Contrôle n°201

DÉCEMBRE 2016 | N° 201 | CONTRÔLE 9 Quelques enseignements des « dialogues » Les témoignages exprimés lors des dialo- gues montrent que l’accident a un impact émotionnel et social important qui désta- bilise la population et remet en question les gestes et habitudes de la vie quoti- dienne. Ces témoignages confirment la plupart des conséquences humaines déjà observées en Biélorussie après l’accident de Tchernobyl : › › une difficulté majeure pour les habitants à appréhender la situation radiologique de leur environnement quotidien ; › › une forte inquiétude quant à la santé et en particulier celle des enfants ; › › une désintégration de la vie familiale et du tissu économique et social ; › › un sentiment d’impuissance et d’abandon mais aussi de discrimination et d’exclusion qui se traduit par une perte de dignité. Cinq ans après l’accident de Fukushima, la plupart des individus demeurent tou- jours confrontés au dilemme : continuer à vivre dans les zones affectées ou par- tir ; revenir vivre ou non sur leurs lieux de résidence. Dans ce contexte, les dialogues ont per- mis, grâce aux témoignages et réflexions des participants, de mieux décrire ces dimensions humaines et de dévelop- per progressivement un récit riche sur la base des expériences qui les ont aidés à prendre leurs propres décisions et à s’en- gager dans la réhabilitation. Il convient également de réaffirmer le rôle crucial de l’accès à la mesure par les habitants eux-mêmes afin de connaître les débits de dose ambiants, les doses individuelles externes et internes qu’ils reçoivent, et la contamination des pro- duits alimentaires qu’ils consomment. Ces mesures sont nécessaires pour que chacun puisse connaître où, quand et comment il est exposé, ce que ne per- mettent pas les valeurs moyennes dif- fusées par les autorités. Engager les habitants dans une campagne de mesures individuelles permet d’ouvrir un dia- logue au sein de la communauté afin d’interpréter les résultats avec l’aide d’experts à l’écoute de leurs préoccupa- tions concrètes et de trouver ensemble des solutions pour améliorer la situation. Cette caractérisation de la situation radio- logique, menée en coopération entre les experts et la population (co-expertise), doit être réalisée le plus rapidement pos- sible pour permettre aux habitants et aux communautés de reprendre progressive- ment le contrôle de leur vie et décider par eux-mêmes de leur avenir. Les dialogues ont confirmé l’importance de cette co-expertise qui avait émergé dans les projets Ethos et Core pour déve- lopper dans la population une culture pratique de radioprotection afin d’iden- tifier des actions de protection permet- tant d’améliorer la vie quotidienne. Ils ont également confirmé l’importance de faciliter la mise en place de lieux de dia- logues favorisant la diffusion des bonnes pratiques entre les communautés et la transmission de l’expérience passée. On notera que la justification des critères de dose adoptés par les autorités japo- naises (1 millisievert par an – mSv/an – et 20 mSv/an) a rarement été évoquée par les participants aux dialogues. En revanche, l’impact de ces critères sur la vie quoti- dienne a fait l’objet de nombreux débats. Par exemple, la protection des enfants par rapport à la contamination est une préoc- cupation majeure des habitants mais elle ne va pas sans inconvénients : les restric- tions concernant les activités extérieures ont eu pour conséquence, par exemple, de diminuer la vie sociale des enfants mais aussi d’augmenter l’obésité. En fait, dès lors que les personnes accèdent à la culture pratique de radioprotection, les critères de dose sont utilisés comme des repères pour prendre leurs décisions et non comme des normes (self-help protec- tion actions au sens de la CIPR). Au-delà de chaque décision individuelle, il convient de souligner la place impor- tante de la communauté dans les pro- cessus de réflexion et de décision et la nécessité d’engager une approche inté- grant les différentes dimensions de la vie dans le territoire. Un des enjeux est alors de favoriser les mécanismes de coopéra- tion, ce qui constitue un réel challenge dans un contexte de méfiance vis-à-vis des autorités. Ainsi, bien qu’il y ait géné- ralement une complémentarité entre le rôle des autorités et celui des populations dans les actions mises en œuvre dans la gestion post-accidentelle, on constate une réelle difficulté à coordonner les deux approches. Ceci est notoire quant aux actions de décontamination engagées après l’accident d’un côté © HUMA ROSENTALSKI/IRSN Monsieur Kazumi Anzai, paysan à Otama-Mura Fukushima, au point de mesure n°5.

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