Contrôle n°201

DÉCEMBRE 2016 | N° 201 | CONTRÔLE 7 les cinq centrales qui ont obtenu l’auto- risation de redémarrer, seules trois ont effectivement repris leur fonctionne- ment. Les deux autres buttent encore contre des procédures judiciaires enga- gées par des associations locales qui esti- ment que les dispositions prises après Fukushima ne sont pas suffisantes. Un autre point important concerne la remise en état du site de la centrale de Fukushima Daiichi. Les Japonais sont actuellement confrontés à d’importants problèmes de stockage de l’eau conta- minée, de conditions d’intervention et de radioprotection des travailleurs. Nous nous tenons informés des solutions qu’ils envisagent de mettre en œuvre, mais nous interagissons assez peu avec eux sur ces points-là ; il s’agit surtout pour nous d’engranger des connaissances et de capitaliser sur leur expérience. Une autorité de sûreté réellement indépendante et transparente Il est aujourd’hui très clair qu’une des causes profondes de l’incapacité de l’autorité de sûreté japonaise à préve- nir l’accident, puis à gérer la crise, tient au fait que celle-ci n’était à l’époque ni assez indépendante, ni assez compé- tente. En d’autres termes, elle ne fai- sait clairement pas le poids par rapport aux exploitants, ni du point de vue technique, ni du point de vue institu- tionnel. Une mission IRRS (Integrated Regulatory Review Service) mandatée par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) avait déjà abordé ces points en 2007, mais le Japon n’en avait pas tenu compte. En janvier 2016, une nouvelle mission IRRS a été effectuée au Japon afin d’examiner le système de contrôle mis en place après l’accident. J’y ai participé au côté de 19 autres experts internationaux. Dans ses conclusions, cette mission a souligné la réactivité exceptionnelle du gouvernement japonais et les progrès considérables réalisés pour établir une autorité de sûreté indépendante et trans- parente, avec des pouvoirs très large- ment étendus. Elle a aussi souligné le travail remarquable mené par l’autorité de sûreté pour tirer les leçons de l’acci- dent, formuler de nouvelles exigences et exiger leur mise en œuvre par les exploitants. La mission a cependant identifié un certain nombre de défis à relever pour l’autorité de sûreté japonaise. En pre- mier lieu, le contrôle de la sûreté en exploitation une fois que les centrales actuelles auront redémarré, et son corol- laire direct : l’amélioration du processus d’inspection. L’ organisation des ins- pections est en effet très complexe et contraignante pour l’autorité de sûreté japonaise ; d’où la nécessité de simplifier ce système pour le rendre beaucoup plus efficace et indépendant. Une autorité de sûreté indépendante doit pouvoir ins- pecter ce qu’elle veut, quand elle le juge nécessaire. Autre défi majeur : l’accrois- sement des compétences du personnel de l’autorité de sûreté. Cela passe d’une part par le statut des agents (possibi- lités d’évoluer au sein de l’organisme, salaires…), et aussi, par un important effort de formation. Saisi de ces recommandations, le Premier ministre japonais a affirmé sa volonté de préparer une nouvelle loi sur l’inspection. Il a aussi annoncé qu’il était favorable au renforcement des équipes de l’autorité de sûreté. Pour résumer sur la situation du contrôle de la sûreté nucléaire au Japon, je dirais qu’ils avancent vite, qu’ils vont dans le bon sens, mais qu’il leur reste beaucoup de chemin à parcourir ! Des leçons à tirer en matière de gestion post-accidentelle L’ASN a, en outre, soutenu en juillet 2013 les dialogues organisés par la CIPR avec des habitants des zones contaminées qui ont dû évacuer leurs villages. L’ objec- tif était double : d’abord les écouter et leur apporter toute l’aide possible, mais aussi, pour nous, en tirer des leçons pour le Comité directeur pour la ges- tion de la phase post-accidentelle d’un accident nucléaire ou d’une situation d’urgence radiologique (Codirpa), le groupe de travail en charge de prépa- rer la gestion post-accidentelle après un accident nucléaire en France. Comme lors de notre visite du site de la centrale quelques semaines après l’accident, ces dialogues nous ont permis de mesurer la différence entre une vision intellectuelle d’un territoire contaminé et la réalité des choses. Ainsi, du point de vue sanitaire, contrai- rement à ce que l’on pouvait craindre, on ne constate pour l’instant pas d’ac- croissement des cancers de la thyroïde chez les enfants des zones contami- nées comme cela avait été le cas pour Tchernobyl. L’ AIEA estime ainsi que l’augmentation des cancers - s’il y en a une - ne sera pas détectable du point de vue statistique. Ce qui est évident en revanche, ce sont les dégâts psy- chologiques, sociaux et économiques d’une catastrophe de ce type. Près de 200 000 personnes ont été obligées de quitter leur village, et même lorsque le retour est possible, cet accident crée une véritable fracture sociale. Les personnes âgées souhaitent revenir et finir leur vie chez eux, tandis que les jeunes couples avec des enfants préfèrent souvent par- tir et trouver du travail ailleurs, même si on leur explique que les niveaux de radioactivité ne présentent pas de risque pour leur santé. On assiste ainsi à une désintégration totale du tissu social, avec certaines PME qui peinent à fonctionner, des écoles vides… Il y a une autre leçon intéressante à tirer de ces dialogues avec les villageois, en matière de communication cette fois. Après l’accident, certains politiciens japonais ont très vite annoncé à la population que leur village allait être décontaminé. Cela a généré des attentes énormes des villageois, dont certains ne comprennent pas aujourd’hui qu’il n’est pas possible techniquement de décontaminer entièrement une zone, et se sentent mis au ban de la société. Certains messages délivrés à court terme pour rassurer les populations peuvent s’avérer catastrophiques à long terme. Il y a aujourd’hui un énorme travail péda- gogique à mener pour expliquer que l’impossibilité de décontaminer com- plètement une zone n’implique pas que l’on ne puisse pas y vivre, mais qu’il y a des précautions particulières à prendre. Il faut rassurer, expliquer ce qu’est la radioactivité, donner les moyens aux villageois de se contrôler eux-mêmes… Écouter comment les villageois per- çoivent la situation, constater les consé- quences sociales de l’accident, identifier les erreurs de communication à ne pas commettre et les messages à éviter… autant d’enseignements très précieux à prendre en compte pour notre prépa- ration à la gestion post-accidentelle.

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