident. Le cancer de la thyroïde est la seule pathologie radio-induite provo- quée directement par la contamination radioactive. Son risque est maximal chez l’enfant exposé à un âge jeune et diminue avec l’âge lors de l’exposition. Elle est due à l’irradiation de la thyroïde par les isotopes radioactifs de l’iode et tout doit être fait pour l’éviter, notam- ment chez l’enfant et l’adolescent : prise d’iodure de potassium (KI) lorsque la dose à la thyroïde des enfants est esti- mée pouvoir être supérieure à 50 mil- lisieverts, et qui doit être associée au confinement, à des restrictions alimen- taires, et éventuellement à l’évacuation des populations. Rapidement après le début de l’accident de Tchernobyl, 18 millions de doses d’io- dure de potassium ont été distribuées en Pologne. Son efficacité a été démontrée par des mesures et surtout par l’absence d’augmentation de l’incidence des cancers de la thyroïde chez les enfants et adoles- cents polonais dans les années qui ont suivi l’accident. Pouvez-vous nous préciser quelles sont les contre-indications à la prise d’iode et les éventuelles allergies à l’iode ? Quelle(s) solution(s) alternative(s) peut-on alors proposer en cas d’allergie ? La distribution de l’iodure en Pologne a montré la rareté des complications liées à sa prise, avec quelques hospitalisations dont la relation avec la prise de l’iode n’a pas été démontrée. L’ allergie à l’iodure n’a pas été prouvée. Seules les personnes porteuses de pathologies exceptionnelles (telle que certaines dermatites d’origine immunologique) ne doivent pas prendre d’iodure de potassium. De fortes quanti- tés d’iodure de potassium peuvent induire une hyperthyroïdie chez des patients porteurs d’un goitre ou de nodules thy- roïdiens ; cette pathologie thyroïdienne s’observe essentiellement chez les adultes, et elle est très rare chez les enfants qui doivent être protégés en priorité. Par ailleurs, des élévations transi- toires du taux de TSH sérique a ont été observées chez les nouveau-nés dont les mères avaient pris l’iodure de potassium quelques jours avant la naissance, et aucune séquelle n’a été observée. Quelle est la courbe d’efficacité de l’iodure de potassium ? Et quel est le moment le plus judicieux pour l’absorber ? L’efficacité de l’iodure de potassium aug- mente avec la quantité administrée. En France, il se présente sous forme de com- primé contenant 65 mg KI équivalent à 50 mg d’iodure. La quantité optimale dépend de l’âge du sujet et, en France, la dose recommandée est de 100 mg d’iodure (130 mg KI, deux comprimés) chez l’adulte (y compris chez la femme enceinte), de 50 mg d’iodure (65 mg KI, un comprimé) chez l’enfant de moins de 13 ans, de 25 mg d’iodure (32,5 mg KI, un demi-comprimé) chez les enfants de moins de 3 ans, 12,5 mg d’iodure (16 mg KI, un quart de comprimé) chez le nouveau-né. Lorsqu’une quantité suffisante d’iodure de potassium est administrée, son efficacité en termes d’inhibition de la fixation de l’iode radioactif par la thyroïde est maxi- male lorsqu’il est administré pendant les heures qui précèdent la contamination et il inhibe alors la fixation thyroïdienne de l’iode radioactif par plus de 98 % ; si l’iodure de potassium est administré en même temps que la contamination, la fixation sera diminuée de 90 % et seule- ment de 50 % s’il est administré six heures après la contamination. La rapidité de son administration conditionne donc son efficacité et ceci a été la base de la pré- distribution des comprimés d’iodure de potassium aux populations vivant dans un rayon de 10 km autour des centrales nucléaires françaises. Rappelons qu’il existe en France une carence relative en iode alimentaire et donc que la fixation de l’iode par la thyroïde est significative. LA PRISE DE COMPRIMÉS D’IODE : UNE MESURE À L’EFFICACITÉ PROUVÉE Entretien avec le professeur Martin Schlumberger, chef du service de médecine nucléaire à l’Institut de cancérologie Gustave Roussy, à Villejuif (94), et spécialiste de la thyroïde a. TSH ou thyréostimuline: hormone sécrétée par l’hypophyse et dont le rôle est de stimuler la glande thyroïde. EN QUESTION La gestion des situations d’urgence Le point sur la campagne iode 2016

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