Livre blanc du Tritium & bilan des rejets de tritium pour les INB

239 Point de vue de l’IRSN sur les questions clés et sur les pistes de recherche et de développement préférentielle des particules organiques constituant l’alimentation de certains animaux aquatiques, qui se trouvent à leur tour contaminés à des concentrations significativement plus élevées que celles observées dans l’eau ambiante. Les facteurs de concentration déterminés par le rapport entre le tritium organiquement lié dans ces organismes et le tritium libre du milieu aquatique sont dès lors nettement supérieurs à 1, mais ne correspondent pas à une bioaccumulation. L’IRSN estime que l’interprétation des facteurs de concentration déterminés dans les diverses études publiées doit être menée avec prudence. Il s’agit d’indicateurs qui, lorsqu’ils s’écartent significativement de 1, doivent inciter à approfondir les études afin de mieux comprendre les mécanismes de transfert et de spéciation du tritium. En aucune façon ils ne doivent être assimilés à un facteur de bioaccumulation. L’IRSN constate que rares sont les études et les données permettant de caractériser correctement la rémanence du tritium. Dans le contexte d’une controverse au sujet d’une possible bioaccumulation de tritium rejeté par les activités nucléaires, l’IRSN estime qu’il est utile d’entreprendre des études permettant de mieux apprécier la rémanence du tritium : • dans les végétaux, grâce au développement de mesures du tritium libre et du tritium organiquement lié, avec des limites de détection adaptées à la gamme des valeurs d’activité du tritium dans l’environnement ; • dans les organismes aquatiques, en s’intéressant particulièrement à la spéciation du tritium dans les milieux de vie et au tritium fixé aux substances constituant l’alimentation de ces organismes. Ces connaissances plus précises sur la rémanence du tritium et sur les mécanismes et paramètres associés permettront alors d’améliorer la modélisation du comportement du tritium dans les écosystèmes, en particulierpourmodéliserlafractiondutritiumquiseretrouveincorporée ou piégée dans la matière organique lors de la photosynthèse et pour compléter la modélisation du tritium en milieu aquatique, qui à ce jour ne tient compte principalement que des mécanismes de transport, de diffusion et de dispersion, et ce uniquement pour l’eau tritiée (HTO) de la colonne d’eau. Concernant l’évaluation des risques pour les écosystèmes exposés au tritium présent dans l’environnement, l’IRSN considère que la méthode actuellement utilisée pour déterminer les doses reçues par les organismes non humains est très simplifiée et uniquement adaptée au tritium libre, en supposant une distribution homogène. L’IRSN estime également que les éventuels effets biologiques du tritium organiquement lié ne sont pas correctement pris en compte dans les modèles dosimétriques applicables aux organismes vivant dans les différents écosystèmes, en raison d’un déficit de données expérimentales à ce sujet. Or le tritium organiquement lié peut se trouver fixé à long terme dans des constituants cellulaires (rémanence) et irradier des cibles biologiques radiosensibles, notamment l’ADN, alors que celles-ci sont peu atteintes par le rayonnement émis par le tritium sous forme HTO, en raison du faible parcours moyen de ce rayonnement. L’IRSN envisage donc de réaliser des expérimentations en milieu contrôlé pour étudier les effets de la rémanence du tritium à différentes échelles d’observation du vivant, en considérant les différentes formes de tritium dans la source d’exposition (eau tritiée, molécules organiques). L’efficacité biologique relative (EBR) du rayonnement émis par le tritium n’a été étudiée que pour quelques espèces animales, principalement des mammifères, et essentiellement pour le tritium sous forme HTO. Les études disponibles à l’heure actuelle ont permis d’estimer des EBR inférieurs à 3 pour les espèces non humaines. Dans ces conditions, si l’on suppose que l’EBR varie entre 1 et 3 quelle que soit la forme du tritium dans la source d’exposition, l’incertitude (par rapport à un rayonnement gamma) sur les résultats de calcul de dose serait de moins d’un ordre de grandeur, ce qui est peu en regard des incertitudes plus importantes qui existent dans la chaîne de calcul dosimétrique et dans la détermination des effets biologiques et écologiques en résultant. Toutefois, l’IRSN observe qu’il n’existe pratiquement aucune donnée pour les expositions chroniques à l’eau tritiée et que les études relatives à l’EBR pour les formes organiques du tritium sont peu nombreuses pour les organismes non humains. Les espèces étudiées jusqu’à présent et leurs stades de vie sont peu diversifiés ; il en est de même pour les types d’effets biologiques explorés. La pertinence de la notion d’EBR pour les espèces non humaines, pour lesquelles les effets auxquels on s’intéresse sont de type déterministe, est actuellement mal connue. Pour toutes ces raisons, l’IRSN projette de mener des expériences en milieu contrôlé sur un nombre limité de modèles biologiques clefs dans la structure et le fonctionnement des écosystèmes aquatiques, pour acquérir des connaissances sur la sensibilité relative d’une exposition chronique au tritium sous différentes formes (HTO et molécules organiques marquées diverses) par rapport à une irradiation chronique gamma externe, en considérant des types d’effets pertinents d’un point de vue écologique (ex. survie, croissance, reproduction…). Enfin, les données disponibles au sujet des effets toxiques du tritium sur les organismes non humains ne portent que sur des animaux et essentiellement la forme HTO. Certaines de ces données montrent que les débits de dose à partir desquels des effets biologiques ont été observés sur des invertébrés aquatiques sont significativement plus faibles que la valeur de 10 µGy/h habituellement considérée comme critère de protection des écosystèmes soumis à une irradiation chronique par des rayonnements gamma : il s’agit notamment d’effets cytogénétiques (aberrations chromosomiques) apparaissant chez un mollusque marin (Mytilus edulis) exposé au tritium à un débit de dose dépassant 1,3 µGy/h, ainsi que d’effets sur le développement de Daphnia magna (micro-crustacé aquatique) observés à partir de 3 µGy/h et s’aggravant au fil des générations. Les mécanismes et les conséquences écologiques de ces effets biologiques sont méconnus et, même si les niveaux d’exposition observés actuellement dans l’environnement ne laissent pas présager de risque significatif pour ces organismes, l’IRSN prévoit de poursuivre des recherches visant à mieux connaître les effets toxiques du tritium, en privilégiant l’étude des invertébrés aquatiques. Les données scientifiques issues de ces recherches devraient permettre de modifier ou d’adapter, si nécessaire, le critère actuellement considéré pour la protection écologique vis-à-vis des rayonnements ionisants.

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