Livre blanc du Tritium & bilan des rejets de tritium pour les INB

235 Point de vue de l’IRSN sur les questions clés et sur les pistes de recherche et de développement 3 2 4 Comportement du tritium dans les milieux aquatiques continentaux et marins Les données relatives à la distribution du tritium dans les organismes aquatiques concernent surtout le milieu marin, tout particulièrement à proximité des côtes françaises de la Manche et des côtes britanniques (baie de Cardiff). En zone littorale française de la Manche, l’IRSN a pu déterminer des profils de concentration du tritium libre et du tritium organiquement lié dans des algues (figure 5). Par rapport au bruit de fond mesuré dans l’Atlantique (Concarneau), les résultats montrent une influence des rejets de tritium de l’usine de traitement de combustibles usés d’AREVA La Hague en Manche, à partir du golfe normand-breton en direction du Pas-de-Calais. L’influence de l’usine s’observe surtout dans le NordCotentin où les concentrations maximales mesurées atteignent une dizaine de Bq/L d’eau de combustion dans les algues (OBT). L’IRSN a obtenu d’autres résultats similaires lors de campagnes successives en Manche, pour divers organismes marins (algues, mollusques, crustacés et poissons). D’une façon générale, les mesures de tritium faites dans divers organismes marins prélevés sur les côtes de la Manche au cours des deux dernières décennies montrent que le rapport entre l’activité du tritium organiquement lié des échantillons analysés et celle du tritium de l’eau de mer est proche de 1. Il est même un peu plus faible pour le Fucus, sans doute en raison de l’influence des périodes d’exondation des algues à marée basse, pendant lesquelles des échanges pourraient avoir lieu avec la vapeur d’eau atmosphérique et l’eau de pluie dont l’activité de tritium est plus faible que pour l’eau de mer. Des études britanniques, menées dans la baie de Cardiff et l’estuaire de la Severn, ont mis en évidence la présence d’activités de tritium dans des espèces marines (poissons plats, moules) dépassant de plus de cent fois l’activité de tritium dans l’eau de mer (Edwards, 1998). Tandis que les activités volumiques étaient à l’époque inférieures à 100 Bq/L dans l’eau de mer, une valeur de 37 800 Bq.kg-1 frais a été constatée dans un poisson plat. L’estuairede laSevern reçoit les rejets de l’usineNycomedAmersham plc de Cardiff qui synthétise des molécules tritiées pour l’industrie pharmaceutique (acides aminés, acides gras, lipides, précurseurs acides nucléiques, hydrates de carbone, prostaglandines, vitamines, stéroïdes, alcaloïdes…). L’usage de ces molécules marquées est d’autant plus efficace que leur rapport isotopique 3H/H est plus élevé. Lorsque ces composés ou des produits intermédiaires se retrouvent dans le milieu naturel, même à très faible concentration, ils ont une forte affinité pour la matière organique, et ce d’autant plus s’ils sont hydrophobes. Les auteurs des études précités ont émis l’hypothèse d’une formation de matières organiques particulaires par sorption des molécules organiques tritiées de l’eau sur les sédiments fins, complétée par une transformation bactérienne au sein du lit sédimentaire de surface. Les particules sédimentaires ainsi formées seraient alors filtrées par les moules ou ingérées par les poissons vivant en contact avec les sédiments. Les modes de vie et d’alimentation des organismes expliquent les différences d’activité observées entre d’une part les organismes herbivores ou benthiques, d’autre part les poissons pélagiques beaucoup moins contaminés par le tritium. Une fois ces aliments tritiés ingérés par les animaux, le tritium peut alors se fixer préférentiellement dans la matière vivante, entraînant un facteur de concentration très élevé par rapport au tritium libre (HTO) présent dans le milieu de vie de ces animaux. Les molécules organiques marquées par du tritium peuvent rester stables lorsqu’elles sont enfouies dans la colonne sédimentaire, en l’absence de toute minéralisation. Ainsi, une étude britannique (Moris, 2006) a montré que les concentrations de tritium le long d’une carotte sédimentaire prélevée dans le marais de la Severn sont corrélées dans le temps avec les activités de tritium rejetées par Amersham. Cet enregistrement chronologique suggère que le tritium organique est retenu pendant plusieurs décennies dans les sédiments après le dépôt, sans perte importante du fait de la conservation de la matière organique. Ce phénomène de rémanence est à rapprocher de celui décrit plus haut pour le tritium dans les matières organiques des sols provenant de la décomposition de la litière végétale. Ainsi, les valeurs élevées des facteurs de concentration observées chez des organismes marins prélevés dans la baie de Cardiff et l’estuaire de la Severn ne correspondent pas à une bioaccumulation du tritium de l’eau de mer dans ces organismes, mais à une rémanence du tritium présent à des teneurs élevées dans des molécules organiques ingérées par ces organismes. Ce tritium se retrouve alors organiquement lié, à des concentrations élevées, dans les tissus des animaux avant d’être recyclé par le métabolisme de l’organisme et de se diluer peu à peu dans l’hydrogène stable de l’eau de mer ou de l’eau interne des organismes4. Rappelons que toutes les mesures de tritium dans l’eau de mer réalisées à Sellafield, Bristol ou La Hague concernent le tritium « total » présent dans les prélèvements sans distinction des formes chimiques présentes, HTO et OBT, contrairement à ce qui est réalisé lors des mesures de tritium dans les organismes. Cet exemple singulier de comportement du tritium, à l’origine d’une controverse sur l’existence éventuelle d’une bioaccumulation du tritium, montre l’intérêt de mieux déterminer les formes chimiques dutritiumdansl’eaudemer,notammentletritiumliéàdesmolécules organiques (OBT), afin de permettre une interprétation correcte des facteurs de concentration calculés à partir des résultats de mesures dans les organismes marins. Ceci apparaît même indispensable lorsque des mesures mettent en évidence des concentrations de tritium élevées dans des organismes aquatiques ; en tout état de cause, les facteurs de concentration déterminés pour le tritium lié à la matière organique ne doivent pas être assimilés à des facteurs de bioaccumulation, tels que définis au paragraphe 3.1. 3 3 Conclusions sur la bioaccumulation du tritium A ce jour, les différentes études menées sur le comportement du tritium dans l’environnement ne mettent pas en évidence une bioaccumulation du tritium, au sens strict du terme. En revanche, une rémanence plus ou moins longue du tritiumpeut être observée dans certains tissus végétaux après incorporation du tritium dans la matière organique par photosynthèse, et subséquemment dans les litières et matières humiques des sols provenant des végétaux. Cette rémanence reste modérée puisque, globalement, la période effective du tritium dans les organismes terrestres est significativement inférieure à la période radioactive du tritium. De même, une rémanence de tritium peut être observée dans les organismes aquatiques lorsque le tritium rejeté dans l’environnement est lié à des molécules organiques. Il s’ensuit alors une contamination préférentielle des particules organiques sources alimentaires de certains animaux aquatiques qui se trouvent à leur tour contaminés à des concentrations significativement plus élevées que celles observées dans l’eau ambiante. Les facteurs de concentration déterminés par le rapport entre 4 Un processus semblable pourrait expliquer les activités relativement élevées de tritium organiquement lié (quelques dizaines à plus d’une centaine de Bq/L) observées dans divers organismes marins (algues, mollusques, crustacés et poissons) prélevés en Manche lors de la réalisation, par l’IPSN au début des années 1980, du point zéro radioécologique de la centrale nucléaire de Flamanville. Toutefois, en l’absence de mesures de tritium libre et de tritium dans l’eau de mer, cette interprétation doit être considérée avec prudence.

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