Rapport de l'ASN 2021

1.3 Les incertitudes scientifiques et la vigilance Les actions menées dans les domaines de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour prévenir les accidents et limiter les nuisances ont permis de réduire les risques sans toutefois les supprimer, qu’il s’agisse, par exemple, des doses reçues par les travailleurs ou de celles associées aux rejets des installations nucléaires de base (INB). De nombreuses incertitudes subsistent ; elles conduisent l’ASN à rester attentive aux résultats des travaux scientifiques en cours, en radiobiologie et en radiopathologie par exemple, avec des retombées possibles en radioprotection, notamment en ce qui concerne la gestion des risques liés aux faibles doses. On peut citer, en particulier, plusieurs zones d’incertitudes concernant la radiosensibilité, les effets des faibles doses en fonction de l’âge, l’existence de signatures (mutations spécifiques de l’ADN) qui pourraient être observées dans des cancers radio‑induits et certaines maladies non cancéreuses observées dans les suites de radiothérapie. 1.3.1 La réponse individuelle aux rayonnements ionisants Les effets des rayonnements ionisants sur la santé varient d’un individu à l’autre. Dès 1906, Bergonié et Tribondeau ont avancé pour la première fois qu’une même dose n’a pas le même effet selon qu’elle est reçue par un enfant en période de croissance ou par un adulte. La variabilité de la radiosensibilité individuelle est observée aux fortes doses de rayonnements ionisants, notamment en termes de réponses tissulaires. Elle a été bien documentée par les radiothérapeutes et les radiobiologistes. Des niveaux de radiosensibilité élevés ont été constatés dans le cas de sujets souffrant de maladies génétiques de la réparation de l’ADN et de la signalisation cellulaire, ils peuvent chez ces personnes conduire à des «brûlures radiologiques ». De telles réponses anormales sont également observées chez des personnes souffrant de maladies neurodégénératives. Aux doses faibles et modérées, cette variabilité de la radiosensibilité, à l’échelle cellulaire notamment, est de plus en plus documentée ainsi que le fait qu’une radiosensibilité à un niveau de dose n’implique pas nécessairement une radiosensibilité à d’autres niveaux de doses. Grâce à l’abaissement des seuils de détection, certaines méthodes récentes d’immunofluorescence de cibles moléculaires de la signalisation et de la réparation des lésions de l’ADN permettent de mieux documenter les effets des rayonnements ionisants aux faibles doses. Les recherches effectuées avec ces nouvelles méthodes apportent des résultats qui doivent encore être validés en clinique avant d’être intégrés dans les pratiques médicales. Les travaux du Groupe de recherche européen sur les faibles doses (Multidisciplinary European Low Dose Initiative – MELODI) et pour le domaine médical (European platform for research activities in medical radiation protection – Euramed) se poursuivent sur ce sujet. Le groupe de travail (TG111) de la CIPR dédié à ce sujet a publié une revue de l’état des connaissances sur la radiosensibilité individuelle et des possibilités de la prédire en vue d’élaborer des recommandations internationales de radioprotection. Toutefois, à ce stade, il ressort qu’aucun biomarqueur valide ne permet cette prédiction. La réponse individuelle aux rayonnements ionisants demeure un sujet important de recherche et d’application en radiobiologie et en radioprotection (Euratom 2021‑2022), tout en suscitant des questions éthiques et sociétales. 1.3.2 Les effets des faibles doses La relation linéaire sans seuil L’hypothèse de cette relation, retenue pour modéliser l’effet des faibles doses sur la santé (voir point 1.2), aussi commode soit‑elle sur un plan réglementaire, aussi prudente soit‑elle sur un plan sanitaire, n’a pas toute l’assise voulue sur un plan scientifique. Certains estiment que les effets des faibles doses pourraient être supérieurs, d’autres pensent que ces doses pourraient n’avoir aucun effet en deçà d’un certain seuil ; certains affirment même que des faibles doses ont un effet bénéfique. La recherche en biologie moléculaire et cellulaire progresse, les études épidémiologiques menées sur des cohortes importantes aussi. Mais, face à la complexité des phénomènes de réparation ÉVALUATION DE L’EXPOSITION DUE AU RADON: LES RECOMMANDATIONS DE LA COMMISSION INTERNATIONALE DE PROTECTION RADIOLOGIQUE La CIPR, qui a émis de nouvelles recommandations pour le calcul des doses efficaces et équivalentes (publication 103) en 2007, actualise progressivement les valeurs des coefficients de dose efficace pour l’exposition interne et externe. Sa publication 137 (2017), intitulée Incorporation de radionucléides en milieu du travail – Partie 3, porte sur 14 radioéléments, dont le radon. Les doses délivrées par le radon et ses descendants dépendent de nombreux paramètres (variabilité des situations d’exposition, des individus, etc.). La publication 115 de la CIPR (2010) a permis une mise à jour du risque de cancer du poumon lié à l’exposition au radon sur la base de nouvelles études épidémiologiques. La CIPR avait conclu que le risque de décès par cancer du poumon chez les adultes ayant été exposés de façon chronique à de faibles concentrations de radon était près de deux fois plus élevé que celui estimé sur la base des connaissances disponibles en 1993 (publication 65). Ces coefficients reposaient sur une approche épidémiologique. La CIPR, dans sa publication 137, propose de nouveaux coefficients basés sur une approche dosimétrique, comme pour les autres radionucléides. Ils conduisent, à exposition égale au radon et à ses descendants, à augmenter de façon significative la dose efficace annuelle reçue par les travailleurs exposés au radon (près de deux fois plus élevée). En attendant la mise à jour de la réglementation(*), l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a évalué en 2021 les conséquences de l’adoption de nouveaux coefficients de dose publiés par la CIPR dans sa publication 137 sur l’exposition au radon de la population(**). Ces calculs conduisent à une dose efficace moyenne annuelle en France de 3,5 mSv avec une variation selon les communes de 0,75 millisieverts par an (mSv/an) à 47 mSv/an. L’exposition moyenne globale de la population passerait ainsi de 4,5 mSv/an à 6,5 mSv/an, l’exposition au radon représentant 54% de l’exposition globale contre 33% actuellement. (*) Arrêté du 1er septembre 2003 définissant les modalités de calcul des doses efficaces et des doses équivalentes résultant de l’exposition des personnes aux rayonnements ionisants. (**) Exposition de la population française aux rayonnements ionisants – Bilan 2014-2019, IRSN, 2021. 104 Rapport de l’ASN sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2021 01 – LES ACTIVITÉS NUCLÉAIRES : RAYONNEMENTS IONISANTS ET RISQUES POUR LA SANTÉ ET L’ENVIRONNEMENT

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